Deux cuillers à café de lâcheté, un soupçon de culpabilité, mélangez.

Deux heures de retard ce matin au bureau. Et la veille, une heure de retard. Argh. Mais c’est pas de ma faute, c’est parce que j’ai passé une nuit émotionnellement mouvementée… Forcément je me suis endormie un peu tard (genre 5 heures du matin), et la sonnerie du réveil ne m’a pas fait beaucoup d’effet. Ce qui m’a réveillé, c’est :

  • Euh… Chérie, tu vas pas aimer ce que je vais te dire, mais il est 9 h 40.

Ça, ça vous réveille un homme. Je suis censée commencer à 8 h 45.

En rentrant hier soir, j’avais besoin de réconfort, j’avais eu un gros coup de stress. Il m’était arrivé quelque chose comme on en voit que dans les films, et dont je n’étais pas très fière.

Avant de commencer à raconter ça, il faut que je donne quelques informations de base. Tout le monde a toujours une logique inconsciente dans le choix de ses amours et/ou amants. Ils ont toujours un point commun, quelque chose que l’on recherche sans le savoir. Dans mon cas je parlerais plutôt d’abonnement, ou de coïncidences bizarres, qui concernent leurs appartements.

Il y a quelques années, je suis sortie avec un mec qui habitait à la frontière de Villejuif et du KB. Glauque. Quand je suis partie, je me suis promis de ne plus jamais y remettre les pieds. Mais il ne faut jamais dire fontaine, et quelques semaines plus tard, je me suis aperçue que le nouveau tenant du titre habitait à cinq-cents mètres du précédent, plus près de Paris.

Et ainsi de suite jusqu’à P… (le jeune homme qui m’a réveillée ce matin, et qui est le héros de quelques-unes des notes précédentes), en saut de puces de cinq-cents mètres du nord de Villejuif à la Butte-aux-Cailles.

Moi je dis, à ce rythme-là, je vais bientôt pouvoir hériter d’un superbe appartement dans le VI° (désolée pour les non-Parisiens, je vous assure qu’il y a là-dedans une logique géographique profonde).

Bref, mon ex, avec lequel j’ai rompu le mois dernier, habite tout près de chez P… D’ordinaire je ne m’inquiète pas trop de le croiser ; c’est rigolo comme à deux rues près on ne fréquente pas les mêmes magasins, les mêmes bars, le même chemin pour rejoindre le métro. Et puis Paris, c’est grand, il y a du monde, il faudrait vraiment qu’on soit exactement au même endroit au même moment, ça a quand même peu de chances de se produire. Je savais qu’il était dans le coin, mais je n’y pensais pas trop.

Vers 22 h 30 hier soir, on revenait de porte d’It avec P… pour rentrer chez lui. Exactement l’itinéraire à suivre pour aller chez mon ex.

Je me tiens à un bon mètre de distance, je stresse un peu, je l’écoute d’une oreille distraite, je scrute devant, derrière et sur les côtés. Il faut dire que j’ai rompu il y a à peine un mois, que j’ai certifié à A… (mon ex, donc) que de toute façon il était impensable que je me recase avant au moins deux ans, que je sais qu’il m’aime toujours, qu’il a été vraiment classe en préférant faire le mort que de me peser avec ses problèmes de cœur, et que je ressens beaucoup plus de choses pour le garçon qui m’accompagne que je ne l’avouerai jamais, même si on me chatouille les pieds avec une plume. Bref, je ne suis pas tranquille.

Et là, un souvenir ressurgit d’un coup. On est mercredi soir, le soir où il va au judo, lequel club de judo est très exactement sur notre chemin. Le cours termine à 22 h 20, et le temps de se changer, il sort à 22 h 30. Il est 22 h 30.

Le temps de prévenir P… qu’on risque de faire une rencontre surprenante, je fais un arrêt cardiaque. Je vois la silhouette d’A…, arriver du fond de la rue. Il regarde ses pieds. Longues secondes. P… est perdu dans ses pensées, il ne remarque rien. Je me demande jusqu’au dernier instant comment je vais réagir quand on va se croiser, comment je vais expliquer ce que je fais ici à une heure pareille et qui est ce type qui m’accompagne.

