Je fais ce que je veux, avec ma carte bleue

Mybloody a raison.

Quand on est amoureux, c’est fou ce qu’on peut se dire comme conneries, fadaises et autres niaiseries. En ce moment, je baigne dedans.

Tout ce qui m’est arrivé ces derniers jours a été susurré sur un ton énamouré. J’ai des étoiles dans les yeux et je vois des oiseaux chanter partout.

Pour moi c’est génial, et pour les autres, c’est chiant. Je suis pas cruelle : j’allais quand même pas vous imposer ça.

Résultat, je me suis massé le cerveau (je suis polie) pendant deux jours pour trouver un sujet de note.

Panne sèche.

Et puis, en allumant mon briquet, la flamme, l’illumination.

Bon sang mais c’est bien sûr.

Bien sûr j’ai des trucs à dire.

La preuve : ce qui m’énerve en ce moment, ou plutôt ce qui m’énerve depuis bientôt dix ans, c’est ça :

(on admirera au passage la finesse des arguments)

Les gens ne se rendent pas compte.

Être fumeur, c’est un combat.

Être fumeur, c’est être capable de résister à une pression omniprésente.

À des campagnes de pub incessantes.

À des restrictions perpétuelles.

À des regards désapprobateurs.

À une ségrégation inéluctable.

L’autre jour, je fumais ma clope du matin entre le métro et le boulot. Jusqu’ici, tout va bien.

Et puis, j’ai croisé un petit garçon avec sa maman.

Brusquement, il a pointé son doigt vers ma cigarette pour la montrer à sa mère (ça, déjà, ça se fait pas), et il a crié : « Caca ! »

Je suis dans un bon jour. Je veux bien passer sur le fait que ce soit un peu vexant ce genre de scène dans la rue, que je me sois quand même tapé l’affiche, et que ça ressemble sévèrement à une insulte.

Non, ce qui m’a mise hors de moi, c’est le grand sourire de la mère qui a répondu : « Oui mon chéri. Caca. »

Salope. Qu’est-ce qu’elle lui apprend, à son gamin ? Le respect ?

Est-ce que parce que je fume, ce gosse a le droit de me montrer du doigt et de me traiter de je sais pas quoi ? (Oui, je sais, c’est pas moi qu’il montrait, c’est la clope. Cela dit, croyez-moi, les gens sur le trottoir d’en face, ils ont pas forcément saisi tous les détails de la conversation.)

Est-ce que parce que je fume, les autres ont tous les droits ?

Parce que ça n’est pas une exception. Tout le monde se permet la même chose. Tout le monde est comme ce sale gosse, nourri aux campagnes anti-tabac, qui leur donnent une licence absolue pour délivrer leur parole d’évangile. On est à la limite du prosélytisme.

Je vais vous dire. Elles sont nocives pour le respect. Elles sont nocives pour le libre-arbitre.

Aujourd’hui, aux non-fumeurs, tout est permis.

Avec le bourrage de cerveau ambiant, ils se trouvent justes en vous expliquant que vous êtes responsable de votre santé et de celle des autres, et que la cigarette, c’est nocif, alors rien à foutre si vous êtes sorti par moins quinze degrés pour l’allumer, faut l’écraser.

Ils se trouvent drôles en racontant pour la trente-septième fois l’histoire du type qui a eu un cancer à vingt ans.

Ils se trouvent fins en nous expliquant pour la soixante-douzième fois que la cigarette, c’est maaal.

Noooooon ? …Le répétez pas, mais paraît même qu’on peut en mourir.

J’en peux plus des « T’as qu’à arrêter de fumer ».

J’arrête si je veux. Je vous demande pas votre avis. C’est mes thunes. Les taxes que je paie, elles vous servent bien.

Quoi ? Parce que la presse répète que, parce que la télé répète que, parce que les campagnes de pub répètent que, ils ont le droit que m’expliquer comment vivre ma vie ? Je me reprends : ils ont le droit de m’imposer leur morale ?

J’ai toujours détesté qu’on pense à ma place ou qu’on me force à penser quelque chose.

Oui, je sais.

Le tabac tue.

Le tabac rend stérile.

Le tabac jaunit les dents.

Le tabac provoque un vieillissement de la peau.

Quand vous fumez, le non-fumeur à côté de vous fume aussi.

Je sais. Je sais. J’ai fini par comprendre. Je suis un peu lente, mais j’ai fini par comprendre. Arrêtez je vous dis.

Au bout d’un moment, on frôle l’agression personnelle.

Je les respecte, moi, les non-fumeurs.

Je ne fume pas dans les lieux publics.

Dans l’avion ou dans le train, je me prive, même s’il y en a pour huit heures. (Par contre, je me farcis les hurlements des mouflards en goguette. Si c’est pas de la nuisance, ça, je ne sais pas ce que c’est.)

Quand je suis dans un endroit fumeur, je demande autour de moi si ça dérange que j’en allume une.

J’ai le droit de fumer dans mon bureau (mon bureau, mon bureau individuel), et je sors quand même allumer ma clope dehors parce que je ne veux pas indisposer mes voisins si la fumée passe en-dessous de la cloison.

Quand je reçois du monde chez moi, je demande l’autorisation de fumer.

Quand je fume à côté de quelqu’un, qu’il soit fumeur aussi ou pas, je surveille ma fumée, pour le gêner le moins possible.

Quand je suis dans le coin fumeurs au restaurant et qu’une femme enceinte vient s’asseoir à la table à côté, j’écrase ma cigarette.

Et ça lui paraît normal. Parce que fumer, c’est mal.

Ça paraît logique à tout le monde que je respecte ces règles-là.

J’allumerais une clope chez moi devant un non-fumeur, je me ferais engueuler, et ça serait normal.

Alors on va mettre les choses au clair. Je vais vous dire ce que je trouve normal.

Je veux bien respecter vos règles du jeu et votre santé. D’accord.

Mais en échange, mon libre arbitre et moi, on aimerait bien qu’on nous foute la paix.

Bref. Je voulais juste ajouter un détail sur la dernière campagne anti-tabac en vogue :

Vous les avez tous vues, ces pubs, vous vous souvenez ?

Je n’en ai mis que deux ici, mais il y a / avait une foultitude de variantes.

Il y en a qui jouent à fond la carte de la culpabilisation, avec des gamins aux regards de chiens battus noyés sous les monceaux de mégots, avec des collègues malheureux et enfumés. J’en ai pas, moi, de gamin. J’y fais gaffe, à mes collègues.

Je ne l’ai pas trouvée sur le net, mais parmi toutes ces variantes, il y en a une que j’aimais beaucoup. Même concept, mais la photo, c’était un tabouret de bar sous une montagne de mégots.

Je voudrais pas faire du mauvais esprit, mais le non-fumeur qui a fumé 75 856 clopes sur le même tabouret, dans le même bar, c’est pas avec le tabac qu’il a un problème.

C’est avec l’alcool.

Mais c’est encore un autre débat.

L’art de la négociation (cours accéléré pour les nuls)

L’innocence de la jeunesse, ça a quand même du charme.

Je suppose qu’il y a une foule de choses que l’on apprend avec l’âge et l’expérience.

Par exemple, quand une journée commence mal, faut faire le mort. Surtout, surtout, ne prendre aucune initiative.

Quand je me suis levée hier, j’étais blindée de motivation. Blindée.

Allez, et que je me réveille avec une heure d’avance, et que ce matin, défi, j’arrive au boulot à l’heure. Soyons fous, je tente le coup, j’arrive même un peu plus tôt.

Résultat, je suis restée coincée comme une bleue sur la ligne 14 et je suis arrivée encore plus tard que d’habitude. J’aurais pris mon métro habituel, il y aurait pas eu de problème.

Conclusion : ce jour-là, filer droit.

J’étais donc tranquillement en train de lutter pour avoir accès à la magnifique imprimante photocopieuse laser couleur dernier cri.

Quand je pense (vieux souvenir de mes vingt-deux premières années passées en stage) que la simple évocation d’une photocopieuse suffit à me faire pleurer, et que maintenant je me bats pour l’utiliser, je me dis que parfois, la vie est vraiment dégueulasse.

Après une bonne demi-heure de lutte acharnée, de coups de coude et de coups bas, victoire, ça y est, c’est mon tour.

À partir de maintenant, faut assurer. Le moindre instant d’inattention, et on me piquera ma place. Je cours, je fais des allers-retours entre mon bureau et la machine pour surveiller l’état d’avancement de l’impression, continuer à avancer mon travail et appuyer sur F5.

Et puis, le drame. Il m’a eue par surprise : au quatrième trajet, il m’attendait dans mon bureau.

J’ai remercié le ciel d’avoir pensé à baisser la fenêtre de mon blog, j’ai fait un grand sourire à Big-Boss et je me suis assise.

C’était l’heure de vérité. Il a ouvert les hostilités :

  • On avait dit qu’on parlerait de la fin de ton contrat à la fin de la semaine, mais je pense qu’il n’y aura rien de nouveau d’ici-là. Alors, si tu as un moment maintenant…

Un moment ? Sincèrement, non. Mais je crois que ça n’est pas trop le moment de répondre ça.

D’autant que « Je pense qu’il n’y aura rien de nouveau d’ici là », dans la bouche de mon patron, c’est pas bon signe. Logiquement avec lui, même pendant une pause dèj, peut y avoir du nouveau.

