De l’éjaculation de l’amour propre

Ah les enfants, hier, pas une seconde pour écrire une note. Et aujourd’hui, je sens que je vais l’écrire en pointillé, un coup par ci, un coup par là, mais que ça va être une note de compétition. Une médaille pour ceux qui la liront jusqu’au bout.

Déjà, grande nouvelle (pour moi), les affaires reprennent. Le boss est rentré, ça fait un rythme de folie et des challenges impossibles, et ça fait du bien. C’était déprimant, ce mois d’août à ne rien faire. Hier donc, mon boss préféré me met le grappin dessus au moment précis où je passe la porte du bureau. Comme d’habitude, il me demande un truc énorme pour la veille, je le lui promets pour la semaine suivante, et je me débrouille pour le lui rendre le soir. Début du marathon.

En milieu de journée, il se pointe dans mon bureau comme ça lui arrive de temps en temps (ça veut dire que ce jour-là je fais partie des chouchous, c’est cool), se vautre dans un fauteuil (Vous connaissez Baloo ? Vous lui mettez un costard, c’est mon boss), et commence un long monologue que je fais semblant d’écouter, tout en essayant d’avancer quand même dans mon travail. Et puis en sortant, sans prévenir, d’un coup, comme ça, il me demande : « Tu restes avec nous jusque quand déjà ? »

Arrêt cardiaque. Depuis quelques jours, j’avais commencé à me faire un sang d’encre à ce sujet. Plus que deux mois et demi avant la fin de mon contrat. Et comme LBA, elle a l’esprit de survie quand même, je me demandais fichtrement comment j’allais faire pour payer mes pâtes passée cette période bénie. Pour mon malheur (hein, Charlylie ?), je déteste réclamer quelque chose. Je veux dire, demander une augmentation, un boulot, une faveur. Dans mon éducation, réclamer, c’était le meilleur moyen de se voir refuser ce que l’on convoitait.

Mais quand faut y aller. J’avais pris mon courage à deux mains, je m’étais fait un brainstorming toute seule, et c’était décidé, j’allais lui parler. Bientôt. Que je sache au moins si j’avais, peut-être, un jour, une chance de rester, ou au moins s’il appréciait mon boulot.

Donc.

  • Tu restes avec nous jusque quand, déjà ?

Les genoux de LBA se liquéfient. Prendre l’air sérieux, concentré, aimable, mais pas trop concernée :

  • Ben, mon contrat court jusqu’à la mi-novembre.
  • Ah, c’est bientôt !

Non, sérieux ?

  • Va falloir qu’on en parle, dis-moi. Tu passes dans mon bureau, d’accord ?

Je hoche la tête, re-souris, me replonge dans mon travail ou fais comme si. 18 h 00 tapantes, flippée comme une patate qui regarde la casserole, je lui pose ce que j’ai fait sur son bureau. Le suspense est insoutenable. La sueur coule à grosses gouttes. Il soupèse mon truc (je parle de mon travail, bande de sales pervers), le retourne, le jauge, le juge, et me fait un sourire, jusqu’aux deux oreilles.

Et là, c’est la fête de l’ego. L’éjaculation de l’amour-propre. C’est les « Ah, ça fait plaisir de travailler avec toi », et les « Vraiment, tu es intelligente et tu as une force de travail impressionnante » (je jure, je jure, il a dit ça). Il doit avoir raison. Je suis un génie incompris. Et vu la masse de travail que j’ai abattue ce mois-ci, je suis surtout une grande manipulatrice malgré moi. Ou il a un problème de vue.

J’ai surtout une force de contrôle impressionnante. J’ai gardé mon calme. Si. Même quand il m’a dit : « Si le produit marche et que tu veux rester, je veux vraiment bosser avec toi. Si le produit marche pas ou que tu veux bosser ailleurs, je te garde jusqu’à ce que tu aies trouvé autre chose », je me suis pas agenouillée, j’ai pas chanté un cantique, je me suis pas évanouie, j’ai pas couché avec lui pour le remercier.

J’ai gardé mon calme. J’ai dit un truc fin et raffiné du genre, « Ouais, cool, je vais y réfléchir. Y a autre chose que tu voulais voir pour demain ? », et je suis sortie de la pièce sans me prendre la porte.

Quand je suis arrivée dans mon bureau, mon portable s’égosillait. C’était P., qui en était à son quatrième appel en absence. J’avale un sourire vainqueur (genre, tu fais ton malin, mais c’est toi qui me téléphone), et dans l’euphorie, je décroche.

Lui : Panique pas, mais, ça te dit de dîner avec mes parents ce soir ?

Ce soir s’il fallait, je dînerais avec le pape et ma grand-mère. Et le pape, il parle même pas français et ma grand-mère, elle parle même pas humain.