On se rapproche, on se rapproche, on va se croiser… Et je fais un bon de côté pour me planquer derrière une plante verte. Il ne m’a pas vue.

Je croyais pas que c’était possible le coup de se-cacher-derrière-une-plante-verte, je croyais que c’était juste une grosse ficelle de scénariste et que personne se laisserait avoir par un truc pareil ; ben si.

Il est passé. Je suis sortie de ma planque à trois francs, et je suis restée scotchée sur le trottoir, à le regarder s’éloigner.

Je me suis mise à trembler.

Humeur du Moment : honteuse

Eh, Mademoiselle !

Je suis une Parisienne chauvine. Passé le périph’, je suis paumée, pire que paumée, je suis malheureuse. Les provinciaux me regardent souvent de travers quand je dis ça, et de toute façon, j’arrive pas à leur expliquer ce qui me plaît exactement.

Oui, c’est une ville étouffante, oui, c’est pollué, oui les gens sont pas souriants, oui je sais, la ville de l’amour mon cul, oui, oui, oui. N’empêche. Pour moi, c’est comme un milieu hostile dont je connaîtrais les règles par cœur. Une sorte de jungle, mais dans laquelle je saurais comment survivre jusqu’au lendemain. Vous pouvez penser que j’utilise des images grandiloquentes ; ce que je veux dire, c’est simplement que je m’y sens à ma place.

J’ai fait deux fois le tour de l’Écosse en stop, j’adore ce pays, vraiment. Comparé à Paris, on peut pas dire que ce soit vraiment la même chose : là-bas, il y a plus de moutons que d’humains. Eh bien, je dois avouer que l’un des meilleurs moments du voyage, c’est en rentrant de Roissy, dégueulasse, la maison sur les épaules, par ce putain de RER B (une parenthèse pour dire que si c’est le RER B qu’on impose aux touristes quand ils arrivent des aéroports, ils doivent être très très motivés par les Champs-Élysées, pour pas retourner dare-dare dans l’avion.)

Pourquoi l’un des meilleurs moments ? Parce que immanquablement, il y a un con pour s’asseoir à côté de toi, te demander si tu rentres de voyage (à ton avis, connard ? Je viens du Lavomatic, ça se voit pas ?), si t’as le temps de prendre un café, si tu as un mec et l’envie de faire l’amour, là maintenant, tout de suite. Vu comme je dois puer dans ces moments-là, je me demande si je devrais pas dire oui, juste pour voir leur tronche quand ils m’auront déshabillée.

Bref, j’aime ce moment, parce que des cons pareils, j’en ai jamais vu qu’à Paris. J’aime ce moment parce qu’il veut dire que ça y est, je suis rentrée chez moi.

Alors on va mettre les choses au clair tout de suite. Mon trip dans la vie, c’est pas de me faire draguer par des frustrés en puissance dans le métro. Ça fait simplement partie de ces choses qui arrivent tous les jours à Paris et qui font qu’on sait qu’on est chez soi. Ça fait partie de ces règles du jeu que tout le monde connaît et que personne n’énonce. Comme rester à droite quand on avance pas dans les escaliers mécaniques.

Quand je suis arrivée à Paris il y a six ans, et que j’ai commencé à me faire aborder dans la rue, j’ai trouvé ça flatteur. Et puis j’ai vite compris que ça n’avait rien à voir avec moi, qu’il suffisait d’avoir des seins pour ça. Ce avec quoi ça a à voir, c’est la misère sexuelle des grandes villes. Point.

Progressivement, on commence à avoir des trucs pour se débarrasser des pots de colle chroniques.