Et puis, je sais bien à quoi mon sort est suspendu. Ça fait trois mois – trois mois, déjà, qu’est-ce qu’on vieillit – que ce putain de produit est commercialisé et qu’on a les yeux rivés sur les ventes. Je dis « rivés », parce que le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont pas vraiment bougé.

Mais le boss, il y croit. Dur comme fer. Moi, ça m’arrange, je peux pas nier.

Bref, du coup, l’entendre dire ça, ça m’angoisse un peu.

Il continue.

  • Ce que je peux te proposer, c’est de renouveler ton CDD pour encore trois mois. Ça nous mène jusqu’à mi-février. À ce moment-là… On verra bien si on s’est plantés ou non.

J’acquiesce bêtement.

  • Mais attends. Tu ne m’as même pas dit quels étaient tes projets. Qu’est-ce que tu veux, toi ? Partir ? Renouveler ton CDD ? Rester ad vitam eternam ?

Ah merde. Je crois que là, c’est mon tour de parler. J’ai les jambes comme des pailles. Au moment où j’ouvre la bouche, je n’ai absolument aucune idée de ce que je vais dire. Je vous passe le raisonnement pathétique, l’explication alambiquée, et je vous donne la version résumée : je lui ai dit que je voulais un CDD.

Ne me demandez pas pourquoi je n’ai pas dit que cette entreprise, c’était toute ma vie. Que si on le perdait, ce projet-là, on en ferait d’autres, que je voulais me marier avec lui.

Peut-être pour pas lui faire de peine, peut-être parce qu’il avait déjà évoqué le CDD et que je ne voulais pas le contrarier. Je serais capable de réfléchir quand je parle fric ou contrat avec un supérieur hiérarchique, je crois que je m’en serai déjà aperçue.

Big-Boss hoche la tête d’un air satisfait. Jamais, de sa longue existence, il n’a obtenu victoire si facilement. C’est tellement rare, de nos jours, les salariés compréhensifs.

Et c’est là que LBA se reprend.

Ça fait deux mois que les zoziaux me font du bourrage de crâne, qu’ils me coachent régulièrement entre midi et deux, pendant les pauses clope et les pauses café. Il faut que j’assume : oui, je suis sous-payée ! Non, ce n’est pas normal !

C’est historique : je vais demander une augmentation. Enfin, si je ne me suis pas fait pipi dessus avant.

  • C’est super, ai-je dit, on est d’accord.

Et puis j’ai enchaîné très vite avant qu’il parte :

  • Mais il y a quand même quelque chose dont je voudrais parler avec toi.

Big-Boss fronce le sourcil droit. Je crois que mon cœur s’est arrêté de battre. Je continue. Enfin, je veux dire, je récite.

  • Si je dois rester encore quelques temps ici, j’aimerais bien qu’on discute de mon salaire.

Big-Boss fronce le sourcil gauche.

  • Tu touches combien pour l’instant ?

Par pudeur (il y a peut-être des enfants qui me lisent), je passerai ma réponse sous silence.

Réaction du boss :

  • Ah ouais quand même (j’ai un patron compréhensif). C’est vrai que tu n’es pas très bien payée (et en plus, il est intelligent et il a le sens de l’observation).Et… Tu voudrais combien ?

Je déteste cette question. Si je demande pas assez, c’est comme si je lui avouais que j’en fous pas une et que je ne mérite pas grand-chose.

Si je demande trop, c’est prétentieux, et puis il se dit que j’ai les dents qui raclent le parquet, et que mon but dans l’existence, c’est de vider les caisses de la boîte. Pas bon non plus.

Pour couronner le tout, si j’essaie de faire un juste milieu, sauf erreur de ma part, j’arrive pile poil dans la tranche imposable, et par un mystérieux coup du sort, je me retrouve avec encore moins de fric pour vivre que ce que j’ai maintenant, ce qui est quand même extraordinaire.

Alors, j’ai répondu très vite :

  • Mille cinq cents ? Mille trois cents ? Mille deux cents ?

Ne me dîtes pas que c’est une réponse débile. Moi aussi, j’ai le sens de l’observation.

Il a griffonné deux trois mots sur un bout de papier, et il s’est rassis.

  • Tu sais, a-t’il repris, c’est vrai que tu n’es pas très bien payée. Mais il faut bien voir que pour l’instant, on est sur un projet qui ne rapporte pas un centime à l’entreprise. Tu fais un excellent travail (rigolez-pas, je crois qu’il est sincère). Tu es capable de travailler énormément (ah, oui, ça, je sais), vite et bien. Ce serait une bêtise de ne plus travailler avec toi.

Mais une entreprise, il faut que ce soit rentable. Si vraiment, on ne gagne pas d’argent, il va falloir se séparer de certains membres du personnel. Et, tu sais, tu es la dernière arrivée.[1]

  • Oui, je sais, j’ai répondu. C’est logique. C’est la règle du jeu.

(Je vous ai déjà dit que je suis une sale petite capitaliste ?)

Il a repris :

  • Et puis, tu sais comment ça marche. Il est plus difficile de garder quelqu’un qui coûte plus cher. C’est une question de rendement.
  • Oui. Je sais comment ça marche. (Instant d’hésitation) …Mais je pense quand même que ma demande… Enfin, c’est normal, quoi.

Je le comprends. C’est horrible, je le comprends sincèrement.

Oui, j’avoue, j’admets, ces histoires de « faut que ce soit rentable, donc je te paie avec un demi lance-pierre » je trouve ça logique. Et si ça me tombe sur le coin de la figure et que je me fais virer, ça me fera chier, mais ça ne me choquera même pas.

Big-Boss a jeté un dernier coup d’œil sur le bout de papier sur lequel il avait griffonné quelques mots, et il a terminé :

  • Bon. Je vois ce que je peux faire, et puis on en reparle demain. D’accord ?

Voilà.

À chaque fois que j’ai eu une conversation de ce genre avec mon boss du moment, le travail de refoulement m’a pris plusieurs mois.

Pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, je me repasse la scène. Je soupèse chacune des bêtises que j’ai pu dire, je vois chacune des balles que je me suis tiré dans le pied, j’entends les horreurs qu’on a pu me dire sans me faire broncher.

J’ai un peu honte, et j’essaie d’oublier.

Comment on fait dans ce genre d’entretien quand on a une conscience aigüe de ne pas être en position de force ?

Comment fait-on quand on ne maîtrise pas les évènements ?

Comment fait-on quand on a fourni du bon boulot, mais qu’on sait bien qu’on pourrait faire dix fois mieux, et qu’on est pas très fier de soi ?

Est-ce que je suis la seule à avoir l’impression que si je réclame quelque chose avant qu’on me le propose, c’est que je ne le méritais pas ?

Quand j’étais petite, il suffisait que je réclame pour qu’on me refuse ce que je voulais.

Résultat, je sais pas faire, moi, réclamer.

Ce qu’il me faut, c’est un boss qui a constamment l’œil branché sur moi, qui dit : « Oh, comme elle travaille bien, si son ramage ressemble à son plumage, elle est le phœnix des hôtes de ce bois. Tiens, je vais l’augmenter pour la féliciter. J’espère que 7000 euros net par mois, ça lui suffira. »

D’autant que le patron vient de partir en rendez-vous, et que j’ai toujours pas ma réponse. Je me demande bien comment je vais faire pour me concentrer cet après-midi.

Bon. Il est 12 h 01 pile. Le temps que je poste, il sera bien 14 h 00. C’est peut-être à 20six que je devrais demander mon augmentation.


[1]           Ce qu’on peut aussi traduire par « Tu sais, une entreprise, c’est comme une machine à laver. »

              Ou encore : « Tu sais, une entreprise, c’est comme une montgolfière. »

Ca va passer

Il y a des soirs, comme ça, où personne ne répond au téléphone, et où on en a sévèrement gros sur la patate. On vient de pleurer bêtement, seule, debout dans le métro. On serre dans sa poche le billet qui servira à acheter quelques despés, et puis on s’aperçoit qu’on est dimanche, et que le dimanche, toute épicerie qui se respecte est fermée.

Alors on se retrouve au Publicis des Champs – un bienfait de l’humanité. Enfin des gens qui ont compris qu’un commerce ouvert tard le soir, dimanche inclus, c’est important.

…Un bienfait, peut-être, mais au Publicis, ils n’en vendent pas, des despés. Ça doit être trop populaire, comme bière. Alors on se fait une raison, et à la place, on repart avec trois Corona sous le bras, à trois euros la bouteille.

C’est quand même vachement plus classe. Ce soir, je bois la même bière que Chirac.

Je crois que je vais commencer cette note par des excuses. Parce que ça fait quelques jours que je poste des trucs pas vraiment marrant-marrant, et que ça doit commencer à vous gonfler. Je suis désolée. Je vous assure que ça va me passer. Ça va me passer.

J’espère simplement que ça reste écrit correctement. J’espère que c’est lisible, sincèrement.

Ce soir, j’ai un truc à faire passer. 

J’ai essayé d’être forte toute la journée. Pour deux.

Hier soir, j’ai retrouvé Pierre. Il m’attendait à la porte, il m’a dit, viens, on va au restau.