Je panique pas. Je suis d’une bonne humeur à soulever les montagnes, et je les rejoins.

P. s’est demandé tout le repas si j’avais bien compris avec qui j’étais en train de dîner. Il a passé trois heures à guetter les signes de stress, les signes avant-coureurs d’évanouissement, le moment où ma réflexion aiguisée me mènerait nez à nez avec l’équation fatale : Oh mon dieu = parents + couple + présentation = engagement. Mais non. Rien.

Je me suis aperçue que c’était des présentations, on était déjà sortis du restau, et c’était un peu tard pour revenir en arrière. Même pas peur. J’étais tellement sur ma planète magique quand il m’a téléphoné qu’il m’aurait dit « On se marie, là, maintenant, tout de suite », j’aurais dis oui.

Voilà. Je voudrais remercier mon papa, ma maman, mon producteur et tous mes amis, qui m’ont beaucoup soutenue.

Je voudrais remercier Dieu parce que le parc de Bercy est super joli pendant la pause dej’, ça a été d’un grand soutien (merci mec).

Je voudrais remercier les blogueurs qui ont lu cette note, pour leur indulgence. Parfois, on a l’ego qui déborde, et ça fait du bien. Parfois, c’est en public, et après coup, on est un peu gêné. Parfois, on peut raconter ça sur la toile, et y a pas à chier, c’est quand même bien pratique.

Histoire de me calmer un peu, parce que après, ça fait vraiment mal quand on tombe, il y a ce petit dessin qui marche toujours…

Bulgaria & vodka

Honnêtement, je n’ai pas vu grand chose de la Bulgarie. Déjà que découvrir un nouveau pays en une semaine, c’est un peu short, mais quand c’est vingt potes qui partent ensemble, ça devient vite très compliqué d’organiser quoi que ce soit. D’autant que ces gens-là, ça fait en moyenne six ans que je les connais, que je les croise en soirée.

…Par « je les croise en soirée », j’entends que je les ai toujours vus bourrés, et qu’ils n’avaient aucune idée avant le départ de à quoi ça ressemble, une LBA à jeun.

Ils savent toujours pas. On a tellement l’habitude de faire la fête ensemble qu’on a pas décuvé de la semaine. Faut dire que là-bas, la bière coûte trente-cinq centimes de lev : on pouvait pas passer à côté de ça. Et puis il y a les alcools locaux qu’il faut absolument découvrir (c’est pas moi qui le dit, c’est le Routard), et la vodka qui coule à flot. Résultat, le mariage était pas encore passé que je m’étais déjà pris deux cuites d’affilée. J’aurais voulu voir le pays, je l’aurais vu en double. Et puis même pas de culpabilité : franchement, on peut pas dire que j’étais parmi les plus grands buveurs. Pas que je me batte pour établir un record en la matière, mais là vraiment, j’ai trouvé mon maître. On s’est surpassés.

Bref. Jeudi soir, alcool. Vendredi soir, alcool. Samedi, mariage, donc alcool. Ils étaient beaux mes deux petits choux. La voir heureuse comme ça, j’en étais presque au bord des larmes. Moquez-vous si vous voulez, je m’en fiche. Oui, j’ai pleuré à son mariage. Très con de ma part, le trait de crayon brun au-dessus des yeux, je vous raconte pas la tête que ça vous fait après une bonne crise de larmes. J’aurais croisé l’homme de ma vie, c’était raté.

Dimanche, sieste. Dimanche soir, alcool. Lundi, on est allés voir un monastère, histoire de faire une pause entre deux bars. Ça nous a pris des heures pour y aller, le temps de réunir tout le monde, que chacun finisse de pisser, termine sa clope, comprenne que c’est l’heure, là, faut y aller maintenant. Et puis on a visité toutes les stations-essence sur le chemin : le marié était pendu au téléphone pour essayer de sortir un de ses copains de la prison bulgare dans laquelle il croupissait depuis trois jours.

Faut être con, aussi, pour partir par Eurolines sans passeport. Encore plus con, une fois qu’on s’est fait choper à la frontière serbe, pour s’échapper et essayer de passer en fraude, par la forêt. Et encore plus con, une fois la frontière passée, pour demander de l’eau dans le premier village, et ne pas reconnaître le douanier qui t’a arrêté la veille. Il s’en souviendra de ce mariage.

Le monastère de Rila était magnifique. J’ai pas de photos. On était tous là comme des Japonais, et ça me gonflait, l’idée de regarder un pays à travers un objectif. Et puis en partant de Paris jeudi, j’avais oublié que j’en avais un, d’appareil. Je ne m’en suis souvenue que dans l’avion. Mes photos sont dans ma tête. Elles ont un peu souffert de l’alcool. Si je veux avoir des souvenirs, j’y retournerai.

