I shot the sheriff

Je fais un job bizarre.

J’en ai chié les premières années pour me caser : avec des études littéraires on peut être prof, on peut être journaliste, on peut être éditeur.

J’aime pas les enfants. Être journaliste me semblait un rêve irréalisable. Je sais super bien lire. Je voulais être éditeur.

Tous comptes faits, devenir journaliste aurait peut-être été un parcours de santé. L’entrée dans la vie professionnelle m’a été une aventure ; et pas du type de celles dans lesquelles on a toujours dans sa poche le couteau et le bout de ficelle qui nous permettront de fabriquer une montgolfière.

C’était une obsession pour moi, dans mes jeunes-années : je n’avais aucune idée de comment j’allais m’en sortir et je n’en menais pas large. Demain était un vertige. Le blog commence là-dessus, d’ailleurs.

Comment ça se passe aujourd’hui dans le métier, j’en ai 0 fichue idée, mais j’imagine que si on ne s’appelle pas Gallimard ou qu’on ne couche pas avec un.e Gallimard, ça ne doit toujours pas être évident d’arriver à ce stade glorieux d’une carrière ou l’on a son propre bureau.

A l’époque, il y avait à Paris quatre promos de DESS. 25 places par promo. 2000 étudiants en Lettres ayant validé leur maîtrise.

Pour entrer en DESS, il fallait avoir faire des stages.

Pour faire des stages, il fallait de l’expérience et un réseau.

Pour avoir de l’expérience et du réseau, il fallait avoir un DESS.

C’était la guerre pour choper un stage de trois mois non rémunéré, et quand on l’avait on ne faisait pas semblant de s’y accrocher. On y mettait son âme.

Stages et diplômes obtenus, restait à prier, entretenir son réseau, attendre qu’un poste se libère. Un poste se libérait comme la comète de Halley, deux fois par siècle : pourquoi en ouvrir alors que tous ces stagiaires font si bien le boulot et se bousculent toutes dents dehors pour ne surtout pas recevoir de salaire ?

Voici pour la ligne de départ. A vos marques. Je partais sans sérénité et avec un handicap supplémentaire. J’avais deux ans de moins que les autres.

C’était rien que de la triche, hein : je suis née en août et ma mère était instit au CP. Je n’ai jamais fait ma grande section de maternelle. Mais j’ai postulé en bac +5 à 19 ans et 48 kilos. J’ai découvert qu’il faut plus de 48 kilos pour être crédible.

Lors d’un entretien d’entrée en DESS édito, j’avais soigné mon look. Je ressemblais encore plus à une gamine de 11 ans et demi. Devant moi assis côte à côte, cinq pontes pour décider de mon avenir.

On m’a demandé quel métier je voulais faire, ce que j’ai trouvé complètement con. Une partie de moi avait bien compris qu’on me demandait si je voulais me lancer côté distribution, diffusion ou édition ; l’autre partie criait très fort « A ton avis, Sherlock ? Je postule pour un DESS édition, je veux être boulanger ». J’ai répondu : « Dictateur ». Les cinq mecs devant moi : « … ». Moi : « Ben …Dictateur, vous savez, Maître du Monde. »

Au bout de ce qui a pu aussi bien être une heure que douze, l’un des cinq m’a dit que mon profil était vraiment intéressant. Que si je n’étais pas sélectionnée cette année, c’était important que je re-postule l’année suivante, que j’étais jeune encore. J’ai souri et j’ai dit que ce n’était pas la première fois que j’étais confrontée à cette problématique : j’avais deux ans de moins que mes collègues de promo depuis quinze ans. Que j’étais jeune et que j’avais aussi mon bac depuis quatre ans. Qu’un regard jeune pouvait être neuf et intéressant : une autre forme d’expérience. Par exemple, ils seraient surpris d’apprendre que non, à 19 ans, le loyer n’est pas offert et qu’on a aussi besoin d’acheter du dentifrice et du PQ. Moi aussi, j’ai besoin de fric.

J’ai été retenue. A moi la joie des stages ingrats et non rémunérés. A moi la vie dans l’ombre à côté de mes idoles littéraires. A moi les flûtes de champagne en soirée avant de rejoindre mes 9m2 avec toilettes communes sur le palier.

2021.

Ma jeunesse est révolue. Je ne m’appelle toujours pas Gallimard. Je n’ai plus du tout deux ans de moins que mes collègues.  J’étais préparée et je ne l’ai pas vu venir.