Dans l’escalier, il a ajouté qu’il n’avait pas dormi de la semaine, et j’ai compris que le restau, c’était surtout pour pouvoir me parler sans avoir son coloc dans le meilleur des cas dans la pièce à côté.

J’ai passé le dîner à l’écouter parler. Les phrases arrivaient par tranches de quatre, toutes les trois, cinq, dix minutes. On a mis une heure et demie à avaler le potage pékinois. On a pas jeté un regard au poulet. Je crois qu’on a vexé le cuistot.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il ne s’attendait pas à ce que j’arrive dans sa vie comme ça. Moi non plus, je m’attendais pas à arriver dans sa vie comme ça. Comme si je l’avais fait exprès. C’est pas de ma faute, si il me plaît, si ?

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je lui ai redonné confiance en lui.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je le comprends, ou presque, que ça l’angoisse, que je ne devrais pas être si près.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il se sent incapable de gérer la situation.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que c’est allé trop vite.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il déteste Internet.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il est perdu.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.

C’est marrant, j’ai la furieuse impression d’avoir essayé de lui dire la même chose la semaine dernière.

On passe une nuit blanche ou quasiment, à se serrer la main pour se dire qu’on est là. J’attends qu’il s’endorme pour dormir aussi.

J’ouvre les yeux, il est 9 heures. Argh. Réveillée à 9 heures un dimanche matin, avec à peine quatre heures de sommeil dans le sang, ça devrait pas être permis.

Il ouvre les yeux. Doucement, on reprend la conversation là où on l’avait laissée. De temps en temps, il s’excuse de pleurer. Et puis, il finit par la donner, l’info.

Tu sais, LBA, je crois qu’il me faut du temps.

Il se tait.

J’ai besoin de temps.

Je croyais qu’il y avait que les filles qui disaient ça. Je ne dis rien, si, que j’ai besoin d’une cigarette. Je regarde le mur. Il me prend dans ses bras.

J’ai dit d’accord. Je pars après ma douche. Et je me douche dès que la nuit tombe. Je crois qu’il a essayé de sourire.

On a parlé toute la journée. On a rit jaune, fait des blagues stupides, des but-we-were-on-a-break et autres considérations sur les signes du zodiaque incompatibles.

C’est pas facile, parfois, de respecter une décision qu’on ne comprend pas. On ne peut jamais comprendre les angoisses de personne. Mais bon, les siennes, j’aurais bien voulu, quand même.

Et puis il a dit :

Si seulement tu pouvais me manquer. Tu sais, que tu me retrouves en bas de chez toi un soir.

J’ai réprimé un geste. S’il-te-plaît, me fais pas rêver.

Mais qu’est-ce qui nous arrive ?

Est-ce que c’est notre génération ?

Qu’est-ce qui fait qu’un couple marche ?

Est-ce que se faire confiance, vouloir le bonheur de l’autre, se laisser respirer, parler, s’aimer, c’est pas suffisant ?

Et puis d’abord, comment est-ce qu’on sait qu’on s’aime ?

Comment on fait pour laisser quelqu’un rentrer dans sa vie sans se braquer ?

Comment font les cathos de ma famille pour décider un jour que lui, c’est le bon, c’est pour la vie, on va se marier, et dans vingt ans, dans trente ans, c’est sûr, on s’aimera comme aujourd’hui ?

Est-ce qu’il va me rappeler ?

Le premier qui dit que je fais ma Carrie Bradshaw avec mes questions existentielles, je le démonte.

J’ai passé la journée à osciller entre des phases de confiance absolue, des phases où j’étais là pour lui, il avait besoin de moi, on allait s’en sortir, où je savais bien qu’il m’aimait, bref des phases où je comprenais à peine ce qui se jouait ; et des phases où je le sentais bien, c’était la dernière fois qu’on se voyait, je sais bien qu’il est paumé, il faut que j’en profite – j’en ai profité.

La nuit est tombée. J’ai pris ma douche. Il devait retrouver un ami au Châtelet, et je l’ai accompagné.

Sur le chemin, on a pas parlé beaucoup.

Lui pour dire marche pas trop vite. Viens, on a le temps, on marche jusqu’aux Gobelins. Viens, on a le temps, on marche jusqu’à Censier.

Moi pour dire des bêtises. Tiens, regarde, c’était ma fac. Et, là, jusqu’à la maîtrise, c’était mon bar.

Mais on peut faire tous les détours qu’on veut. On finit toujours par arriver.

Il y a bien eu un moment où il a fallu se séparer.

Près du kiosque à journaux, il y avait son ami qui l’attendait.

Il y a un dernier regard, avant de se prendre dans les bras. Il me parle dans l’oreille.

Je te promets que dès que je commence à me prendre la tête, je t’appelle.

Je te promets que je fais le plus vite possible.

Je te promets que quoi qu’il se passe, je t’appelle, je te le dis en face.

Je te promets que je pense à toi.

Je lui ai répondu de prendre soin de lui.

On part avec cette impression bizarre qu’en se séparant, il vous a dit je t’aime du bout des lèvres.

Aujourd’hui, ça va être difficile de mettre une image marrante. Désolée.

PS : C’est pas facile de rebondir sur une note glauque comme celle-ci. Mais je voulais juste vous dire de ne pas vous forcer, mais que si vous me laissez un mot, ça me fera du bien.

Je suis en train de faire une enquête pour trouver un sujet gai pour faire une note à se pisser dessus (et pas à cause de la bière). Je vous ferai part des résultats de mon investigation…

Pas de Despé, pas de soirée

Hier soir, j’avais un truc à fêter : la fin de la semaine.

Comme je suis une fille bizarre, la fin de la semaine, ça m’angoisse.

Je culpabilise d’être soulagée. Je me dis que je n’ai pas bossé suffisamment, que je ne mérite pas ce qui m’arrive, et qu’ils vont bien finir par s’en apercevoir que la touche de mon clavier que j’utilise le plus, c’est F5 (Miam, non !!! Argh, too late[1]).

Je sais pas vous, mais moi, culpabiliser, ça me stresse. Résultat, quand la fin de la semaine arrive, faut que je me détende.

Et pour me détendre, y a pas trente-six méthodes : ça rate pas, c’est direction la Butte-aux-Cailles.

Hier soir, donc, j’ai retrouvé mes compagnons de tablée du dernier mariage[2], on s’est fait un petit dîner chez Gladines, et on est partis à l’assaut du Merle Moqueur[3].

Y en a plein, des bars, rue de la Butte-aux-Cailles.

Vous hésitez, vous ne savez pas lequel tester ? Écoutez-moi les yeux fermés : vous prenez celui qui a l’air le plus glauque, comme ça, de l’extérieur, et vous entrez. Vous ne pouvez pas vous tromper. Il y a un vague néon blanc en guise d’enseigne, et une porte vitrée complètement opaque à cause de la buée.

Faites attention à la façon dont vous êtes habillé(e). Mademoiselle surtout. Soit vous dégainez le débardeur, même pour le soir du Nouvel An, soit vous assumez les auréoles sous les bras. Je serais vous, je prendrais le débardeur.

Faites un sourire au videur, montrez-lui vos seins si vraiment il fait la gueule, prenez votre respiration (si, j’insiste, faites-le), et passez la porte.

Il est encore tôt. Il fait déjà très chaud.

Le bar doit faire une petite soixantaine de mètres carrés. Grand max. Pas une fenêtre, rien. Le comptoir prend facile un tiers de l’espace. Vous avez l’impression d’entrer dans un couloir. Tout de suite sur le mur de droite, il y a Thérèse qui danse avec le porc[4]. Ici, c’est pas conseillé de se prendre au sérieux.

Les murs sont peints d’écailles énormes et multicolores. Au milieu de la pièce, une énorme barre retient le plafond qui menace de se casser la gueule.

Bref, tout est fait de bric et de broc.

Vous avez confiance ? Prenez un verre.

Si vous êtes normal, vous commandez un rhum. Ils font des rhums de compétition, c’est la spécialité du bar. Si vous êtes LBA, vous prenez une Despé, parce que c’est un réflexe.

Il vous faut environ quarante-sept secondes pour renoncer à vous asseoir. S’il y a quatre tables dans ce bar, c’est bien le bout du monde, et ils les retirent vers 22 heures pour faire de l’espace.

Il n’y a qu’un seul coin-canapé, au fond. Tout le monde se bat pour l’avoir. Un jour, y aura des morts.

Comme ça une fois, j’ai eu des mots à propos de ce canapé avec deux Américaines absolument énormes. Le fond du débat, c’était un truc profond, du genre « C’est mon mien », « Nan, j’étais là la pwemièw », « Nan, preum’s », etc.

Est arrivé le moment où j’ai eu peur qu’elles s’aperçoivent qu’elles étaient en position de force et qu’elles m’écrasent entre elles deux, en se serrant l’une contre l’autre avec moi au milieu. L’angoisse. La mort horrible. Oui, j’étais déjà passablement bourrée. Et puis je m’en fous, c’est moi que j’ai gagné. Je suis trop une star pour le récupérer, ce canapé.

La musique monte progressivement. Le bar se remplit d’un coup vers onze heures et quart.

On sent les habitués. La playlist est la même, ou presque, tous les soirs.

Les habitués réagissent dès les premiers accords. Ils échangent un regard et vont ensemble vers la piste. Ils trépignent plus qu’ils ne dansent. Ils explosent leurs cordes vocales.