Lundi soir, alcool. Mardi, camping à Bulgaria Air pour changer mon billet. Je venais de réaliser que mon patron rentrait de vacances aujourd’hui et qu’il n’y avait même pas moyen de rentrer avec une demi-journée de retard. Surtout avec un avion qui part super tôt et de l’alcool dans le sang.

La minette derrière le guichet y a mis, de tout son cœur, toute la mauvaise volonté dont elle était capable et a entubé dans les grandes largeurs le copain qui était avec moi en lui faisant payer un maximum pour finalement ne pas lui changer son billet.

Promis, je ne dirais plus jamais de mal sur l’administration française. Ou j’en dirais moins.

Mardi soir, alcool. Mercredi matin, réveil à 4 h 00 du mat’ (aïe), retour.

Qu’est-ce que je retiendrai de ce pays ? Le contraste entre les bâtiments délabrés, à se demander comment ils tiennent debout, les rues aux pavés mal joints, les bâtisses type architecture communiste, un passé inscrit dans la topographie, et les bâtiments en construction, les nouveaux buildings qui se dressent.

L’inamabilité glaciale des Bulgares. La minette de la compagnie aérienne, c’est une parmi cent autres. Ils suffisaient qu’ils s’aperçoivent que je ne comprenais pas le bulgare pour devenir des murs. J’ai commencé par me demander ce que je faisais de mal. Autre pays, autres mœurs, est-ce qu’il y a quelque chose dans mon comportement qui les choque ? J’en ai parlé à mes amis du coin, et non. Ce n’est qu’une sorte de racisme latent. C’est assez impressionnant de ressentir ça, pas l’habitude. Pour moi le racisme, c’est une notion de rhétorique.

Mais ici, je ne suis qu’une pompe à fric. C’est pas parce que je suis blonde que je ne connais pas les tarifs, connard. Les chauffeurs de taxi qui d’un coup ne comprennent plus l’anglais au moment où je dois payer, il y a un moment où c’est lassant. Les commerçants qui te demandent trois fois le prix qu’il y a sur l’étiquette aussi. Est-ce que les touristes sont accueillis comme ça en France ?

Le voyage m’a laissée frustrée. C’est pas ça que je voulais faire de ma semaine en Bulgarie. Faudra que j’y retourne en plus petit comité. L’ambiance de groupe m’angoisse, me stresse. Ne froisser personne. Se forcer à suivre le mouvement. Aller à gauche quand on voudrait aller à droite, et seule. Ne jamais voir V., ma petite mariée, seule à seule de toute la semaine. La voir stresser pour ce mariage à organiser et ne rien pouvoir faire pour elle. Avant le jour J, elle a perdu cinq kilos en trois jours. C’est la première fois de ma vie que je vois une mariée qui a peur que sa robe soit trop grande pour elle.

Mais voilà, je suis rentrée. Je ferai mieux la prochaine fois. Je suis de retour avec deux nouvelles paires de chaussures, une pensée émue pour chaussurerose, et P. qui avait pris un jour de congé pour me retrouver. Glop. Je me suis vengée de ne pas avoir eu de calins pendant une semaine.

Je dormirai plus tard.

Où LBA est morte de trouille à l’idée de partie en Bulgarie ( et où elle parle d’elle à la troisième personne)

L’angoisse. Ce week-end, j’avais plein de trucs à dire et pas moyen d’en lâcher un mot. J’ai fait le tour des blogs, recommencé cinq fois la même note, renoncé. Et voilà, j’arrive au bureau, et d’un coup les idées se mettent en place, j’ai le clavier qui me démange. Je crois qu’il n’y a qu’ici que j’arrive à écrire des notes correctes. Et merde.

C’est pas comme si je partais en vacances dans deux jours. Pas comme si je butais sur le même problème à la con depuis un mois, à stagner bêtement, à ne rien avoir à présenter à mes boss quand ils reviendront de Bahamas-les-plages blindés de motivation. Et, contrairement aux apparences, c’est pas faute de bosser. Il faudrait vraiment que j’avance.

Je déteste ne pas finir ce que j’ai commencé. Je déteste ne pas résoudre un problème, surtout un problème à la con comme ça. Je déteste l’idée de réquisitionner toute la cellule technique, tout ça parce que je n’arrive pas à faire un copier-coller (j’exagère à peine, le premier qui sourit, je l’étrangle avec le fil de sa souris). Je déteste l’idée d’être payée à ‘ne rien faire’.

Je déteste l’idée de partir en Bulgarie, comme un voleur abandonne l’appartement dont il ne parvient pas à crocheter la serrure. Ce voyage m’angoisse. C’est pas des vacances, c’est de la représentation. Mariage de l’une des mes meilleures amies, faire attention à ce que tout soit parfait, ne pas lui gâcher la semaine de sa vie.