Il y a l’hyper classique « I don’t speak french », mais il faut reconnaître que c’est pas très rigolo. Je préfère répondre tout de suite : « Ah, non, pas encore (appuyer sur le en de « encore »), c’est le douzième aujourd’hui ! ». Là, c’est assez marrant, parce qu’on a juste le temps de voir sa tête déconfite, et qu’on dispose de trois secondes pour se casser avant qu’il réagisse. On peut aussi appeler une copine et lui faire une grande déclaration d’amour au téléphone (vaut mieux qu’elle soit dans le coup, sinon, ça risque de la surprendre). Quelques exemples en live.

Un jour, sur la ligne 1 à l’heure de pointe, la vraie, la pure, la dure, la tatouée, j’ai senti une main sur mes fesses. Quand je dis une main sur mes fesses, c’était du malaxage en règle.

Eh ben aujourd’hui, c’est un super souvenir.

J’ai réagi très vite, pris le type par surprise, attrapé sa main, l’ai levée bien haut pour la montrer à tout le monde, et j’ai dit le plus fort possible : « Excusez-moi, j’ai trouvé cette main sur mes fesses. Elle est à quelqu’un ? » Il a fait une tête terrible et je crois que toute la rame a passé un moment plutôt rigolo à le regarder, jusqu’à ce qu’il descende, à la station suivante. J’ai adoré.

Je lui ai dit au revoir quand il est parti.

Aujourd’hui, j’étais en train d’écouter un groupe slave à la correspondance de la 1 à la 14 comme la semaine dernière. J’avais passé la journée à attendre un mail qui n’était pas arrivé, j’étais toute tristoune, et surtout, j’étais à fond dans la musique. Et là, bang, le lourd de base :

Lui : Bonsoir !

Moi : Comment ? (la musique était super fort).

Lui : Bonsoir !

Moi : Ah ! Bonsoir.

Lui : Mademoiselle ou madame ?

Vous remarquerez l’entrée en matière fine, discrète, et surtout diablement originale.

Moi : Euh… (argh, l’instant d’hésitation fatal) Entre les deux (ce qui est l’une des réponses les plus cons que j’aie jamais faite, je suis d’accord).

Lui : Vous êtes très jolie.

Moi : Ah. Merci.

Lui : Vous êtes très jolie.

Moi : J’écoute la musique.

Lui : On a le temps d’aller prendre un café ?

Moi : Non.

Lui : Pourquoi ?

Moi : Parce que j’en ai pas envie.

Lui : Vous avez des trucs à faire ?

Moi : Oui.

Lui : Quoi ?

Moi : (je sais même plus pourquoi je lui réponds) : Je vais chez mon copain (Ouh la menteuse).

À ce stade de la conversation, je renonce à écouter la musique je tourne les talons, et je me dirige résolument vers le métro. Tout le quai à traverser. Ca va être long.

Lui : Vous habitez où ?

Moi : Ben c’est mes oignons !

Lui : Ah ? Et c’est sur quelle ligne Cémézonion ?

En plus, c’est un cerveau.

Moi : J’ai dit « C’est mes oignons ».

Lui : Ah. Et si vous me le dites pas, comment je fais pour venir vous voir si j’en ai envie ? Vous me donnez votre numéro de téléphone ?

Moi : Non.

Lui : Pourquoi ?

Moi : Parce que j’en ai pas envie.

Lui : Eh, j’aborde pas des filles tous les jours, c’est vous, vous que j’ai remarqué.

Moi : Je suis flattée, mais non.

Lui : Vous savez, je suis heureux.

Moi :

Lui : Je vous aime.

Et là, coup de théâtre, le métro arrive (parfois, je croirais presque que Dieu existe).

Et c’est dans ce genre de circonstances que ça sert de se sentir bien dans la ville et d’en connaître les trucs. Je l’ai laissé monter à l’avant de la rame, et j’ai toqué à la vitre du conducteur, auquel j’ai juste lancé un regard désespéré. Il m’a ouvert et je suis montée à l’avant.

Le conducteur : Il y a quelqu’un qui vous emmerde ?

Et voilà. J’avais mon Dom Juan trois centimètres derrière, qui attendait que je descende pour descendre aussi. Il y a des gens qui sont un peu longs à la détente.