Ici, quand on coupe le son, ça ne fait pas une grande différence. La voix qu’on entend, c’est pas celle du chanteur.

C’est que le Merle, c’est d’abord une musique.

Moi je connais pas d’autre endroit à Paris où on peut montrer qu’on aime la musique ringarde et retomber en enfance sans être homosexuel.

Je connais pas d’endroit comme ça, où je peux monter sur l’unique table basse du bar et me déchainer sur les Cités d’Or sans être ridicule.

Sans être ridicule parce que la seule différence entre moi et le reste de la salle c’est que je suis sur la table et eux non.

Sans être ridicule parce que c’est pas moi, c’est l’esprit du bar qui est comme ça.

Sans être ridicule parce que personne ne sait danser.

Sans être ridicule parce que le ridicule, ça s’assume.

On ne va pas dans un endroit qui passe à fond La salsa du démon et autres capitaine Flam si ce n’est pas pour entrer dans le délire.

Ici, y a des hymnes. Des titres que tout le monde attend parce qu’ils veulent dire que c’est sûr on est au Merle, des titres qu’on entend qu’ici. Si vous trouvez la version de Emmenez-moi par Marousse quelque part, vraiment, écoutez ça, je vous jure que c’est hénaurme.

…Ça fait deux heures et demie que je suis sur cette note. Ça ne m’est jamais arrivé. Je voudrais pouvoir expliquer ce que c’est pour moi le Merle Moqueur, et j’ai l’impression de ne parler que de banales beuveries.

Le Merle, c’est plus que ça. Je parle des habitués, je dis qu’on se connaît du regard, qu’on a tous les mêmes réflexes et qu’on beugle au même moment ; alors que tout ce que j’essaie de dire, c’est que ça me rappelle mon enfance.

Oui.

Quand j’allais à la messe. Une espèce d’état second, de communauté, de fraternité.

Et ça, d’accord, ça c’est pathétique.

C’est pathétique parce que c’était cet état second qui m’a rendu la tâche si difficile quand j’avais voulu m’éloigner du catholicisme. Cette sorte de nostalgie d’un état originel, d’un bien-être, d’une sécurité rassurante.

Eh ben aller au Merle ou à l’église, c’est pareil.

On vient tous ici noyer ou étouffer un peu nos angoisses. On connaît le rituel par cœur. On peut adresser la parole à n’importe qui sans risquer de paraître bizarre, on est tous un peu frangins. On chante les mêmes cantiques. Le plafond est étonnamment bas. On communie. Je suis bourrée, je suis bien.

Pour un non-fumeur, c’est l’enfer sur terre.

Tout ce qu’on voit, à plus de deux mètres de distance, ce sont des volutes de fumée.

De mon poste d’observation sur la table, je les ai regardés monter vers le plafond et s’évanouir, en rangs serrés, dans la lumière des néons.

Il fait chaud. Même les plus fidèles parmi les fidèles sortent respirer toutes les demi-heures.

Et pourtant, il y a la clim’. Si. Ça fait plus d’un an que j’y vais, et je l’ai aperçue hier. C’est un énorme bloc grisâtre qui couvre quasiment toute la piste, accroché au plafond. Et effectivement, si on se met pile dessous, il y a un petit courant d’air.

Mais ce n’est pas le courant d’air qui m’a fait la remarquer : la clim’, hier, elle fuyait. Il pleuvait sur la piste.

C’était chouette à voir, la fumée qui monte au plafond, l’eau qui dégouline, les danseurs dessous qui cherchent à profiter de la fraîcheur, trempés de transpiration, de l’eau qui tombe du plafond.

Je ne sais pas comment le bar tient debout. Quand j’ai voulu descendre de la table pour récupérer ma bière, j’ai failli me vautrer (avec toute l’élégance qui me caractérise, mais me vautrer quand même). J’avais voulu m’appuyer sur le mur. Les murs suintent tellement il fait humide. Ils glissent.

Le Merle ferme tôt. À deux heures et demie du mat’, tout le monde est dehors. Tout le monde termine en boîte.

Moi, je ne peux pas. Autre chose après le Merle, je n’arrive pas à voir l’intérêt. Ça ne pourrait être que moins bien de toute façon. Je préfère rester sur mon impression.

La descente est toujours un peu rude.

On oublie pas le dernier passage aux toilettes – la Despé, ça pardonne pas.

Les chiottes du Merle, ce sont les plus crades que j’aie vu dans cette ville. Et encore maintenant, la chasse d’eau marche. Ça a pas toujours été le cas[5].

Passer la porte dans ce sens-là, pour sortir, je ne sais pas pourquoi, c’est toujours plus violent que quand on arrive (là je parle de la porte du Merle, pas celle des chiottes, on est d’accord). Dehors, il fait froid. D’un coup, on se dit que le videur, il a quand même une sale gueule. On a envie de pisser. Encore. On va se planquer entre deux voitures.

On rentre chez soi. On est pas sûr d’être vraiment de bonne humeur.


[1]             Private joke, désolée. Pour comprendre l’histoire, faut se taper tous les commentaires de la note précédente. Motivés ?

[2]             D’ailleurs, j’étais bourrée, je leur ai filé mon URL. Faut que j’arrête l’alcool, moi. Enfin, je la leur ai pas vraiment donnée, j’ai raconté une de mes notes. Mais Google, ça existe, LBA, bordel. Et même que y a des gens, ils peuvent faire ça avec leur portable. Comme ça, direct, au restau. Comment ça calme.

              Bon, ben. Coucou à F., C., S., L., et A. (non, un autre).

              Ça commence furieusement à ressembler à une autoroute, ici.

[3]             Si un jour, vraiment, je me fais prendre en flag’ par quelqu’un qui vraiment ne doit pas lire ce blog (patron, parents, collègues… ah, non, ça c’est déjà fait), ce sera à cause du Merle que je cite tout le temps. C’est trop simple comme recherche Google.

[4]             Oui, si vous avez pas cliqué sur le lien, vous avez pas compris, c’est normal (le lien en question renvoie vers la note intitulée Euh, non Pierre, c’est un gilet, du 17 août 2005).

[5]             Et pour des chiottes à la turque, ça craint.

Nan Jef, t’es pas tout seul

Hier soir, en sortant du bureau, j’ai continué ma vie trépidante de jeune même pas cadre mais très dynamique, et j’ai passé deux heures et demie au Lavomatic.

Pardon. Quarante euros, et deux heures et demie (on habite pas impunément à cent cinquante mètres de l’Arc de Triomphe, j’ai l’honneur et le privilège de fréquenter le Lavomatic le plus cher du monde).

Sur les coups de 21 h 30, j’ai fini de replier mon linge. À 21 h 45, j’étais en bas de chez moi. Une heure plus tard, j’avais monté les six étages.

Je soufflais comme un bœuf, mes poumons pleuraient, j’avais le choix entre le repassage, la vaisselle ou les comptes, et j’ai fini devant Delarue.

Ben oui. Devant Delarue, parce que pour une fois, les Chinois avaient baissé le son, et qu’il a fallu que j’allume la télé pour suivre l’émission.

Le thème du jour : Comment vit-on quand on est très très pauvre ?, ou quelque chose d’approchant. Je comprends que Jean-Luc se pose la question. Il connaît pas. Il est curieux. Il se renseigne.

Comme d’habitude, belle brochette de témoins, servie sur un plateau frais. Des gens sans une thune (ça, ça va, je suis assez bien placée pour conceptualiser le truc), et qui se plaignent de l’isolement que ça entraîne. Ça, ça me dépasse, mais bon, faut dire que moi, je suis une sociopathe congénitale.

J’ai pas rigolé devant ma télé.

Je venais de recevoir ma quittance de loyer, dont le montant a encore augmenté comme tous les ans, fidèlement, en septembre. C’est pas grave. C’est pas comme si on s’approchait dangereusement de la moitié de mon salaire.

Je venais de m’apercevoir que bientôt, incessamment sous peu, la CAF allait me lâcher puisque j’ai fini mes études.

Je venais de fumer ma dernière clope sur les cinq cartouches rapportées de Bulgarie, et de faire le calcul : mon budget tabac, c’est plus de cent cinquante euros par mois.

Je venais de recevoir la facture d’EDF.

Je venais de signer mon nouveau contrat d’assurance. C’est fou comme tout augmente quand on est plus étudiant.

Je venais de claquer quarante euros pour laver une semaine de linge.

Je venais de tomber nez à nez avec un frigo vide.

Je venais de prendre mes doigts et de compter : à supposer que tout aille pour le mieux, sans chômage et avec un salaire qui progresse régulièrement, le temps de rembourser ce que je dois à mes parents, de me payer le permis de conduire et de pouvoir assumer un loyer plus lourd, il me reste sept ans à vivoter dans ma cage à lapin[1] – et dans sept ans, j’aurais trente ans.

Je voyais arriver la fin de mon CDD.

Et puis dans la lucarne, des inconnus qui me prouvaient par A + B que non, grandir = meilleur salaire = fini les pâtes bordel, c’est pas vrai.

Des gens qui me montraient que ça peut être pire.

Ne me dites pas que ces gens-là, sont encore plus pauvres que moi, et que je ne devrais pas me plaindre. Je le sais, ça. C’est pas le sujet.