Je dors chez le marié, c’est certainement pas comme ça que je vais rattraper mes semaines de sommeil en retard. Il va falloir sourire, faire risette, avoir une épilation parfaite et des vêtements repassés au millimètre. Pas moyen de s’isoler une demi-journée. On est une petite vingtaine de ses amis à partir, et il va falloir suivre le groupe. Je sais bien qu’elle vient de passer un mois à tout organiser.

Il va falloir se lever en même temps que tout le monde, se coucher en même temps que tout le monde. Pas moyen de partir trois jours sac au dos, limite avec une boussole et un couteau, voir à quoi ressemble ce pays quand on ne le regarde pas à travers les vitres d’un bus touristique.

Je m’en veux aussi parce que je vais lui faire faire un aller-retour supplémentaire à l’aéroport, comme si elle n’avait que ça à foutre. Tout ça parce qu’A. en réservant les billets, a pris la décision unilatérale que l’on serait bien mieux tous les deux tous seuls dans un avion plutôt qu’avec tous les autres. Sauf qu’entre temps on a rompu, qu’il a décidé finalement de ne pas venir (bien, pour simplifier l’organisation, les invités yoyo), et que je me retrouve à squatter un jour plus tôt.

Je déteste me dire que quand mon avion atterrira une semaine plus tard, je rejoindrai directement le bureau, que je ferai une entrée la plus discrète possible avec mon énorme sac à dos, en priant pour que personne ne se soit aperçu que j’ai une demi-journée de retard.

J’angoisse, parce que mi-novembre, c’est la fin de mon CDD, parce qu’on me pose trop de questions.

  • Tu crois qu’ils vont te proposer un CDI ? Bah non, je lis pas encore dans le marc de café. Je vois toujours pas à quoi je leur sers dans cette boîte, alors…
  • Tu veux rester en CDI ? Plutôt mourir que de répondre à cette question. Dire oui, et que cela ne me soit pas proposé, ça équivaut à se prendre un énorme râteau. J’ai qu’un seul ego, merci d’en prendre soin.
  • Tu vas chercher un truc dans l’édition ? Je veux même pas répondre.
  • Tu as toujours tes contacts dans le milieu ? Mais les gens ne voient jamais quand il faut s’arrêter ? Ils ne sentent pas quand leurs questions, leur empressement, leurs interrogations, c’est trop, c’est trop ?
  • Tu vas commencer quand à chercher un nouveau boulot ? Août, c’est pas une super période pour ça, t’as raison. Mais c’est dommage, parce que là tu as du temps, mais comment tu vas faire en septembre octobre ? Là, je vais frapper. Tu crois que je n’y avais pas pensé ? Quand comprendront-ils que l’idée même d’un échec possible m’empêche de dormir ? Que je me sens comme un lutin face à une montagne ? Que j’ai l’air de parler beaucoup comme ça, mais que je ne suis capable de parler que de ce que j’ai digéré ? Que parler à quelqu’un de mon avenir professionnel m’est tout à fait impossible, parce que si je n’arrive pas à faire ce que j’ai dit, l’échec sera encore plus lourd : quitte à se planter, autant pas le faire en public. Je ne sais pas gérer l’échec. Je n’ai jamais su gérer l’échec.

Je déteste passer le week-end chez mes parents, prendre dans la figure tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne serai jamais. Regarder en face tous les choix que je ne saurai jamais assumer. Me demander pourquoi je culpabilise comme ça, pourquoi je leur en veux finalement, alors qu’ils ont tout fait pour moi.

Je déteste voir ma petite soeur pleurer.

J’angoisse parce que ce soir c’est marathon, comptes, repassage, épilation, courses, sac. Que du sexy et du passionnant. C’est mon avant-dernière soirée à Paris, et je vais la passer sans P. Je veux pas partir en vacances.

Je déteste quand tout ça me submerge et que je suis avec P., à faire la gueule tournée contre le mur, et que je ne peux pas lui expliquer. Je déteste cette impression que ça creuse un fossé entre nous. Je déteste les bêtises noires que je peux balbutier pour tenter une explication. Je déteste sa façon de me serrer dans ses bras sans comprendre. J’aime sa façon de me faire l’amour. Je déteste l’angoisse qui ressurgit dès que je ne suis plus dans ses bras.

Je déteste ne pas réussir à lui dire que même agressive, tendue, même quand je ne l’appelle pas, surtout dans ses cas-là, je tiens à lui beaucoup plus que je ne le montre. Qu’il me manque dès que j’ai fermé la porte. Que je le respecte. Qu’une semaine sans lui, ça me paraît insurmontable. Que je voudrais être capable de partager avec lui mes crises d’angoisse, comme il est capable de le faire avec moi.

