C’est long, une semaine au Maroc

Suis rentrée depuis trois jours, et je n’ai toujours rien posté.

J’en aurais des trucs à raconter, pourtant, j’ai même des brouillons de notes un peu partout.

J’en avais commencé une qui s’appelait Dix raisons de ne pas aller au Maroc, et pourtant, c’était pas vraiment contre le Maroc que j’en avais.

C’était plutôt contre les voyages organisés, contre les visites préparées avec le petit côté Regardez-le-Tiers-Monde tellement exotique, contre cet hôtel de luxe dans lequel il n’y avait que des Français et des Allemands et qui débordait de bouffe, de petits savons parfumés et de serviettes personnalisées pour aller à la piscine.

C’était plutôt contre cette manie des négociations, ces types qui te harcèlent pour que tu entres dans les magasins, alors que je suis en vacances bordel, tout ce que je veux c’est ne pas parler, ce que je veux, c’est qu’on me foute la paix. Même le serveur qui me demande comme les quarante-sept autres serveurs avant lui si je viens de Paris, je me fiche qu’il essaie d’être gentil. Je veux du silence.

C’était aussi et surtout contre les soixante-douze connards qui m’arrêtent dans la rue pour savoir si je veux pas discuter un peu (non), prendre un café (non), un thé alors (toujours pas), et dans le pire des cas, combien je prends. Moi rien, mais toi, continue un peu et il y a moyen que tu dégustes.

On m’a expliqué, avec des mots choisis délicatement, que c’était simplement dû à la différence entre la situation de la femme marocaine et de l’occidentale. Je ne développerai pas ici la situation des Marocaines, je ne connais pas assez bien le sujet.

Mais être prise pour une pute, juste à cause de la comparaison, ça fait trouver le temps long.

Ça donne envie de partir simplement avec un sac sur le dos, quelque part plus au Nord, et de voir où mène la route.

Je présente mes excuses aux Marocains qui me lisent et à MHyde, notamment.

C’est pas contre le Maroc que j’en ai, c’est contre ce Maroc qu’on m’a montré, qui n’existe pas, qui est fait pour les touristes, un pays de pacotille.

J’avais des choses à dire, et je n’arrivais pas à poster.

La peur de choquer, peut-être, de faire des jugements à l’emporte-pièce, alors que c’est mon blog ici bordel.

Et puis je me suis dit que si je n’arrivais pas à poster, c’était que ce n’était pas vraiment de ça dont j’avais envie de parler.

Alors, j’ai voulu commencer une autre note, quelque chose du genre : Dix bonnes raisons de ne pas aller au Maroc en famille.

J’en ai pas écrit une ligne.

J’en avais long à dire pourtant.

Quand je suis rentrée, j’ai eu Rrose au téléphone. Il m’a demandé comment c’était, et tout ce que j’ai trouvé à lui répondre, c’est : « C’était long ».

Un Noël d’une semaine coincée en famille, une semaine ponctuée de mails pas franchement sympas, auxquels on ne comprend rien, de gens qu’on sait qu’on ne verra plus.

Ce genre de messages me fait un effet bizarre. J’ai beau le prendre avec du recul, me dire, bon, franchement, là, je crois pas que je sois en tort, ça n’empêche, ça me tétanise complètement.

Ça me rend incapable d’exprimer une idée, d’émettre un point de vue. Comme si je n’y avais plus droit.

Je peux dire ce que je veux, dire que je le prends avec philosophie, tout ce que je retiens, c’est que je suis une grosse conne qui passe son temps à blesser ses proches sans le faire exprès.

Ça prend quand même quelques jours pour se remettre en selle.

Et puis, j’ai commencé mon tour des blogs post-vacances, et je suis tombée sur la note de BB-danger. Le début surtout.

Je me suis dit que finalement, on avait eu à peu près le même Noël.

On peut se sentir très très seul en famille.

Et on peut trouver le temps long.