Le sujet, la pilule qui passe mal, c’est le pseudo économiste / psy / je-sais-plus-quoi qui a pris la parole entre deux témoignages larmoyants.

Il s’est assis, a installé soigneusement son queue-de-pie, et il a dit en substance :

  • J’ai été frappé, dans tout ce que je viens d’entendre, de voir revenir si souvent l’idée de solitude. Vous vous sentez seuls, jugés, exclus des réjouissances sociales. À l’extérieur du système. Mais il faut savoir que plus de sept millions des Français vivent avec moins de XXXX euros par mois (j’étais tellement scotchée que j’ai pas retenu les chiffres).

Il a continué.

  • Ce n’est pas d’être pauvre dont il faut avoir honte. C’est de la pauvreté. D’un pays qui tolère une telle pauvreté. Sept millions de personnes. Vous voyez, vous n’êtes pas seuls. Ils sont des millions comme vous.

Je dois certainement mal interpréter. Ce n’est pas ce qu’il voulait dire. Je paranoïse, etc. N’empêche. J’ai littéralement bloqué sur le « vous ». « Je » suis dans une catégorie, et « vous » êtes dans la merde.

« Avoir honte de la pauvreté du pays. » Putain. Franchement, j’ai pas envie de parler de langue de bois maintenant, c’est trop facile, c’est trop couru, c’est trop courant, ça devient lassant.

« Vous n’êtes pas seuls ». Ah.

Ça va mieux alors. Je me sens soulagée.

On va pouvoir monter un club. Ou organiser des JMPUT[2] avec un RMIste quelconque qu’on intronisera, qui sera notre Benoît XVI local.

Et on pensera à toi, connard, les soirs ou rien que le mot « Bred », ça nous fait pleurer.

C’est bien. C’est le genre de mecs qui vous aide à éteindre la télé.


[1]             Au singulier, « lapin », bien entendu.

[2]             Journée Mondiale des Pas-Une-Thune.

Petits meurtres en famille

En bon petit soldat que je suis, je suis au bureau entre midi et deux. Faut dire qu’il ne me reste plus que deux tickets resto, et qu’il fait un peu frisquet pour aller manger son sandwich dans le parc de Bercy en apprenant par cœur la programmation de la cinémathèque.

Mais bon, faut pas pousser hein. Je suis payée pour bosser de 9 heures à 18 heures. Pendant la pause dèj’, je blogue si je veux d’abord…

Je viens d’avoir des sueurs froides à cause de Goldenyears, qui multiplie les notes (à la fois drôles et angoissantes) sur une dénommée « Mémé ». Faut voir le personnage. Putain, je me disais. J’ai enfin rencontré quelqu’un qui m’a battu. Il a une vioque pire que la mienne.

Après un frénétique échange de commentaires, la pression est redescendue d’un coup. « Mémé », c’est pas sa grand-mère, c’est sa voisine. Mais, bon, l’appeler « Voisine », ça aurait été trop simple.

Le bon point, c’est que je reste championne de grand-mère pourrie toutes catégories.

…Et le mauvais point, c’est que je reste championne de grand-mère pourrie toutes catégories.

La mienne, c’est tout un poème. D’abord, on ne l’appelle pas Mémé, on l’appelle Bonne Maman (je m’étrangle). Et on la vouvoie, s’il-vous-plaît.

J’ai entendu dire que toutes les névroses trouvaient leur explication deux générations auparavant.

Je crois que c’est vrai ; je suis pas dans la merde.

Elle a eu cinq filles et cinq garçons.

Enfin, je parle de ceux qui sont vivants aujourd’hui. Chez nous, on cultive un art du tabou particulièrement raffiné, qu’elle a inoculé doucement à toute la famille.

Bref. Je sais bien que je ne sais pas tout (merci Socrate).

Elle a toujours détesté ses filles. Je ne sais pas pourquoi. Je ne saurais jamais pourquoi. Je me demande si elle sait pourquoi.

Ses garçons sont des héros, des demi-dieux (demi, parce qu’ils ont aussi un peu du sang de leur père).

Ses filles, elles, auraient de la chance si elles n’existaient pas.

Et bien sûr, comme j’ai du bol, je suis la fille aînée de la fille aînée.

J’ai une admiration sans borne pour ma mère et pour mes tantes, qui ont réussi à construire quelque chose de leur existence, qui se sont battues, qui ont fait des coudes, qui en ont chié.

Elles ont toutes pardonné. Ou bien elles disent toutes qu’elles ont pardonné.

Moi, je ne peux pas. Je sais qu’elle est responsable d’un certain nombre de choses que je traîne aujourd’hui. (Oui, j’avoue, je suis névrosée comme tout le monde, je suis désolée de briser un mythe).

Non, je ne pardonne pas, j’en suis incapable.

Chez nous, on ne devient pas catho. On naît dedans. Vous n’imaginez pas à quel point c’est le cas de le dire.

Quand j’ai pointé le bout de mon nez, j’étais la première de ma génération. J’ai toujours vu des grands-parents ravis de voir arriver leurs premiers petits-enfants (pas trop tôt quand même).

Mais il est écrit « Tu accoucheras dans la douleur ».

Il faut bien comprendre cette phrase comme on la comprend chez nous : quand tu accouches, le plus important, c’est moins que tu donnes la vie, que tu sois en train d’expier le péché originel. Soit.

Faites comme eux, faites comme moi et tirez-en les conclusions qui s’imposent. Ben oui, c’est d’une logique imparable : la péridurale, c’est mal.

Et la césarienne, c’est très, très, mais alors très mal.

Allez. Je vous fais grâce de quelques épisodes. Je vais vous épargner la conception, la grossesse, et les vingt-quatre premières heures de l’accouchement. De rien.

Toujours est-il que le médecin, contre l’avis de ma mère, a fini par prendre une salutaire initiative, et il a pratiqué une césarienne. Il nous a sauvé la vie.

Je suis arrivée, mon père était prêt à faire sonner les cloches de Notre-Dame pour que tout le monde sache que ça y était, le cours de l’Histoire allait changer.

Je suis arrivée, et j’étais moche comme un pou. Ou plutôt comme un extra-terrestre dans les Cités d’or. Toute bleue, avec le crâne en forme de cône. Comme quoi, grand message d’espoir, on peut naître très moche, et devenir un sex-symbol (le premier qui réagit là-dessus, je le censure).

Bonne Maman arrive à la maternité, comme toute Bonne Maman qui se respecte. Elle a appris la vérité. Je ne suis pas arrivée par voie normale.

Elle rentre dans la chambre, commence par regarder les rideaux, la commode, le lit, maman, moi, maman.

Et puis elle dit :

  • Ma pauvre fille.

Blanc.

  • Ma pauvre fille. Tu n’as pas su souffrir.

Merci Mémé. Surtout, ne réfléchis pas quand tu parles. T’as raison, ce que tu dis n’a jamais de conséquences. T’as raison, personne n’a besoin du soutien de sa mère au moment de passer le relais. Tu sais voir les vraies choses importantes. Merci Mémé.

Je ne crois pas qu’elle soit stupide. Elle a même le cerveau plutôt acéré. Mais je suis sûre qu’elle est incapable d’aimer quelqu’un.

Je me demande si elle est méchante, profondément égoïste ou très très seule. Je me demande pourquoi.

Et je me demande ce que je tiens d’elle.

Et puis, comme dirait Drucker : ma chère Bonne Maman, si vous nous regardez…

Un peu (beaucoup) de quotidien. Désolée.

Si vous vous interrogez, que vous vous dîtes : « Mais qu’est-ce qu’il ne faut pas faire quand on veut garder un mec ? », surtout, vous me demandez.

Je suis en train de passer pro. Je devrais peut-être créer une rubrique.

Alors un petit conseil : quand vous le retrouvez pour une nuit, entre une semaine de travail et une autre pire, ne passez pas la soirée à pleurer dans ses bras.

Encore moins à pleurer à cause de lui. Et encore moins parce qu’il vous plaît, que vous vous sentez dépassée par les évènements ; et parce que quoi qu’il dise, vous ne savez pas pourquoi, mais vous le sentez, ce ne sera jamais la bonne réponse, et vous pleurerez de toute façon.

C’est un mec, explique ELLE, il est physiologiquement incapable de donner la bonne réponse. Et pourtant, il essaie. Si, si, vous voyez bien : il transpire. Il n’est pas du tout en train de flipper.

Petit récit en images (nan, je rigole, y aura pas d’images. Peut-être en fin de note, si vous êtes sages).

Je l’ai rejoint chez lui hier soir. J’avais hâte de le retrouver, et j’avais cette petite pointe d’appréhension que j’ai toujours aimée dans notre relation.

D’ordinaire, on se retrouve, on fait semblant de ne pas s’être manqués, et en cinq minutes, c’est reparti comme en quarante.

Mais hier, j’étais malade. J’étais fatiguée. J’étais angoissée. Je me trouvais moche, je me trouvais con, et je m’étais pas pardonnée mon exploit de l’autre jour[1]. On en avait pas vraiment reparlé et d’un coup, d’un seul, un peu à la tsunami, j’ai eu horriblement peur qu’il ne m’aime plus.

Ou plutôt, j’ai eu peur qu’il s’aperçoive enfin que je n’ai aucun intérêt et qu’il n’a rien à faire avec moi.