J’ai pris tellement cher les premières années avec mon syndrome d’incompétence profonde et la conviction que mon changement de carrière n’était dû qu’à ma viscérale bêtise. Je me suis fadée un PDG mégalo, un libraire fou et ma grand-mère en DSI. Un jour je vous parlerai du fou au fusil, de @g@memn@, de Conãrdinho et de Tourista.

Je suis entrée en DESS à 19 ans et aux prud’hommes à 24, sans jamais pouvoir me défaire de l’idée que c’était de ma faute.

J’ai fait des petits jobs de fond de tiroir, j’ai repris mes études et j’ai fait d’autres petits jobs, ceux dont personne ne voulait et qu’évitaient les étudiants en école de commerce ; mais dans un secteur mieux rémunéré. Mon salaire était toujours pourri, hein, mais les perspectives seraient meilleures si j’arrivais un jour à sortir de ma niche. Personne n’a jamais fait fortune dans la validation logicielle.

J’ai commencé à être reconnue sur des sujets que je savais parfaitement ne pas maîtriser et dont je n’avais absolument rien à foutre.

J’ai bossé en douce sur des sujets qui m’intéressaient pour pouvoir laisser discrètement les premiers.

J’ai monté ma première équipe. Et j’ai commencé à prendre mon pied. Je les ai recrutés moi-même un par un. J’ai pu bosser comme je le voulais, les laisser bosser comme nous le voulions. Les mettre en confiance et leur montrer que je les suivais. J’ai adoré ça. Ils me manquent aujourd’hui.

Juin, l’an dernier.

Coup de fil de mon big boss, qui me demande – surpriiise ! – si ça m’intéresse de reprendre une équipe de 35 personnes. La chef de projet s’apprête à partir en congé mat. Son bras droit doit quitter la mission en janvier. Ça te dit d’attaquer en août ?

35 personnes, c’est cinq fois plus que ce que je gérais à l’époque et je ne panais pas le premier mot du nouveau périmètre que l’on me demandait d’appréhender. Mais qu’est-ce que c’était flatteur, qu’est-ce que c’était bon pour l’ego. Mon plumage et mon ramage n’en pouvaient plus de joie. J’ai réfléchi deux jours et j’ai dit oui.

S’en sont suivis six mois à se pendre.

J’avais grandi : je savais que je m’étais déjà relevée une fois, deux fois, sept, je le ferais certainement une trente-deuxième. Je savais aussi me fixer des limites. Si dans tant de semaines, j’en fais toujours des nuits blanches, je rends mon tablier et je ferai comme d’habitude. Je me tournerai vers mon filet de sécurité géant. Mes amis m’aideront bien à dépasser ça.

Caillou numéro 1. Nouvelle mission moins une semaine. Je croise le chef impromptu :

– Dis-donc j’ai réfléchi. Le bras droit (appelons là Corinne, écrire bras droit toutes les deux lignes ça va me gonfler) part en janvier. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va pas la vexer en disant que c’est toi le chef de projet, de toutes façons c’est que pour quelques mois. En attendant on va dire que c’est toi le bras droit.

Oui chef. C’est pas pour ça que j’ai signé, mais honnêtement je m’en fous. J’ai pas besoin de couronne : je suis chef de projet moi, je suis pas là pour souffler dans une trompette et agiter des petits drapeaux. Tant que le rôle de chacun est clair, que je sais où je suis attendue et à quoi je sers, c’est bon.

Ça n’a pas été clair. Je n’ai jamais été fichue de saisir ce que Corinne attendait de moi exactement et je ne supportais pas cette impression d’être payée à ne rien faire. Parfois mon téléphone sonne :

– C’est toi le chef de projet de Machin ?

Je déteste quand je ne sais pas quoi répondre. Je voudrais bien savoir si c’est moi le chef de projet de Machin. J’ai dit : « Que puis-je pour toi ? »

J’ai vidé ma signature de mails. J’étais incapable de mettre un intitulé de poste.

Prendre en main une équipe de 35 personnes en période de pandémie (caillou 1A), c’est un peu comme jongler avec des balles invisibles. On ne sait même pas si on les a attrapées, relancées, où elles ont bien pu tomber.

Je ne comprends pas le premier mot pendant les réunions téléphoniques seule dans son salon, c’est ma nouvelle définition de la solitude (caillou 1B). Parfois quelqu’un me demande de donner mon avis sur ce qui vient d’être dit et j’ai envie de pleurer. Quand je pleure, je coupe le micro.