Arrivés à ma station, le conducteur a attendu d’avoir refermé les portes du métro avant d’ouvrir la mienne. J’ai fait coucou à mon petit copain par la vitre.

Home sweet home.

Ça allait un peu mieux.

Les grandes questions

Matin parfait aujourd’hui : en arrivant une collègue m’a demandé si j’étais malade. Non, j’ai répondu, tout va bien pourquoi ? Ah, bon, c’est juste que t’as une sale tête. Dans les dents, et bonne semaine. J’ai fait une drôle de tronche je pense, parce qu’elle s’est excusée tout de suite (mais non, mais c’est pas ce que je voulais dire, c’est ma fourche qui a langué). Le mal était fait : je ne croirais plus jamais aux miracles du maquillage.

Pourquoi est-ce que certaines personnes restent célibataires, galèrent pour se maquer et même juste pour s’envoyer en l’air, et d’autres non ?

Il y en a qui finissent sur yahoo rencontres et d’autres qui voudraient bien, quelques mois, juste quelques mois, rester seul(e)s. J’exagère pas. Après ma rupture, je me suis dit : allez, ça fait presque dix ans que je n’ai pas été célibataire, on va se faire deux ans de vacances. Si je bouffe tous les garçons avec lesquels je sors, y a forcément une raison, et ce serait bien que j’y pense un peu histoire d’éviter de détruire – encore – le suivant. Donc, c’était décidé, dit, déclaré, assumé, brandi : à l’ordre du jour, que des grandes histoires d’amour qui se terminent à 6 heures du matin.

Passons le fait que j’aie emballé mon collègue (l’histoire était bien finie à 6 heures du matin, ça a juste été un peu difficile de le prévenir – ce qui amène un autre problème : pourquoi les mecs sont romantiques quand on veut juste s’envoyer en l’air ?) Passons aussi les autres histoires d’un soir.

L’autre jour, j’ai rencontré quelqu’un et je me suis dit ok, ce soir, c’est celui-là. Je ne me suis même pas posé la question de savoir ce que lui voulait.

Je le voulais je l’ai eu : romantisme, zéro. Ça aurait dû en rester là. Je ne sais pas très bien ce qui s’est passé. Le matin, il est parti sans dire au revoir, j’ai eu un peu mal à l’ego, j’ai envoyé un mail. J’ai fait semblant de pas guetter la réponse, j’avais quinze ans à nouveau. Réponse.

Soyons bien clairs : à ce moment-là, je ne pensais pas un seul instant outrepasser mon programme. Seulement, je suis une fille, j’ai un ego surdimensionné, et je me disais que l’avoir une fois c’était facile, deux fois, c’était pas gagné. La soirée m’avait plu et je voulais retenter.

On s’est revus et on a passé une super soirée. C’était la première fois qu’un mec ne disait pas amen à chaque fois que j’ouvrais la bouche. La première fois qu’on m’envoyait bouler.

Ce soir-là avant de dormir, j’ai dit que je voulais un verre de lait (je suis chiante, je sais). Il m’a regardé avec les yeux en dehors des orbites, genre, comment peut-on avoir des idées pareilles à une heure pareille, et il m’a dit : Va mourir. Et il s’est endormi en me serrant dans ses bras.

Mon ex, je demandais un verre de grenadine à 3 heures du mat, il se levait, il s’habillait, il sortait, il se démerdait et il revenait avec de la grenadine. Quand il revenait, trois fois sur quatre je pionçais.

Je suis toujours sortie avec des mecs monstrueusement gentils – et avec un mec monstrueux tout court. Plus ils sont gentils et plus je suis chiante. Comme un mouflard qui cherche les limites. T’emmerdes ton monde, tout ce que tu veux, c’est qu’on te dise non. Un type qui ne résiste pas, c’est un type qu’on ne respecte pas. J’ai dû avoir le malheur de dire ça quelque part dans la conversation, et c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Voilà, on devait coucher ensemble, et on se retrouve à faire des cinés, des bars avec ses potes, et je passe des moments géniaux. Forcément, après deux soirées au bar et un ciné, après avoir fait la vaisselle avec son coloc et s’être battus pour savoir qui passerait le premier dans la salle de bain, la relation est moins claire que quand on avait défini la règle du jeu comme ça : 6 heures du mat, merci, au revoir.