C’est peut-être ridicule, mais c’est pas facile d’expliquer ça à un mec qu’on a horriblement peur d’étouffer, surtout quand lui n’aborde pas le sujet, déjà parce qu’objectivement vous faites la gueule, mais qu’en plus lui aussi, s’il vous parle de choses trop sérieuses, il a peur de vous faire fuir.

C’est fou comme si on cherche bien, il y a une foule de petites choses du quotidien, une foule de petites choses à la con sur lesquelles on peut s’écharper.

T’es obligée de monter si lentement les escaliers ?

Tu sais bien comment ça marche un micro-ondes, non ?

T’en mets un temps, à préparer le repas.

J’ai plus faim. En plus tu mets du pesto partout.

C’est malin maintenant on a loupé Kaamelott.

J’aurais au moins appris ça : quand on stresse, on est mesquin.

Chaque phrase, chaque geste m’agresse. Chaque phrase, chaque geste l’agresse. Il est aussi claqué que moi. Pas de bol.

Commence alors un moment d’intense frustration. On voudrait être dans ses bras, lui dire plein de choses gentilles, voire, soyons fous, faire l’amour. Ben, oui. Comme quand on est amoureux, quoi.

Ça me fait mal de l’avouer, mais il y a un moment où il faut regarder les choses en face.

Vous voudriez un moment d’intense communion, et tout ce que vous arrivez à faire, c’est l’envoyer bouler. Lui, pour, une fois, il vous facilite pas la tâche.

Personne n’a envie de s’engueuler, et on arrive pas à faire autrement. À chaque fois qu’on veut mettre les choses à plat, ça loupe pas, y en a un qui se fait mordre.

Je suis une fille à la capacité de tolérance limitée. Au bout d’une heure et demie, je pleurais comme un bébé. J’ai mis un bon quart d’heure à me calmer.

On a recommencé à se voler doucement dans les plumes, le tout émaillé d’un certain nombre de délicates intentions (ben oui, on est tous les deux en train d’essayer de rattraper le coup, quand même). On amorce une conversation, il commence une phrase, la ravale, et finit par la terminer, parce que je le force.

  • Mais non, je peux rien te dire, tu vas encore te mettre à chialer.

Argh. Coup bas. Le pire, c’est d’être d’accord avec lui. Je me mords les lèvres. Y a même pas moyen que je me mette à pleurer maintenant. Je me sens héroïque.

Il a raison le salaud. Je pleure parce que je me sens impuissante, parce que je l’aime (voilà, c’est dit), parce que je me déteste, parce que je voudrais être là pour lui, et qu’à la place, je lui gâche consciencieusement sa soirée.

Je pleure parce que je l’aime, que je voudrais être là pour lui sans le bouffer, et que franchement, je ne sais pas comment on fait.

Je pleure comme je bois, parce que je panique.

On arrive à aller se coucher sans casse. Beaucoup de bonne volonté dans les deux camps, je vous prie de le croire.

Je n’en peux plus, j’ai l’impression que je vais mourir de fatigue. J’ai froid. Tout mon corps me fait mal. Il allume la lampe de chevet, met un disque et sort une BD. Je le regarde avec les yeux de Jeanne d’Arc pour son bourreau (Tu vas pas faire ça ??), et il m’explique qu’il y a à peine cinquante pages, et qu’il aura forcément terminé avant minuit et demi.

Allons bon. Il a l’intention de la lire jusqu’au bout.

Je pèse les arguments en présence. Il est chez lui, s’il a envie de se coucher en douceur, c’est son droit le plus strict. J’ai décidé de ne pas l’étouffer, je ravale mon caprice.

Bon d’accord, il aurait pu éviter de me demander d’arrêter de bouger, parce que ça le freinait dans sa lecture. Il aurait pu.

À peine la lumière éteinte, j’ai senti que je ne pourrais plus me retenir et j’ai recommencé.

J’ai l’impression d’avoir pleuré des heures, de lui avoir parlé entre mes sanglots. Il est resté silencieux, à m’écouter, à me serrer dans ses bras.

  • Je ne te fais pas flipper, là ? j’ai fini par lui demander entre deux reniflements.

Il m’a répondu :

  • Non.
  • Non ?
  • Non, parce que les règles du jeu n’ont pas changé.
  • Quelles règles du jeu ?
  • Soit j’ai rien compris, soit tu me dis que tu es prête à passer à une autre phase de la relation. Mais que dès qu’il y en a un de nous deux qui en a marre, on arrête. C’est pas ce que t’as dit ?

Silence.

  • Euh, non. C’est pas ce que j’ai dit. Mais en gros, t’as l’idée. C’est à peu près ça.

Ce que j’ai dit, c’est que je l’aimais, que je ne me sentais pas à la hauteur, et que je ne voulais surtout pas qu’on se force. Qu’il fallait qu’on arrête si on y croyait plus.

Mais bon. Il paraît que les hommes viennent de Mars. Et il m’a écouté parler pendant une demi-heure en reniflant (c’est moi qui reniflait, pas lui, tout le monde avait compris).

Je suis sûre que ELLE dirait que c’est bon signe.

Moi, ce qui m’a fait me sentir mieux, c’est mon homme qui a profité d’une pause entre deux larmes pour me dire :

Tu sais ce dont j’ai envie là tout de suite maintenant ? J’ai envie de toi.

Il a une façon de dire ça, il a une façon de faire ça, ça vaut toutes les déclarations d’amour de la terre.

Bon. Merci à ceux qui ont eu le courage et l’abnégation de lire jusqu’ici tous mes états d’âme.

C’est une note drôlement intimiste que je viens de vous pondre là. Je me demande si je vais pas la zapper très vite.

Ça n’a absolument rien à voir, mais si ça se trouve, j’ai réussi l’exploit d’éliminer toutes les fautes de frappe, alors faut que je vous le dise, pour que vous voyez ce que ça m’a coûté de poster cette note : mon clavier fait des « l » partout, sauf qu’en j’en ai besoin, évidemment.

Chaque « l » est un copier-coller, et chaque caractère est une victoire de LBA contre la machine. L’informatique, c’est comme mes voisins, elle me déteste.

Et encore, je m’estime heureuse, la semaine dernière, ça merdait aussi avec les points virgule. Faut dire que je me sers moins des points virgule.

Temps moyen de rédaction d’un commentaire : un quart d’heure. Ce qui explique que je ne sois pas trop passée chez vous ce soir. Je me rattraperai demain. Sur les horaires de boulot.


[1]             Note intitulée Comment être une grosse conne en dix leçons, du 12 septembre 2005.

LBA est un cerveau

Un vrai, un brillant, un rare, un sévèrement blond.

Exemple.

Ce qu’il y a de sympa à mon boulot, c’est la bande de collègues inclue dans le pack. Ils sont cinq mecs avec lesquels je m’entends très bien. On est potes, on déjeune ensemble, on se raconte nos vies, on se remonte le moral, on se couvre les uns les autres, tout le tralala. La dreamteam.

Et ça fait des mois que je leur cache minutieusement que :

·        Je ne suis pas célibataire.

Eh oui, au bureau, tout le monde y croit dur comme fer (sauf la fille de l’accueil, je reste une fille, hein, faut que je raconte ma vie sinon j’explose).

Pourquoi je cache ça ? Euh, parce que je suis sortie avec l’un des collègues en question un soir de beuverie une semaine avant de rencontrer P.

Parce que mon argument pour avorter la relation dans l’œuf, c’était non, mais tu comprends, je suis pas prête, je sors d’une rupture douloureuse, bla, bla, bla. Tout ça me retrouver casée comme jamais à la vitesse de la lumière dès qu’il a eu le dos tourné. J’en ai un peu marre de ma réputation de bourreau des cœurs.

En plus les quatre autres n’étant même pas au courant de l’épisode 1, ça fait un coming-out un peu compliqué.

Oui, ce blog, aujourd’hui, c’est Santa Barbara.

·        Je tiens un blog.

Dire « Je tiens un blog », même si on en crève d’envie, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres.

C’est les « C’est quoi ton URL, tu racontes quoi dedans, c’est un journal intime ? tu casses du sucre sur le dos de qui, franchement pour ouvrir un blog, faut pas avoir d’amis », et je pourrais continuer longtemps ma liste à la con.

Dire « Je tiens un blog », c’est dire : « Je fais semblant de bosser depuis le début, je vous ai tous bien eus, en fait j’en fous pas une rame de la journée ».

C’est du suicide.

Suffit que ça remonte aux oreilles du patron, et ma glorieuse et prometteuse carrière dans la rédaction des guides utilisateurs s’arrête net. Comme une perdrix en plein vol le jour de l’ouverture de la saison de chasse.

Et aujourd’hui, au resto, entre la poire et le fromage, dans une ambiance détendue d’anniversaire, le drame, la gaffe.

Mes cinq zoziaux me fixent avec les yeux en dehors des orbites. Je leur aurais raconté un épisode de la vie sexuelle des bonobos, ils ne m’auraient pas regardé différemment. Je les dévisage un par un par un, en me demandant ce qui se passe. Sur le coup, j’ai eu l’impression d’avoir avoué un truc très très sale. Je me suis repassé ma phrase dans ma tête à la vitesse de l’éclair. Ensuite, encore plus vite, je me suis repassé le contenu de mes dernières notes.