Je déteste essayer de dire ça, sortir une fadeur et passer pour une conne.

Calimero party

Dans l’actualité du jour : c’était mon anniversaire hier. Tout le monde s’en fout, me direz-vous. Ben voui, j’ai vu ça.

Être née en août, c’est un drame. Tous les potes sont en vacances. Les meilleurs amis (ou ceux que l’on a le plus saoulés avec ça), appellent, envoient un sms ou un mail. Les parents sont en vacances. Et du coup, soyons honnêtes, ils s’en foutent. Trop occupés à écarter les orteils pour bronzer partout.

Pour mes 19 ans, ils m’avaient encore jamais fait le coup de m’oublier, j’étais pas préparée à l’époque. J’ai passé la journée du 7 à tendre les yeux et les oreilles pour deviner ce qu’ils avaient prévu.

Le soir, j’au tenté une allusion discrète (je suis toujours d’une discrétion et d’une finesse impressionnantes) à mon anniversaire. J’ai vu une lueur de panique traverser leur regard. Mon père est sorti de la pièce en trombes et j’ai entendu la voiture démarrer. Au dîner, sous ma chaise, il y avait le range CD offert en prime à la station essence.

Une de mes cousines s’est mariée le jour de mes 22 ans. Forcément, le 7 août, en plein été. Quelque chose me dit que ça va être comme ça tous les ans maintenant.

Ah, ça oui, ça a été une jolie fête. J’étais limite un peu gênée, moi, avec mon portable qui n’a pas arrêté de bipper et moi qui répondais tout bas « C’est gentil de penser à moi… Oui, moi aussi, je t’embrasse. »

La mariée me regardait de travers. C’est vrai que je poussais loin dans la goujaterie. Vers 22 heures mon père m’a fait remarquer (je pense que le message subliminal, c’était qu’il fallait que je coupe mon portable) que j’avais beaucoup de succès aujourd’hui. Et là, limite honteuse : « Euh, oui, Papa, c’est normal, c’est mon anniversaire… »

Il est devenu tout blanc, et il m’a fait un gros bisou.

Mais la palme, c’est quand même cette année. Le WE de mon anniversaire, on fêtait les cinquante ans de mariage de mes grands-parents. Samedi matin, debout à 7 heures, trois heures de train et six heures de repas. Six heures de repas.

Ça fait deux jours que c’est passé et je n’en reviens toujours pas. Je n’avais presque pas dormi depuis une semaine, et d’un coup, j’ai compris pourquoi la privation de sommeil était la pire des tortures. Je viens d’une famille catho. Vraiment catho je veux dire, et le repas, coincée entre les cousines, c’est pas exactement ce que j’appellerais un moment culte de mon existence. Les vieux oncles et tantes qui viennent entre le fromage et le dessert te lécher les joues pour te dire qu’ils sont tellement contents de te voir, que tu ne donnes pas suffisamment de nouvelles (tu m’étonnes), et que tu as tellement grandi (oui, en six ans, d’autres l’ont fait, j’ai aucun mérite), je suis désolée, je déteste. Une demi-heure, c’est déjà trop long, mais six heures, c’est insoutenable.

Bref. Enfin, on arrive au gâteau. Les deux grands-parents, les dix enfants et les vingt-sept petits-enfants, on se retrouve comme des cons autour de la pièce montée, et chacun se met à mugir : « JO-YEUX-AN-NI-VER-SAI-RE-pause-JOYEU-EUX-AN-NI-VER-SAIRE », et ainsi de suite.

J’en profite pour me tourner vers mon père, en lui disant que je suis vraiment touchée qu’ils aient pensé à moi, que c’est une attention qui, vraiment, me fait plaisir. Il devient blanc (ça devient limite lassant), et il m’embrasse en me souhaitant un bon anniversaire. « Non, ça va Papa, c’est demain seulement, pour moi », je lui ai répondu. Il est devenu tout rouge.

On est tous bien d’accord, pour qu’il ne m’oublie pas dimanche, la perche était grosse, l’hameçon bien tendu. Eh ben, si. Ils ont réussi. Vers 12 h, en sachant que mon train partait à 14h, quelqu’un me demande quel est l’écart d’âge entre l’aîné et le dernier des cousins. L’aînée, c’est moi, et le dernier, il a six mois. Et moi de répondre : « Ben, 22 ans, puisque j’en ai 23 aujourd’hui. »

La personne en face de moi a laissé échapper un joyeux anniversaire gêné, et est sortie de la pièce.