J’ai fait deux mois avec tellement de réunions qu’il y en avait plus que d’heures ouvrées et qu’il fallait choisir entre pisser et fumer. Les jours où on pouvait aller parfois pisser, s’entend.

Entre les différents confinements, on a pu passer sur site une semaine de temps en temps et découvrir la moitié haute du visage des collaborateurs qui avaient fait le déplacement. Toujours quatre balles invisibles, mais enfin on repère la cinquième.

Nous sommes en avril maintenant. Il y a toujours une dizaine de collaborateurs dont je ne connais que les yeux. Je connais leur nom, leurs problèmes, leurs compétences, leur mode de communication, leurs points de blocage, je peux reconnaître leur voix entre mille, mais je ne connais pas leur tronche.

Les données arrivaient à l’heure en production un jour sur trois. Elles étaient fausses un jour sur deux. Le pilotage était tendu et l’équipe se faufilait entre les gouttes.

Octobre.

Le boss vire Corinne en très précisément quinze minutes. J’avais déjà vu des sorties de mission cow-boy, mais celle-ci m’a laissée assise. Je n’ai même pas été prévenue. Je ne comprends pas pourquoi elle et pas moi ; j’ai seulement l’impression que ce missile est passé très très très près.

Je n’arrive pas à savoir si je suis choquée ou soulagée. J’avais bien vu que Corinne et moi on n’était pas faites pour se marier, mais j’ai quand même eu du mal à encaisser de la voir pleurer.

Deuxième caillou. L’heure de la trompette et des petits drapeaux n’a pas encore sonné. Un nouveau chef de projet est parachuté. Des mois après je n’ai pas encore bien compris pourquoi. Peut-être pour me laisser le temps de monter en compétences, seule dans mon grand salon. Peut-être parce que quelqu’un avec une cravate dans un bureau s’est aperçu qu’il n’y a que des prestataires sur le projet et que la présence d’un agent est une question de vie ou de mort. Ciao Corinne. Bonjour l’agente.

Le temps de réunion est divisé par deux. Parfois, il y a une pause dej. L’équipe ne comprend toujours pas ce qui se passe. On bosse sur la prod. Maintenant quand les données sont en retard, ce ne sont plus les utilisateurs qui nous l’apprennent et on comprend ce qui s’est passé. On a toujours des ronces plein le cul.

L’agente est douée pour ce qu’elle fait mais ne se pose pas trop la question de comment je pourrai l’aider, manifestement. Ce n’est toujours pas clair. Je ne supporte pas cette impression d’être payée à ne rien faire.

L’agente boit beaucoup et rigole fort. Elle a une communication de tronçonneuse. Mon ego est sous mes chaussettes. Je marche dessus.

En réunion de pilotage un soir, la voilà qui claironne : « Bon, j’ai vraiment trop de trucs à faire, je vais plus avoir le temps de m’occuper de Projet Machin. On va voir avec les grands chefs si on peut trouver un autre chef de projet. »

Mes dents sont sous mon ego et sous mes chaussettes. Je suis coîte. Je me demande à quel moment j’ai été dé-chef-de-projetisée. Je réduis mon compteur de nuits blanches avant renoncement.

Semaine suivante.

Same players. Même discours. L’avantage de passer des nuits à me retourner dans mon lit c’est que cette fois-ci, je sais exactement ce que je veux dire. Je dis que ce que j’entends distinctement c’est que je ne sers à rien et que je n’en peux plus qu’on me paye à ne rien faire. Un peu de surprise sur son visage.

Janvier.

L’agente me dit qu’elle a une idée et me demande si je me sentirais de reprendre le pilotage toute seule. Je compte jusqu’à cinq le temps de laisser penser que je prends le temps de la réflexion et je réponds que c’est jouable.

Libération.

J’ai toujours l’impression de ne rien faire, mais je le fais toute la journée et je n’arrête jamais. Je commence à comprendre comment fonctionnent les gens et de quoi ils ont besoin.

J’apprends à faire écran pour les laisser bosser tranquillement.

On maîtrise la prod.

Je fais exactement ce que je veux de mes journées. Je m’organise comme je l’entends et tout le monde a l’air content. C’est une sensation très étrange que celle de n’être rémunéré que pour laisser libre cours à son caractère. J’adore et je n’arrive toujours pas à m’y faire. Parfois, je me pince.

Je les regarde vivre, je les regarde bosser. Je prends les engagements et je me débrouille pour qu’ils puissent les tenir. Je fais en sorte qu’ils aient les mains libres et je me fade les contingences. Je dose la com sur tous les plans pour que chacun puisse avancer sereinement.