Une pensée émue pour le collègue avec lequel j’ai eu ce que d’aucuns appelleraient une aventure, et qui doit encore être en train d’essayer de recracher le morceau qu’il a avalé de travers au moment où il s’est aperçu qu’à tous les coups, j’ai raconté son dérapage sur Internet.

J’ai essayé de feinter, de dire, mais y a rien d’intéressant, que dalle. J’aurais du y penser, ma mère avait eu les mêmes arguments quand j’étais gosse devant le placard mystérieux. Vous savez, le placard mystérieux de la semaine du 20 décembre. J’ai découvert dix minutes plus tard, grâce à mon sang froid et ma perspicacité sans pareils que le Père Noël, c’est du réchauffé.

Je me suis un peu éloignée de mon sujet. Tout ça pour dire qu’il faut pas les prendre pour des billes, mes collègues, ils sont pas payés deux fois plus que moi pour rien. C’est des petits malins. Nan nan nan, qu’ils m’ont dit. Si tu dis ça, c’est que t’écris des trucs que tu nous raconte pas, ça se trouve même tu dis des choses sur nous, tu nous donnes encore plus envie d’y aller.

Argh. Je suis faite comme une rate. Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, il n’y a plus d’issue. Le sol s’ouvre sous mes pieds.

Et vous savez là où je suis encore plus un super cerveau ?

C’est que je sais très bien qu’à cet instant précis, là maintenant tout de suite, ils sont en train d’essayer toutes les combinaisons possibles sur Google pour retrouver mon blog. Et que je poste quand même (c’est une drogue, je vois que ça). Pire. Je poste quelque chose sur eux avec un résumé de tout ce que je leur cache. Un vrai guide utilisateur.

Je suis une professionnelle. Vous le direz, au patron, que je reste une pro, même dans le suicide, hein, les mecs ?

Je crois que je vais devoir partir en Argentine. Mais avant, je vais filer mon URL à mes parents. Pour la beauté du geste.

Jurisprudence sur les voisins de palier

On est dimanche, il est 19h02, et je suis censée dormir. Je voulais juste dire que si un jour on retrouve mes voisins pendus haut et court, ce sera ma faute.

J’étais à un mariage ce week-end. Un mariage à Pétaouchnok, comme d’habitude. Je sais pas si vous connaissez ce bled, mais c’est vraiment la croix et la bannière pour y aller.

Étape 1 : Prendre le train de banlieue vers le fond de la banlieue profonde, dûment armée de son plan imprimé sur Mappy. Marcher deux bornes sur des talons aiguilles, mariage oblige, jusqu’à l’église la plus triste que la terre ait porté.

Bon, la mariée est jolie, le marié a des étoiles dans les yeux, ça ira pour cette fois.

Supporter la cérémonie. Pas une messe, une bénédiction. C’est pire. C’est juste pour nous rappeler que Jésus nous aime tous très fort et que nous sommes tous frères dans la joie du Seigneur.

Et accessoirement que les mariés s’aiment aussi, ça, c’est cool.

J’ai un peu eu les cheveux qui se sont dressés sur la tête quand le prêtre a réussi à citer les cinq seuls versets de la Bible dans lesquels Dieu parle de son peuple comme un père parle de son enfant (celui qui trouve le rapport avec le mariage, je lui paie un café).

Bref, en deux temps, trois mouvements, il a réussi à nous présenter le Dieu de l’Ancien Testament comme un père plein d’amour, de compassion et de miséricorde[1]. Si vous les cherchez, ils sont chez Osée[2].

Et tout le monde d’approuver. Bruissement, chuchotement dans la salle. C’est vrai, dans l’Ancien Testament, le peuple Juif ne sait pas voir l’amour que Dieu a pour lui. Ben tiens. Rien que pour ça, ça valait le coup de le lire ce bouquin. Pour que ça me saute enfin aux yeux quand on en déforme le propos.

Bref, je crois que l’honneur est sauf, que j’ai réussi à garder la face : personne ne s’est aperçu que ma mâchoire était tombée par terre.

Étape 2 : Après la messe, mise en action de la deuxième partie du plan. Trouver une voiture pour partir sur le lieu de la fête, c’est-à-dire, en toute logique, à cinq cents bornes de là.

Dans la voiture, un éclair : je viens de mesurer ce que ça veut dire, ne pas boire à un mariage. Je décide qu’on est pas chez les mormons, et que je peux bien goûter un peu au vin.

Je m’attendais au pire pour cette soirée (je m’attends toujours au pire, dans la vie), et j’ai passé de supers moments. J’ai même gagné un beau galet bleu avec LBA écrit dessus. C’est la mère du marié qui a peint tous les galets un par un. Soit son fiston la mène par le bout du nez, soit elle aurait fait n’importe quoi pour qu’il se marie et en être débarrassée.

Bon, forcément, j’étais bourrée. Mais personne ne m’a vue à poil. Je n’ai pas expliqué à la mariée que son mec, il était bien gentil, mais que ce n’était pas le meilleur coup que je m’étais fait. À notre table, je ne connaissais personne, et on a juste passé une soirée morts de rire, à faire connaissance.

Six heures du mat, direction hôtel, dodo. Comme j’ai beaucoup de bol, comme fille, c’est bien connu, mon démaquillant s’est renversé dans mon sac pendant le trajet. Mes vêtements s’en sont imbibés toute la nuit, ma trousse de maquillage est foutue. C’est pas grave. C’est pas comme si ça coûtait la peau du cul, une trousse de maquillage.

Évidemment, je partage ma chambre avec deux copains. Évidemment, ils n’ont pas de démaquillant. Ça tombe bien, j’ai toujours rêvé qu’ils me voient dans cet état.

C’est la dernière fois de ma vie que quand la mariée me demande « Mais tu viens au brunch demain ? », je lui réponds oui. Le lendemain d’un mariage, on dort.

Bref, il a fallu se lever à 10 heures, patienter pendant que les mecs squattaient la salle de bain, et traîner ma gueule de déterrée devant toute la petite bande. Je me suis baffrée comme jamais.

Je suis arrivée chez moi vers 16 h 30, (en ayant oublié ma Bible là-bas, cent pages avant la fin, c’est rageant) et j’étais au lit une demi-heure plus tard. J’ai sombré dans le sommeil du juste.

Dans un film, c’est là qu’il y aurait le générique. Dans ma vie, ça ne marche pas comme ça : les coups de fil se sont succédés tous les trois-quarts d’heure. Les deux premiers, je leur ai raccroché au nez frénétiquement en croyant éteindre le réveil, le troisième, j’avais compris le truc, j’ai décroché, et au quatrième, j’étais plus très aimable.

J’allais enfin pouvoir me rendormir, quand mes voisins ont commencé à discuter. Mes voisins sont des champions du monde. Je pense qu’ils le font exprès. Je les déteste.

Ils disent « Passe-moi le sel » sur le ton que j’utilise pour dire « Non, je t’en supplie, ne tire pas. » Ils parlent chinois et, merveilleux effet de logique, je comprends pas un mot. C’est comme écouter à fond une radio en ougandais, c’est très frustrant. Il n’y a pas de bouton off. D’un coup, on saisit le sens du mot subir.

Ils vivent porte et fenêtre ouverte, pour la stéréo. À mon étage, ce sont des chambres de bonne : entre les deux bandes de papier peint, personne n’a jamais pensé à mettre un mur.

Leur piaule est à côté de la mienne, nos fenêtres se touchent, et il faut que je vise en rentrant chez moi : cinq centimètres trop à droite, et je rentre chez eux.

Quand on craque et qu’on va les voir pour leur demander de baisser le volume, ils font semblant de ne pas comprendre le français, ce qui est d’une mauvaise foi sans nom : mercredi, ils ont regardé tout Delarue. Regarder Ça se discute si on comprend pas ce qui se dit, c’est quand même complètement débile, faut bien le reconnaître.

L’autre jour, j’ai craqué, je suis allée les voir vers une heure du matin, en leur expliquant que vraiment j’entendais tout et que ce serait sympa de leur part de fermer la porte.

La fille m’a toisée. Elle m’a regardée de bas en haut et de haut en bas et elle m’a dit glaciale, avec un accent parfait : « Tu l’as déjà dit, ça. »

Et mon poing dans la gueule, poufiasse ?

Je suis rentrée chez moi la queue entre les jambes et j’ai pris mon mal en patience. D’ailleurs déjà quand ils m’avaient piqué mon paillasson, j’avais rien dit.

Il n’est pas 20 heures, c’est le week-end, je me vois mal aller les voir maintenant. Alors je renonce, je me relève, et je me petit-suicide.

Je suis en train de dilapider ce qui me sert de salaire sur ebay. S’il-vous-plaît, il vous reste une minute trente pour rebondir sur mon enchère. Je veux pas l’acheter, finalement, cette Bible en Pléïade.

Je connais déjà l’histoire.


[1]             Bon, comme je sens que les nouveaux tiquent toujours un peu en lisant ça (j’ai un sixième sens, je suis très douée, comme fille), je vous remets un lien qui permet de mieux comprendre mes allusions incessantes à la Bible en ce moment. Si vous passez ici régulièrement, ça sert à rien de cliquer, ça fait des semaines que je vous bassine avec ça (le lien en question mène à la note du 05 septembre 2005).