On peut s’en vouloir à mort parce qu’on est dans un pays étranger, parce qu’il y a sans doute plein de choses à voir, à visiter, sur lesquelles s’enthousiasmer.

Parce que l’on sait bien que le voyage est hors de prix, parce qu’on compte les secondes avant le retour, parce qu’on était toute excitée dans l’avion – mais celui pour Paris – alors que les autres disaient « Oh la la, qu’est-ce que c’est passé vite », et qu’on a répondu d’un sourire un peu gêné.

Parce qu’on jubilait en les laissant sur le parking de l’aéroport pour rejoindre le RER B.

Parce qu’ils ont fait de leur mieux, parce qu’ils étaient heureux qu’on soit tous réunis, que ça n’arrivera sans doute plus maintenant des Noëls tous les six, parce qu’ils nous ont fait passer les fêtes par 25 degrés à l’ombre, et que ça n’est pas donné à tout le monde.

Mais c’est comme ça, va bien falloir l’assumer un jour.

J’adore mes parents, et je sais qu’ils m’aiment, mais je ne supporte pas de passer plus d’un repas avec eux, vraiment.

Ça me rend malade de les voir faire tout ce pour quoi ils m’ont emmerdé quand j’étais gosse, tous les petits trucs à la con pour lesquels on se fait taper sur les doigts.

Les fautes de français, par exemple. Moi, j’aurais jamais pu finir une phrase avec une faute dedans. Je peux toujours pas d’ailleurs.

Mais quand on toussote parce qu’ils ont dit « vous disez », on a l’impression qu’on vient de passer les limites, et que l’on est en train de déclencher une guerre nucléaire.

Couper la parole, aussi. Si je coupe la parole, c’est un manque de respect. Si ils coupent la parole, c’est parce que c’est comme ça que fonctionne une conversation de groupe. Ah d’accord.

Si je comprends bien, c’est le genre de conversation de groupe dans laquelle il faut surtout que je me taise.

Et puis, il y a certains jugements, certaines phrases que je ne supporte plus. Je ne les citerais pas ici, je les respecte trop pour ça.

Ils pensent ce qu’ils veulent, va, ils sont grands. Ce qui est rageant, c’est de ne pas pouvoir en parler, ne pas pouvoir dire qu’on est pas d’accord.

Enfin si, on peut le dire, mais on gâche le dîner et on a forcément tort.

Alors, on se tait. On enfonce les ongles dans la nappe, on regarde l’horloge, on pense à ce qu’ils sont en train de faire en France à cette heure-là, et on se tait.

C’est ça. C’est cette impression d’être inférieure, d’avoir tort de toute façon, de ne pas avoir sa place, de ne pas exister.

L’impression d’être niée.

Ça fait tout bizarre de l’écrire comme ça, noir sur blanc.

Et puis, je sais que c’est pas leur but, ça va, c’est pas la peine de me le rappeler.

Mais un exemple.

Le lundi avant Noël, un message sur mon répondeur.

C’est le responsable d’une librairie qui m’appelle.

Mon cœur fait un bon. Je ne me sens plus de joie, je me dis, je vais le rappeler tout de suite, c’est trop cool, quelqu’un a aimé mon CV, mon avenir n’est peut-être pas si bouché que ça, elle me plaît, cette librairie, putain.

Mon père me lance un regard. Pas un regard froid, un regard pire. Un regard qui veut dire : « Là, c’est l’heure de passer à table. Tu n’as vraiment aucun respect pour les autres, tu passeras ton coup de fil plus tard. »

Dans ces cas-là on file droit.

Je passe le repas au taquet.

Je calcule l’heure précise à laquelle il faudra que je le rappelle, en tenant compte du décalage horaire.

Je prépare ce que je vais lui dire.

