Il y a des soirées chargées. Hier soir par exemple.
Je le sentais venir, et j’ai voulu poster hier dans la journée, préparer le coup, raconter ce qui me faisait peur, mais je commence à m’y faire, pas moyen de sortir une ligne.
Forcément, si je me force à faire les choses bien, aussi.
Alors ce matin c’est décidé, fuck off, j’écris comme ça me vient.
Tout le monde prend de bonnes résolutions pour 2006 en ce moment. Je n’ai pas de résolution à prendre, je suis au pied du mur, je n’ai pas le choix. Alors j’ai remplacé les résolutions par des décisions, et j’applique.
Décision numéro 1, prise pendant les vacances.
à Parent pas content,
je m’en fous comme de ma première dent.
Étape A : observation des éléments en jeu.
Fin de mon contrat dans six semaines, et je peux affirmer après avoir mené ma petite enquête que l’emploi ne pousse pas dans les jardins publics.
Pas de travail, pas d’argent.
Pas d’argent, pas de loyer.
Pas de loyer, retour chez Papa-Maman.
Et ça, ce n’est pas une option.
On en a discuté, d’abord avec Coffeeaddict[1], et puis avec Pierre, et on en est arrivés à la conclusion que le mieux serait que je débarque dans l’appart officiellement.
Ça ne sera peut-être pas plus pratique mais ce sera certainement moins malsain.
Emménager avec eux pour de vrai, ça ne change pas grand-chose au quotidien.
Mais ça veut aussi dire lâcher ma piaule, et surtout, surtout, le dire à mes parents.
Et la décision numéro 1, c’est ça : aller voir mes parents la bouche en cœur et leur dire Vous vous souvenez du garçon dont je vous ai parlé il y a deux semaines ? Ben on va emménager ensemble.
Quand ? Maintenant.
Avec quel argent ? Euh, lui et son coloc’ vont m’aider pour le loyer les premiers mois.
Ah oui, parce qu’il y a un coloc’, aussi.
Et éviter de leur dire que ce qui me motive, c’est que je ne veux surtout pas rentrer chez eux.
Étape B : action.
Vous commencez à me connaître.
Une fois que j’ai pris ma décision, j’ai commencé par ventiler et ne plus pouvoir dormir.
J’ai laissé libre cours à ma monomaniaque attitude.
J’avais décidé de les appeler hier soir, et toute la journée au bureau, en sentant l’heure tourner, j’ai tremblé tout ce que j’ai pu.
Et puis, à 18 h 11, j’ai décroché mon téléphone.
J’ai d’abord eu ma mère.
Il y a eu un gros blanc après que j’aie parlé. Un très gros blanc. J’ai eu un peu peur qu’elle se soit évanouie.
Et puis elle a dit :
- Tu veux dire, alors que toi tu es en situation financière précaire et qu’il est étudiant ?
Il y avait plein de choses à répondre. Moi j’étais simplement concentrée pour ne pas céder, ne pas dire, pardon, pardon, je ne le ferais plus, excusez-moi, alors j’ai juste soufflé :
- Oui. Mais on a pris notre décision.
Et puis j’ai changé de sujet, et votre Nouvel An, ça c’est passé comment, bla bla bla.
J’ai raccroché. Je suis toujours vivante.
Bon. Ai utilisé 50 % de mes ressources. Reste à appeler mon père.
Ça m’embêtait quand même de leur dire tout ça au téléphone. Il bosse à Paris, je savais qu’il passerait dans le coin, alors je lui ai donné rendez-vous dans un café quand il sortirait du travail.
Ça m’arrangeait aussi, je savais que ma mère l’appellerait, et qu’il arriverait en sachant.
On est restés une petite heure à discuter et je suis sortie de là atrocement déçue et profondément soulagée.
Non ce n’est pas de ma faute si je me sens toujours si mal en leur présence.
Non, je ne suis pas une fille ingrate.
Oui, ils font de leur mieux pourtant.
Oui, tout marche au tabou et à la culpabilisation.
Oui, je pense qu’ils ne s’en rendent pas compte.
Oui, il faut que je vive loin.
De Pierre et moi, ou plutôt du fait que j’allais emménager avec quelqu’un on a parlé, quoi, cinq minutes.
Les cinquante-cinq restantes, on a parlé des dessins du Canard Enchaîné, de mon boss, du chômage, du chômage, de mon grand-père malade, de ma petite sœur et du chômage.
Ça va vous arranger, c’est pas très long à raconter du coup.
Il m’a dit qu’il pensait que ce n’était pas une bonne idée, j’ai répondu que c’était ma vie. Et il a ajouté qu’il souhaitait que ma sœur ne le sache pas, parce qu’il pense que ce n’était pas un bon exemple pour elle.
Je lui souhaite qu’elle ne regarde jamais TF1, tiens, ça leur ferait une surprise.
Pas une question sur Pierre. Je n’aurais pas dit son prénom, ils ne sauraient pas comment il s’appelle.
Bon, ça leur semble logique de le rencontrer quand même. Bizarrement, Pierre n’est pas très motivé. Je le comprends un peu.
Il fera comme il voudra, moi, j’ai fait mon choix.
Je suis rentrée un peu tard, forcément, et j’ai encore reçu un mail comme ceux dont je parle depuis quelque temps.
C’était un peu trop pour une seule journée.
J’ai décidé que je n’en pouvais plus de me faire marcher sur les pieds, de me faire prêter des intentions qui ne sont pas les miennes.
J’ai piqué une petite colère, j’ai pleuré devant AnotherDay.
Je me suis aperçue que je n’avais jamais perdu mon super pouvoir[2], j’ai simplement culpabilisé parce que je l’avais. Je vais pouvoir réapprendre à l’utiliser, et surtout, l’apprivoiser.
J’ai eu du mal à m’endormir.
J’étais partie pour continuer ma note là-dessus et m’embarquer dans des envolées de colère lyrique, mais j’ai reçu un ou deux mails plus gentils ce matin, et comme je suis bonne poire, je me suis calmée. Enfin, je suis moins furax.
Du coup, pour les détails de l’histoire, on verra plus tard peut-être, quand la tourmente aura recommencé. Ou pas.
[1] Tout le monde aura reconnu Nico, le coloc’ de Pierre, mais celui-ci m’a annoncé dernièrement qu’il tenait à son anonymat. Après réunion du comité de rédaction, j’ai décidé de respecter sa décision.
[2] Note intitulée Quand nous sommes tous du même avis, c’est que personne ne réfléchit, du 5 août 2005.