[2]             Je peux pas vous donner la référence, puisque j’ai paumé ma Bible… Et je tenais à préciser que quelqu’un m’a sauvé à la dernière seconde en rebondissant sur mon enchère sur ebay. Je sais pas qui c’est, il me lira sans doute jamais, mais merci, mec.

Please get off the train on the left. Bahada puellado y cierdo (orthographe approximative)

Je reviens du blog de Thilde. Le job de Thilde dans la vie, c’est de conduire le métro, sur la ligne 2. Rien que pour ça, je l’aime bien.

Ben oui, le métro, c’est important dans ma vie. Le truc le plus indispensable dans mon sac à main, excepté mes clopes, mon portable, ma CB et ma pilule (merde ! ma pilule !), c’est mon Navigo pass.

Je vous préviens tout de suite. Vaste sujet, vaste note. Mais j’ai sauté plein de lignes pour que vous puissiez zapper des paragraphes, et en récompense, il y a un dessin à la fin.

Les provinciaux, les demi-Parisiens (pour lesquels j’ai par ailleurs un respect profond, cela va sans dire), n’aiment pas le métro. Pire. Ils ne comprennent pas qu’on puisse aimer le métro. Pour eux, métro = heure de pointe + connasse tombée dans sa bouteille de parfum + sale mouflard qui te marche sur les pieds en reniflant + clochards + est-ce qu’il y aurait moyen de descendre avant que tout le monde se précipite pour monter + pervers (au pluriel).

Bon. Ils ont pas entièrement tort, je le concède. Mais le métro, c’est pas que ça.

D’abord, je tiens à préciser qu’il paraît que c’est bien pire ailleurs : mon frère vient de rentrer de six mois à Moscou, et l’une de ses premières réflexions à son retour à été que c’était agréable le métro à Paris, (je cite) au moins ici les gens sont polis.

Ah ouais, quand même.

Le métro, c’est des gens, et les gens, c’est marrant.

C’est cette fille qui se la joue, genre je suis trop belle, tous les mecs du monde ont le regard posé sur moi, et toutes les autres filles autour de moi (vous y compris) sont des chiures de mouche. Quand elle s’est retournée pour descendre, je me suis aperçue qu’elle traînait des feuilles de PQ dans son pantalon. D’un coup, je la détestais moins.

Ce sont les provinciaux qui se fixent un rendez-vous, qui ne connaissent pas la ville et qui stressent :

  • On se retrouve à 14 h à Châtelet, hein ? Sans faute ! Tu seras là, tu seras pas en retard, tu te planteras pas de station ?

Les pauvres… Si on savait pas qu’il est absolument impossible d’arriver à retrouver qui que ce soit avec un rendez-vous pareil, Géant Vert compris, on aurait presque envie d’aller à Châtelet le lendemain à 14 h pour voir leur tronche.

Ce sont les copains qui discutent entre eux et qui ne s’aperçoivent pas qu’il y a des gens autour, et que les gens, ça écoute.

Ce sont les regards échangés dans les reflets des vitres.

Le métro, c’est des souvenirs, et les souvenirs, c’est rigolo.

C’est la fois où mon portable a sonné : une copine affolée qui voulait que je lui explique comment faire cuire des artichauts, là, tout de suite. C’est bien, maintenant, tout le wagon sait comment faire cuire des artichauts.

C’est ce marionnettiste qui tend son rideau noir entre deux barres et fait braire ses marionnettes sur Petit Gonzales. Les gens changent de place pour ne pas lui tourner le dos, je commence à chantonner, je suis au spectacle. Ca me rappelle mon enfance.

Ce sont les retours de soirée où on s’amuse à chanter à tue-tête sur Aimer, c’est ce qu’il y a de plus beau, en inventant des paroles avec des rimes en -our. (Allez, je vous aide : four / abat-jour / amour / velours / balourd / Darfour [ok, je sors]).

C’est la fois où j’avais fait les catacombes de nuit avec des copains, où je me suis endormie au matin sur le quai, et où je me suis réveillée avec cinquante francs dans la main.

Le métro, c’est Paris, et Paris, c’est chez moi.

C’est la Tour Eiffel entre Passy et Bir-Hakeim.

C’est être capable de donner de tête n’importe quel trajet d’une station à l’autre, estimation temporelle comprise, en moins de cinq secondes. C’est se la péter en aidant les provinciaux à s’y retrouver.

Ce sont les chauffeurs qui souvent se sentent un peu seul dans la cabine et te laissent monter avec eux. J’aime bien les écouter parler.

Le métro, c’est des aventures tous les jours, et ça permet de se sentir vivre.

Et même, une fois, je me suis fait agresser par une petite vieille. Ça vous est pas arrivé, ça, hein ? Bon elle était pas si vieille que ça, elle devait avoir seulement la soixantaine bien tapée.

Je pose le décor : ligne 1, heure de pointe (évidemment), chacun ses dix centimètres carré pour respirer. Parfois, on arrive à être tellement serrés que tes pieds ne touchent plus le sol. C’est pas très grave, parce que de toute façon, tu risques pas de te casser la figure, sauf grosse et brusque hémorragie de passagers à une station importante.

Donc, c’était l’heure de pointe. Et cette petite vieille, elle me tapait déjà sérieusement sur le système, parce qu’elle se cramponnait jalousement à son strapontin. J’ai hésité à lui expliquer que même debout elle ne courait aucun risque de se vautrer, et puis je me suis retenue et j’ai rentré le ventre histoire qu’elle puisse respirer. J’ai commencé à me regarder dans la vitre. Pas par narcissisme (quoi que), mais parce que j’avais pas la place de bouger la tête.

Une ou deux stations plus loin, j’ai senti des coups dans le ventre. J’ai baissé le regard lentement. Elle me frappait avec son sac à main, la vieille peau ! Elle a levé les yeux vers moi, et je me souviens m’être dit précisément : « Ça y est, j’ai vu une sorcière. » Elle a crié : « Vous allez me laisser de la place, oui ?? Je vais vous apprendre la politesse, petite conne ! »

Ça, sauf erreur de ma part, c’est une insulte à ma maman. Si, si. Ma maman, elle a fait de son mieux pour m’apprendre la politesse. Alors, pour lui faire honneur, j’ai pris ma plus belle voix, dégainé mon plus joli sourire, et j’ai déclamé :

  • Je vous prie de m’excuser, madame. Mais avec tout le respect que je dois à votre grand âge, il me semble qu’en matière de politesse, on est surtout censés libérer les strapontins quand il y a trop de monde. Cela dit, je comprends que votre âge ne vous permette pas de faire autrement. Vous comprendrez aussi que je fais de mon mieux pour laisser de la place, mais qu’avec douze mille personnes derrière moi, ce n’est pas forcément facile.

Bon, à la fin de ma tirade, j’avais plus grand-chose à dire, et elle non plus. Les gens m’ont regardé souriants, et le temps a commencé à être long. Là, Dieu merci, je suis arrivée à ma station et je suis descendue.

Le métro, c’est des mecs bizarres, et ça… Euh, ça, ça fait que je tiens au mien.

Je vais pas vous raconter tous les exhibs, chieurs et dragueurs du dimanche sur lesquels je suis tombée dans le métro, sinon, vous serez encore en train de lire cette note demain matin. Les mecs ne se rendent pas compte de ce que c’est, être une fille à Paris. D’ailleurs j’en ai déjà parlé un peu une fois, alors si ça vous tente, faut cliquer [1].

Mais l’autre jour, je suis tombée sur mon record. Le pire du pire. Le plus méprisable du plus méprisable. Et pourtant, ça fait six ans que je suis dans cette ville.

Ligne 6, 9 heures du matin. Soucis sur la ligne, rame blindée. Je monte à Corvisart, et je me plonge dans l’Évangile de Marc (si vous avez fait une tête bizarre en lisant cette dernière phrase, la réponse est [2]).

Forcément, je suis pas très attentive à ce qui se passe autour de moi. Mais je me dis bien, tout de même, que le mec qui partage mon demi-mètre carré fait une drôle de tête. Il halète. Il est tout rouge.

À Chevaleret, je prends un risque. Je décale légèrement mon bouquin vers la droite, et je regarde ce qu’il y a en dessous. Ben, j’étais pas préparée psychologiquement, et je peux vous le dire, ça fait tout drôle.

Sans les mains. Des exhibs, j’en avais vu. Des mecs qui se branlent dans le métro, j’en avais vu. Des mecs qui se branlent devant moi, en me regardant, j’en avais vu. Un mec qui se branle sur moi, on me l’avait jamais faite, celle-là.

C’était le matin. J’étais fatiguée. Je venais de lire quand on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche. Je ne lui ai même pas mis de beigne. Je l’ai regardé, interloquée. Il est descendu à Quai de la Gare. Maxy_vince, si c’est vraiment toi qui m’as fait ce coup-là, j’exige que tu te dénonces…

Ah, je me demandais si j’avais fait le tour de mes anecdotes dans le métro, et non en fait. J’ai failli me faire écraser par une rame sur la 5, une fois. Dis comme ça, c’est un peu brutal, mais je tiens à rassurer mes parents, je suis vivante, tout va bien. Ça fait un choc, et puis progressivement, ça se transforme en souvenirs à raconter à ses petits enfants.