Je fais des choix et je me débrouille pour dormir avec.

J’entre dans des bras de fer souriants pour ne pas virer des gens que les grandes gueules avec du pouvoir et le jugement facile veulent sortir. Je me débrouille pour que les premiers comprennent exactement ce sur quoi ils sont attendus et puissent s’organiser et retirer aux seconds leurs leviers d’action et de chantage.

Il y a quelques semaines, lundi matin.

Ça clignote dans les sens sur mon écran. Les stressés, les détendus, les grands communicants, les agressifs, les discrets, ils me parlent tous de la même épine dans le pied aujourd’hui. Ils se plaignent tous de la même personne (celui-ci va s’appeler Denis).

Je les laisse tous parler. Je m’aperçois que cette fois-ci, on est plus là pour rigoler. Peut-être qu’il est très bien comme humain Denis, mais l’équipe ne peut plus le piffrer. Il va falloir se lever de bonne heure pour les faire bosser ensemble.

J’ai laissé passer une heure ou deux parce que je n’avais pas trop de courage et j’ai appelé Denis, qui m’a expliqué que ce n’était pas lui qui avait un problème mais l’équipe. Qu’on ne pouvait vraiment pas parler d’excellence dans un contexte pareil. Que la qualité du code était inadmissible. Que le processus d’habilitation était une foutrerie. Que c’était aux assistantes de gérer les habilitations, pour permettre aux ingénieurs de faire leur boulot d’ingénieur. Qu’il avait 20 ans d’expérience, lui, parfaitement. Qu’il sortait d’un burnout et qu’il en avait de l’hôpital psy donc il savait de quoi il parlait. Que c’était plus simple d’envoyer des mails à tout le monde plutôt que de respecter le process.

J’aurais pu tiquer sur plein de points, mais féminisme oblige, j’ai tiqué sur les assistantes.

– Heu, on est d’accord que c’est un job qui a pas mal évolué depuis cinquante ans non ? Je ne comprends pas pourquoi tu le dis forcément au féminin d’ailleurs.

Il me l’a épelé en écriture inclusive pour me répondre.

A la fin de la conversation :

– Bon. J’entends. Ecoute, honnêtement je suis un peu inquiète parce que…

– Nan, attends. S’il y a un truc que j’ai retenu de mes vingt ans d’expérience, c’est que si tu es inquiète, je ne peux rien faire pour toi. Ton inquiétude t’appartient, tu ne peux pas compter sur moi.

J’ai ri.

– Oui, merci. Je te confirme que je suis une grande fille et que j’arrive assez bien à assumer mes décisions. C’est un peu mon boulot, en fait. Ce qu’on va faire maintenant si tu veux bien, c’est que je vais reprendre ma phrase et que tu vas me laisser la finir, histoire de ne pas me répondre à côté de la plaque. On fait comme ça ?

– …

– Je disais : je suis inquiète, parce que je ne suis pas certaine qu’on pourra t’apporter ce que tu recherches.

Je lui ai dit que la balle était dans mon camp et que je lui ferai un retour au plus tôt. Asap, comme on dit chez nous.

Mauvaise nuit. Je connais des gens très bien qui ont fait un burnout. Je peux écrire un livre sur l’hôpital psy. S’il l’a raconté au bureau, il s’est tiré une balle dans le pied et tout le monde va ricaner, mais ce n’est pas une raison pour le sortir.

J’hésite aussi à le sortir parce que je sais que c’est une façon simple pour moi de marquer des points. Je sais que ce que les autres retiendront, c’est que quand je décide un truc je le fais. Je sais que mon pilotage me suivra sans rien demander – et que ça se verra. Je sais aussi que les gros bras autour de moi ne pourront plus me poussiniser quand j’essaie de sauver la tête de quelqu’un. Fini les « Nan, mais tu veux pas le virer juste parce que tu es trop gentille et que tu ne veux pas faire de la peine. » Ce serait affreux si je m’apercevais que je le vire pour me servir.

On ne joue pas avec la vie des gens.

Et puis je m’aperçois que lui, ce n’est pas comme mon POA (non je ne vais pas expliquer ce que c’est qu’un POA).

Mon POA, ils sont plusieurs à l’avoir dans le viseur depuis des mois. Mon chef l’a dans le viseur. Mon équipe l’a dans le viseur. Moi je suis convaincue que personne ne lui a jamais dit clairement ce que l’on attendait de lui, qu’il est sur la défensive parce qu’il se sent agressé et submergé. Qu’il passe son temps à courir après le train parce qu’il n’a pas le temps de faire les choses proprement et que c’est un cercle sans fin.