Vous ne devinerez jamais ce qu’ils ont fait. Ils ont voulu rattraper leur oubli, me faire un cadeau, me montrer qu’ils pensaient à moi, bla, bla, bla,bla. Ils ont pris le premier truc qu’ils ont trouvé, et ils ont tous signé dessus. Oui, oui, c’est mignon. Sauf que le truc en question, c’est une peau de bête, du cuir.

Ça pue, mes amis, mais ça pue !! Et puis c’est kitsch ! Dans le train du retour, ma peau soigneusement emballée dans mon sac, il m’a fallu affronter les regards suspicieux de tout le TGV, chacun se demandant combien de temps il fallait tenir sans douche pour réussir à schlinguer à ce point-là. Et puis chez moi, ça fait neuf mètres carrés. Vous avez déjà essayé de dormir dans neuf mètres carrés, avec une peau de bête morte qui essaie de vous assassiner par asphyxie ?

Ce que j’aime, c’est mon père qui se moque de moi en me disant que je me sens toujours mal aimée. Il a pas entièrement tort.

Bon, c’est pas tout ça, mais il ya quand même des gens qui m’aiment. À partir de minuit, j’ai eu plein de mots gentils sur mon portable. J’ai reçu un DVD de A…, un joli collier de la part de ma petite sœur, un mail avec des fleurs partout de Garulfo, des pâtes et de la sauce tomate de la part d’un collègue qui se marre parce que je dis toujours que j’ai rien à bouffer, une tasse et une petite cuiller de la part d’un autre qui en a marre que je taxe les siennes, une invitation au restau de la part de P., et une peau de bête morte.

Ah non pardon, je suis de mauvaise foi. Mes parents m’ont dit le mois dernier qu’ils me payaient la moitié du billet d’avion pour la Bulgarie. Ça, ça va me rendre service.

Sans transition aucune, j’ai une grande question : comment font les gens qui vivent ensemble pour continuer à mener une vie professionnelle et une vie sociale ? Ça fait un mois que je suis avec P. On passe en moyenne une nuit sur deux ensemble. Or, une nuit ensemble, c’est une nuit blanche, ou presque. Même quand on en peut plus de sommeil, on continue à discuter, à faire des câlins, etc. C’est pas possible de dormir quand il est là, c’est à la limite du concevable. Résultat, j’arrive à dormir debout dans le métro, pas moyen d’enchaîner deux phrases sans dire une connerie, mais une vraie, une belle, une blonde, je suis au bord de la dépression nerveuse les soirs ou je suis seule si je ne me suis pas endormie à 21 heures (et comme il me manque, je ne dors pas à 21 heures), et je n’en fous pas une rame au boulot.

À la place, je m’occupe de mon blog. Effet papillon. D’ailleurs, je me demande bien comment je vais faire pour l’entretenir, mon blog, en septembre, quand le patron sera rentré et que j’aurai plus le choix, faudra bosser.

Dire des conneries, c’est pas que ça me gêne, mais en dire à P., les dire non pas parce que je suis débile, mais parce que je suis claquée, ça, ça me saoule. On a pas idée de demander à 2 heures du mat à un mec avec lequel on couche depuis un mois : « Tu m’aimes ? »

Il m’a répondu, avec un sourire et un bisou : « Je commence… »

C’est bon, l’honneur est sauf.

Ce matin, j’ai reçu un coup de fil d’A. On était censés se voir cette semaine, et j’étais pas franchement motivée. C’est pas que je n’ai pas envie de le revoir, mais il faut que je lui annonce que je me suis recasée, et vu la forme qu’il tient, j’ai le pressentiment que ça va pas être un moment agréable. Il m’appelait pour me dire qu’il ne se sentait pas bien, que tout ça, c’était encore trop frais, et qu’il préférait attendre avant de me revoir. J’ai comprimé un soupir de soulagement.

Shame on me.

Quand nous sommes tous du même avis, c’est que personne ne réfléchit.

Attention, c’est parti pour la note la plus difficile à cracher que j’aie jamais faite, et je l’espère, la plus confuse avant longtemps. Aujourd’hui, c’est questions existentielles.

Il y a quelques mois, j’ai fait un grand pas en avant vers le monde des adultes : j’ai perdu mon super pouvoir.

Vous avez lu L’Arrache-cœur de Vian ? J’ai lu ça il y a longtemps quand j’étais au collège.

Les trois gosses, qui ont des noms à coucher dehors, ont des pouvoirs qu’ils cachent à leur mère (voler, par exemple). C’est un pouvoir lié à l’enfance. C’est une protection contre le monde extérieur, une protection qui rend capable de l’affronter. Une protection qui permet surtout de se supporter soi-même.