Je flippe un peu parce que le message sur mon répondeur s’est effacé tout seul, que je n’ai pas eu le temps de noter le numéro, que je n’ai pas bien entendu le nom du mec, qu’il va falloir que j’appelle les renseignements, et que ça promet d’être simple, ça, tiens, depuis Agadir.

Mon père me surveille du regard. J’essaie de participer à la conversation, mes genoux tremblent.

On y arrive, finalement.

Je passe un quart d’heure à patienter sur un standard. C’est pas grave, c’est pas comme si j’appelais depuis le Maroc et que j’étais déjà à découvert.

J’arrive à joindre le type, enfin.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu une voix agressive comme ça.

  • Bonjour monsieur, LBA à l’appareil [bla, bla, bla]…
  • Bon très bien, je vous propose un rendez-vous demain.
  • Ce serait volontiers, mais je suis en déplacement en ce moment.
  • En déplacement ? Quoi, en déplacement ?
  • Ben, en déplacement.
  • Bon, quand est-ce que vous êtes disponible, alors ?
  • Le 27 n’importe quand dans la journée.
  • Le 27 je peux pas. Le 28, 11 heures.
  • Le 28 je ne peux qu’à l’heure du repas.
  • Comment ça à l’heure du repas ?
  • Ben, comme c’est écrit sur mon CV je suis encore en CDD. J’ai des obligations vis-à-vis de mon employeur actuel.
  • En CDD ? Mais ça va pas aller, moi il me faut quelqu’un début janvier.
  • Mais je peux très bien m’arranger avec mon employeur.
  • Non, non, non, il me faut quelqu’un début janvier.
  • Je peux très bien m’arranger avec mon employeur.
  • Non, il me faut quelqu’un début janvier.

Fin de la conversation. Je raccroche un peu stressée. Non, franchement énervée.

Quelle idée de partir en vacances après avoir envoyé des CVs aussi. J’y avais pas droit alors, à cette semaine de pause ?

J’ai besoin de parler à quelqu’un. Je sais que je ne peux pas, qu’on va me faire comprendre que je gâche les vacances de la famille et que je ne pense qu’à moi.

Je me tais. Je suis les autres à Marrakech.

C’est fatigant d’avoir peur de leur réaction tout le temps.

Fatigant de craindre mon père.

Fatigant de soutenir le sourire un peu condescendant de ma mère.

J’ai envie de rentrer.

Comme j’avais besoin de montrer que je suis une grande fille, j’ai parlé de Pierre.

J’avais le cœur qui battait tellement fort qu’on pouvait suivre ses mouvements à travers le T-shirt. Je savais pas que c’était possible.

Ma mère m’a répondu « C’est ta vie », et mon père a dit « Alors comme ça tu as des projets ? »

J’ai dit oui, en sachant très bien que ce n’était pas vrai. On a pas la même définition du mot « projet », tous les deux.

Voilà, je l’ai écrit. J’ai fait ma petite crise d’ado à deux balles. J’ai écrit ce que je n’ai pas le droit de penser et j’en suis désolée.

J’essaierais de plus le faire.

Je demande que ça, moi, de rentrer enfin dans le droit chemin.

Mais j’ai fini par m’asseoir dans le RER B.

Par retrouver Nico et AnotherDay à la maison.

Qu’est-ce que ça fait du bien putain.

Est-ce que c’est normal de se sentir plus en famille avec eux ? Avec des mecs que je ne connais pas depuis six mois ?

J’ai bu tout ce que j’ai pu, parlé tant que j’ai pu – ils ont vraiment du mérite – et je suis plus ou moins tombée dans les pommes.

Je me suis réveillée dans mon lit, enfin, dans celui de Pierre.

Ils m’avaient porté jusqu’à la chambre pour que je puisse dormir à l’aise.

Ça allait mieux.

Je ne sais pas trop que retenir de tout ça.

Ah, si.

Que des vacances sans Pierre, ça n’a aucun intérêt.

Courage, s’il ne s’est pas enfui avec la crémière, on se retrouve dans deux jours.

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