J’ai listé avec lui les tâches et les attendus. J’ai prouvé que c’était trop lourd pour une personne. J’ai recruté quelqu’un d’autre. Le binôme fonctionne. Je ne suis pas encore au bout du chemin, mais j’ai déjà convaincu mon chef. Je commence à penser que je vais peut-être réussir à le faire rester. Je vais de vendredi en vendredi. Encore une semaine sans virer mon POA.

Mais Denis, je ne peux pas l’aider. Denis n’entend pas quand je lui parle. Denis juge. La science infuse en Denis.

Je préviens mon chef : warning, demain matin, je vire un presta qui ne s’y attend pas du tout.

J’avais négligé la loi et le process. J’avais dit à Denis que je lui parlerai directement, en oubliant qu’il est presta, ce garçon. Que je n’ai pas le droit de lui faire ce genre d’annonce directement. Je dois prévenir son commercial d’abord. Que je n’aime pas ne pas tenir parole.

J’ai failli lui parler quand même et je me suis dit que je ne lui faisais pas confiance. J’ai appelé le commercial.

J’assume et j’explique mon choix de mon mieux. Putain, ils ont raison les gros bras : c’est un enfer de faire du mal. Je raccroche. Le chef du commercial m’appelle. J’assume et j’explique de mon mieux. J’ai l’impression d’arracher les ailes d’une mouche et d’expliquer pourquoi. Je raccroche. Rendez-vous est pris pour le lendemain, 9h, en présentiel. On est d’accord sur un point : c’est un minimum d’annoncer ça de visu plutôt qu’au téléphone.

C’est maintenant, le moment de sauter.

9h.

Le commercial et son chef sont là. Ils ne font pas plus les malins que moi. Denis lui, n’est pas là. Je ne sais toujours pas si c’était volontaire ou non. Il se connecte à la conf. Je galère comme jamais pour démarrer mon PC. Les minutes coulent doucement doucement.

On se connecte enfin. Denis :

– Par contre, mon PC va lancer un démarrage intempestif dans sept minutes. On fait vite ?

Moi :

– Heu non, je voudrais qu’on prenne notre temps. Tu nous préviens quand tu as redémarré ?

On attend. Le temps ralentit encore, si c’est possible. Que ce box est grand, qu’est-ce que je fais seule sur ce plateau avec ces deux commerciaux à regarder bêtement mon écran. J’essaie de continuer de bosser. Je coupe le son, c’est insupportable ces bips à chaque notification qui résonnent dans tout ce vide.

L’un des deux commerciaux prend la parole. Je sais que vous nous l’avez déjà expliqué hier me dit-il mais tout de même, tout ça est si brutal, je me demande…

On se met à discuter. J’essaie de peser mes mots. Je raconte la conversation que j’ai eue avec Denis en essayant de ne pas le pourrir non plus. Mais je ne peux pas non plus bisounourser : je suis en train de le sortir ce garçon, et ses commerciaux cherchent la faille. Je dis que jamais dans la conversation que nous avons eue il n’a demandé sur quoi il était attendu et comment faire pour qu’on se comprenne mieux. J’ai dit qu’on avait besoin d’un dev java dans l’équipe et que Denis serait sans doute un très bon auditeur, mais que nous n’avions pas besoin d’auditeur.

La conversation dure. Toujours pas de Denis. Je finis quand même par regarder sur l’outil de messagerie instantanée s’il est là et je m’aperçois qu’il est connecté. Notre fenêtre de conversation est partagée, tout le box voit ce qui est écrit.

Moi : Tu es connecté ?

Lui : Ton avis ? Ne me dis pas que tu ne me vois pas en ligne.

L’un des commerciaux soupire. L’autre baisse les paupières.

Moi : On se retrouve dans la conf ?

Lui : J’y suis déjà.

J’ai mis deux jours à comprendre qu’il a sans doute entendu toute la conversation que j’avais eue avec ses commerciaux.

Ensuite c’est allé vite et violemment. Je m’étais préparée à expliquer. Il a dit « Stop, non, stop, j’ai dit. Ce que tu fais est dégueulasse. Je serai là dans une demi-heure pour rendre mon PC ». Il a démissionné de sa boîte dans la foulée.

Avec les commerciaux, nous sommes allés fumer en silence.

C’est moi le cow-boy.

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