Mon super pouvoir, c’était d’avoir décidé que le regard des autres, je m’en balançais bien bas, que je pouvais assumer tout ce que je faisais. J’avais peur de rien. C’était pratique, pour être bien dans ses baskets. Dans une soirée, à la fac, on voyait que moi, logique, je prenais toute la place. En plus, j’adorais ça. Je me prenais des cuites de compétition, je faisais n’importe quoi. Je m’en foutais.

Au premier abord, au premier contact, je dis pas, c’est certainement déconcertant. Mais ça aussi, ces gens qui te prennent pour une folle ou une égoïste allumée qui parle fort, c’était choisi.

Pas forcément fait exprès, du moins pas après les premiers temps, mais choisi. C’est que les gens qui restent, ce sont ceux qui ont fait la démarche de creuser un peu, ceux qui ont fait l’effort de chercher à voir qui tu es vraiment. Ce sont eux, finalement, les seuls intéressants.

J’ai perdu mon super pouvoir vers février, quand j’ai commencé à voir des choses que je n’aimais pas dans le regard de mon entourage. Pas les gens vraiment proches, plutôt ceux du second degré (je ne sais pas comment l’expliquer autrement). Ça aurait du passer comme une pluie en mai, et non. Ça a été douloureux. Je me suis aperçue que j’avais besoin qu’on m’aime. Que mon ego affamé, surdimensionné, c’était pas un hasard. J’ai compris que j’avais vraiment besoin qu’on m’aime, que je n’étais plus capable de supporter un regard désapprobateur, une remarque désobligeante. Pas parce que ça me vexait, mais plutôt parce que je me sentait nulle. C’est pas facile de passer d’une personnalité forte qui prend de la place, à quelqu’un qui a besoin du regard des autres pour savoir s’il a raison. Ou peut-être qu’en fait j’ai toujours eu les deux versants dans ma personnalité, et que je le savais pas.

Il s’est passé alors quelque chose de bizarre, un bug. La machine m’a échappé. Je me souvenais bien que j’avais eu un super pouvoir, que j’étais capable de retenir un auditoire sur une histoire inintéressante, de me taper précisément le mec que je voulais me taper, de me mettre dans la poche le prof que je voulais me mettre dans la poche. Je savais bien que j’avais été comme ça. Mais je ne savais plus comment j’avais fait, je ne savais plus que je l’avais fait exprès, je ne savais plus comment on assumait, et j’ai commencé à me prendre les retombées radioactives. La machine s’est emballée dans mes mains.

Je parle toujours fort en soirée. Je suis toujours la bonne copine de tout le monde, je jongle toujours entre les messages de Marcel, Paul et Jean (ou Robert, ou Jean-Marc, on s’en fout). Seulement maintenant je le vois le mec qui n’a rien dit depuis vingt minutes, assis au fond avec son verre, qui te regarde et qui se promet que plus jamais il ne remettra les pieds dans la même pièce que toi. Je la vois l’expression au fond des yeux de cet autre qui se dit que vraiment, tu dois être drôlement mal dans tes baskets (Sherlock Holmes, le type), et qu’il plaint le mec qui t’accompagne.

Je vois tout ça. Je suis bloquée, je peux plus rien faire. Où que je sois, en soirée, avec des copains, au boulot, avec mes parents, de la famille, mon ex ou P., je suis coincée. Il y a un petit moi qui me regarde de très haut et qui soupire.

C’est pas un soupir flatteur.

Ces derniers jours, P. abordait le sujet discrètement, mais régulièrement. Genre, va quand même falloir qu’on en parle. Il a formulé ça joliment, il a dit : « Tu sais, t’as pas besoin de prendre toute la place comme ça, je t’ai vue. »

Il m’a vue, et tous ses potes avec lui, et tout le XIII° arrondissement avec lui. Comment on fait pour rester en retrait ? Non, sérieusement, comment on fait quand, vraiment, on sait pas faire ? Comment on fait pour pas bouffer les gens ? Comment on fait pour arrêter de respirer l’oxygène de son prochain ? Comment on fait pour arrêter d’avoir besoin de boire leur énergie pour se sentir vivre ?

Ça vous est déjà arrivé de vous réveiller un matin et de vous apercevoir que vous étiez une mante religieuse, que vous aviez consciencieusement sucé jusqu’à la moelle tous les mecs/filles avec lesquel(le)s vous étiez sorti(e) ?

Le coté obscur du super pouvoir, que ça s’appelle.