On a discuté un peu (parce qu’on parle en plus). On couche ensemble ou on est ensemble j’ai demandé ? Il a répondu : entre les deux. Excellente réponse.

Je vais pas me poser de questions. Je vais vivre ce que j’ai à vivre, et surtout rien dire à mes potes. J’ai une énorme étiquette collée sur le front : incapable d’être célibataire. J’explique depuis un mois que je ne veux plus voir un mec chez moi entre 6 et 22 heures, que je suis incapable de partager quoi que ce soit avec qui que ce soit, que dans la vie y a que la bière et les amis. Je peux pas leur dire, c’est inassumable.

Euh, Aurélie, Barbara, les filles, si vous tombez là-dessus, ça reste entre nous, merci.

Bref, tout va bien, mais ça répond pas à ma question. Pourquoi des gens rament pour se caser et des gens rament pour être célibataires ?

Le jour où je comprendrais comment je fais pour rendre accros (je parle pas de lui là, je pense pas qu’il le soit, je dis juste que ça m’est arrivé souvent) des mecs qu’ont rien demandés, des mecs pas spécialement motivés, j’aurais tout compris.

Je pourrais me présenter à la présidence. On va tenter quelques éléments de réponse. Ils valent ce qu’ils valent, sont juste le fruit de ma propre étude anthropologique, et je suis ouverte à toutes les remarques.

  • Plus on est chiante et mieux c’est. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça depuis le lycée, c’est les chieuses de compétition qui se casaient les premières.
  • Avoir l’air bien dans ses baskets, ça aide ? Avec un gros point d’interrogation. Je sais que quand on s’est vus la première fois (pas facile de parler de quelqu’un sans donner de prénom), j’avais pas l’air bien dans mes baskets. J’avais même l’air monstrueusement stressée. Il m’a dit plus tard qu’il n’avait jamais vu quelqu’un avec un bordel pareil dans le cerveau, et que c’était pas très motivant (merci pour le compliment). C’est peut-être pas être bien dans sa tête qui compte alors, mais simplement prendre de la place. Plus on prend de la place, plus on se fait remarquer, c’est mathématique.

Et voilà. J’en suis là de mes réflexions. Comme chacun peut le noter, elles ne sont pas très avancées. Dix ans d’expérience, et deux embryons de supposition. Remarque, j’ai encore tout le temps de me planter en amour, et d’étoffer mon dossier.

Tu seras danseuse au Lido, mon fils.

J’ai des trucs à dire mais je n’y arrive pas, le truc qui ne m’arrive jamais.

En même temps, quand on est un petit peu pas con et qu’on ne veut pas que des choses se sachent, on les raconte pas sur Internet. Ou on ne donne pas son pseudo à ses amis, ou, pire, au(x) mec(s) que l’on rencontre.

En société, j’ai l’air à l’aise, voire très, voire trop. Devant mes parents j’ai les genoux qui tremblent et je panique. J’ai toujours fait mon credo de « Tu fais les conneries que tu veux, mais tu assume les conséquences de tes actes », et quand mon père ouvre la bouche, j’ai envie de pleurer. (C’est marrant je viens de me relire et j’avais écrit « J’ai envie de parler ». Sigmund, si tu nous regardes…)

Un petit euphémisme que je sors souvent, c’est que « Je n’ai pas l’esprit de famille ». En fait la famille, ça m’angoisse, ça me fait complètement flipper. Trop de pression, trop de challenges. Trop de comparaisons, trop d’attentes. Mes parents liraient ça, je crois qu’ils en pleureraient, parce qu’ils ont toujours essayé de nous montrer le contraire ; je veux dire les poncifs du genre : ils nous aiment tous autant, le plus important c’est qu’on soient heureux… On a eu tout ça à la maison.