Je ne sais pas ce qui est le plus difficile. Pour l’instant, il me semble, ce sont les gens, proches ou moins proches, qui m’en parlent ou qui y font allusion. Le pire du pire, évidemment, étant les plus proches (P., si tu nous regardes…). Ceux qui parlent à mots couverts s’attendent à ce que je ne comprenne pas. Ceux qui en parlent à cœur ouvert mettent les bouchées doubles pour me secouer. Ils s’attendent à devoir lutter pour m’arracher un « Oui, peut-être, tu n’as peut-être pas entièrement tort. »

Ils parlent et je ferme les yeux. J’essaie de les écouter, je me dis que j’avancerai jamais sinon. Ils s’enhardissent, je ferme les yeux plus fort. Je finis par les couper en disant : « Ta gueule, ta gueule, je sais, je sais. »

Je sais, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Tant que j’étais célibataire (ce qui a duré au moins deux semaines), à la limite, c’était pas grave. Il n’y avait qu’à moi que je faisais du mal. Maintenant je suis responsable pour lui aussi. Je le force à assumer avec moi, et il a rien demandé, lui. Rien que pour lui, faut que je fasse quelque chose.

Il y a quand même une chose avec laquelle j’ai du mal. Quelque chose auquel je tiens, qui est important pour moi, mais qui n’existe pas et qui fait que mon système n’est pas viable. Jamais, jamais au grand jamais, ou alors complètement à l’insu de mon plein gré, je ne juge les gens au premier abord. Au deuxième et au troisième non plus. Comment peut-on juger quelqu’un avant de le connaître ? En fait, comment peut-on juger quelqu’un tout court ?

Je ne voudrais pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.

Je veux dire, je n’aime pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.

Mais je crois que je suis toute seule à fonctionner comme ça. Tant pis pour moi. Au moins, pour me remettre le pied à l’étrier, il me reste Vera et ma BB-danger, qui prennent au moins autant de place que moi. Ça fait du bien.

Humeur du Moment : je regarde mes pieds.

Becoming a big person

En société, on est censé éviter de parler sexe, argent et religion. Ce sont des sujets qui fâchent. En ce qui concerne le premier, j’ai toujours beaucoup de mal à me retenir, je dois bien le reconnaître. En fait, quitte à être honnête, autant l’être jusqu’au bout : je dois avouer que je parle beaucoup argent et religion aussi. Mea culpa.

Argent, surtout – oui, je sais, ça fait rat, surtout avec ma note du 21 juillet, j’ai honte. L’argent, c’est quelque chose d’important dans la vie (j’allais écrire dans ma vie), surtout quand on en a pas. On doit être nombreux à être passés par là. On croit qu’on va goûter aux joies de l’indépendance, et puis on tombe de chez BisounoursLand.

Ici, c’est mon blog, alors rien à foutre. Je vais dire ce que je m’empêche de dire en société, je vais parler fric. De toute façon, personne ne le saura jamais, à part BB et Garulfo (biz).

Résumé des épisodes précédents :

Je bosse depuis à peine plus de deux mois et je découvre les joies de la vie vraiment indépendante.

La joie de faire ses comptes toute seule.

La joie de surveiller bred.fr d’un œil inquiet pour voir si cette putain de paie est enfin tombée.

La joie de se demander chez qui on va squatter pour laver son linge parce qu’on a complètement oublié d’inclure le Lavomatic dans le budget.

Bon. Je m’aperçois que je fais tout un scandale et que je me plains beaucoup pour rien. Tout bien réfléchi, je le vis bien. Je m’accorde toujours mes bières hebdomadaires. Je fais l’impasse seulement sur les fringues, les CDs, les bouquins et la bouffe (est-ce que les pâtes, ça compte comme de la bouffe ?).

Là j’angoisse seulement un peu parce que je viens de finir mes comptes. Deux heures passionnantes, qui marqueront mon existence. Alors il y a une bonne, et une mauvaise nouvelle (pour moi, évidemment, le reste du monde s’en tamponne – Peebee, si tu nous regardes).

La bonne, c’est que je suis hyper fière de moi : j’ai trouvé le même score que le mec de la Bred. Et je suis une vraie vraie quiche en maths.

La mauvaise, c’est qu’il me reste mille balles pour vivre jusqu’à la fin du mois. Sans compter les factures qui ne sauraient manquer de tomber d’ici là. Je parle en francs, évidemment. Eh ouais, les billets d’avion pour la Bulgarie, le loyer et les CBs du mois dernier d’un coup d’un seul, ça fait mal. En maniant les chiffres, j’avais l’impression de jouer avec des millions

Elle est belle la vie indépendante. Je viens de passer dix minutes au téléphone avec mes parents pour leur parler, de la pluie, du beau temps, de la vie à Paris, et du fait que, éventuellement, je leur taperais bien deux mille francs.

Personne est dans le même cas que moi (oui BB, je sais, je sais…) ? On monte un « pas-de-thunes Anonymes » ?

Allez. Je serre les poings, j’arrête de jouer ma Cosette, et je me concentre : un jour, j’y arriverai.