Alors qu’est-ce qui s’est passé? Pourquoi j’ai honte quand j’annonce à mes parents que j’ai encore une histoire de couple qui a planté ? Pourquoi j’ai plus un kopeck pour vivre et je suis incapable de demander un demi-centime à mon père ? Et on en parle jamais mais je sais bien que mes frères c’est pareil. On atterrit pas à Polytechnique ou à Sciences-Po sinon. Qu’est-ce qu’ils ont mis dans nos céréales quand on était mouflards ?

J’ai longtemps culpabilisé là-dessus (je suis très forte à ce petit jeu).

D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je dis « J’ai longtemps culpabilisé », à part pour la jouer à la je-cite-Proust-j’ai-de-la-culture-regardez-regardez. La vérité, c’est que je culpabilise encore et que je culpabiliserai toujours. Parce qu’en plus de ne pas me sentir à la hauteur, en plus de me sentir étrangère, je me rends compte de mon ingratitude : j’ai eu tout ce qui fallait, vraiment tout ce qui fallait, pourquoi ça va pas ??

Je voudrais pas m’avancer, mais je crois que j’ai un tout petit semblant de réponse. En fait, mon père, il ne dit pas « L’important c’est que vous soyez heureux ».

Il le pense sans doute, mais il ne le dit pas. Les seules fois ou j’ai entendu cette phrase dans sa bouche, c’est quand il raconte la mort de sa mère et ses dernières paroles. Ce que mon père, lui, dit exactement, c’est : « Vous faites ce que vous voulez de votre vie – astronaute, laveur de carreaux, danseuse au Lido – à condition que vous soyez les meilleurs. »

Trop facile.

Et même chez les laveurs de carreaux, et surtout chez les danseuses du Lido, se battre pour être toujours le meilleur, refuser l’échec, l’humiliation, c’est plus que terrible, c’est fatigant. Et je ne parle pas de santé.

Toujours un truc sur le bout de la langue. Parlerai plus tard.

Parler

Pas fait de notes depuis deux semaines. Plein de trucs à dire, mais pas de mots. J’ai fait un tour pour regarder les blogs des autres, en tapant des mots clefs au hasard. C’est fou ce que la vie des autres est chiant. Ami lecteur, bonsoir – on remarquera le singulier.

Est-ce que un WE chez les parents fait le même effet à tout le monde ? Ils sont adorables, ils font tout leur possible pour montrer qu’ils ne jugent rien et qu’ils sont fiers de moi. Moi, ça fait 22 ans que je fais les gros bras pour montrer que je n’ai pas besoin d’eux, et six ans que je suis partie pour le prouver. Plus, ça fait deux mois que j’ai un vrai boulot avec un contrat et tout (un grand merci au mec qui a inventé le salaire minimum, et respect à ceux qui vivent avec moins).

Bref, il suffit d’un mot de leur part, une remarque, une réflexion, pas forcément sur moi, simplement sur l’existence, la pluie, les jeunes de nos jours, et je suis tétanisée.

Je ne suis jamais sûre que ce soit c’est moi qui ait raison. Je suis sûre de n’être jamais à la hauteur. Pendant le dîner, remarque de mon père sur les capotes. Rien de précis, mais en substance, les capotes, c’est maaal, et vive la chasteté, la fidélité dans le couple et la procréation.

Eh ben j’ai la libido coupée pour quinze jours. Mon avis à moi – quand j’ai pas vu mes parents depuis au moins une semaine – c’est la capote c’est maaal parce qu’on sent que dalle, parce que ça craque, parce que ça limite vachement les possibilités, parce que le temps de la mettre ça coupe tout, parce que c’est un putain de bout de plastique.

Pour les deux prochaines semaines, le débat ne se posera pas, c’est déjà ça.

Je suis quand même fière de moi, j’ai réussi à leur dire, entre deux phrases, que j’avais rompu. Ça fait un mois, il était temps. Ils ont pas enchaîné. Je pense qu’ils ne doivent pas savoir comment réagir quand je leur parle.

J’ai un truc sur le bout de la langue. Je parlerai plus tard.