On est dimanche, il est 19h02, et je suis censée dormir. Je voulais juste dire que si un jour on retrouve mes voisins pendus haut et court, ce sera ma faute.
J’étais à un mariage ce week-end. Un mariage à Pétaouchnok, comme d’habitude. Je sais pas si vous connaissez ce bled, mais c’est vraiment la croix et la bannière pour y aller.
Étape 1 : Prendre le train de banlieue vers le fond de la banlieue profonde, dûment armée de son plan imprimé sur Mappy. Marcher deux bornes sur des talons aiguilles, mariage oblige, jusqu’à l’église la plus triste que la terre ait porté.
Bon, la mariée est jolie, le marié a des étoiles dans les yeux, ça ira pour cette fois.
Supporter la cérémonie. Pas une messe, une bénédiction. C’est pire. C’est juste pour nous rappeler que Jésus nous aime tous très fort et que nous sommes tous frères dans la joie du Seigneur.
Et accessoirement que les mariés s’aiment aussi, ça, c’est cool.
J’ai un peu eu les cheveux qui se sont dressés sur la tête quand le prêtre a réussi à citer les cinq seuls versets de la Bible dans lesquels Dieu parle de son peuple comme un père parle de son enfant (celui qui trouve le rapport avec le mariage, je lui paie un café).
Bref, en deux temps, trois mouvements, il a réussi à nous présenter le Dieu de l’Ancien Testament comme un père plein d’amour, de compassion et de miséricorde[1]. Si vous les cherchez, ils sont chez Osée[2].
Et tout le monde d’approuver. Bruissement, chuchotement dans la salle. C’est vrai, dans l’Ancien Testament, le peuple Juif ne sait pas voir l’amour que Dieu a pour lui. Ben tiens. Rien que pour ça, ça valait le coup de le lire ce bouquin. Pour que ça me saute enfin aux yeux quand on en déforme le propos.
Bref, je crois que l’honneur est sauf, que j’ai réussi à garder la face : personne ne s’est aperçu que ma mâchoire était tombée par terre.
Étape 2 : Après la messe, mise en action de la deuxième partie du plan. Trouver une voiture pour partir sur le lieu de la fête, c’est-à-dire, en toute logique, à cinq cents bornes de là.
Dans la voiture, un éclair : je viens de mesurer ce que ça veut dire, ne pas boire à un mariage. Je décide qu’on est pas chez les mormons, et que je peux bien goûter un peu au vin.
Je m’attendais au pire pour cette soirée (je m’attends toujours au pire, dans la vie), et j’ai passé de supers moments. J’ai même gagné un beau galet bleu avec LBA écrit dessus. C’est la mère du marié qui a peint tous les galets un par un. Soit son fiston la mène par le bout du nez, soit elle aurait fait n’importe quoi pour qu’il se marie et en être débarrassée.
Bon, forcément, j’étais bourrée. Mais personne ne m’a vue à poil. Je n’ai pas expliqué à la mariée que son mec, il était bien gentil, mais que ce n’était pas le meilleur coup que je m’étais fait. À notre table, je ne connaissais personne, et on a juste passé une soirée morts de rire, à faire connaissance.
Six heures du mat, direction hôtel, dodo. Comme j’ai beaucoup de bol, comme fille, c’est bien connu, mon démaquillant s’est renversé dans mon sac pendant le trajet. Mes vêtements s’en sont imbibés toute la nuit, ma trousse de maquillage est foutue. C’est pas grave. C’est pas comme si ça coûtait la peau du cul, une trousse de maquillage.
Évidemment, je partage ma chambre avec deux copains. Évidemment, ils n’ont pas de démaquillant. Ça tombe bien, j’ai toujours rêvé qu’ils me voient dans cet état.
C’est la dernière fois de ma vie que quand la mariée me demande « Mais tu viens au brunch demain ? », je lui réponds oui. Le lendemain d’un mariage, on dort.
Bref, il a fallu se lever à 10 heures, patienter pendant que les mecs squattaient la salle de bain, et traîner ma gueule de déterrée devant toute la petite bande. Je me suis baffrée comme jamais.
Je suis arrivée chez moi vers 16 h 30, (en ayant oublié ma Bible là-bas, cent pages avant la fin, c’est rageant) et j’étais au lit une demi-heure plus tard. J’ai sombré dans le sommeil du juste.
Dans un film, c’est là qu’il y aurait le générique. Dans ma vie, ça ne marche pas comme ça : les coups de fil se sont succédés tous les trois-quarts d’heure. Les deux premiers, je leur ai raccroché au nez frénétiquement en croyant éteindre le réveil, le troisième, j’avais compris le truc, j’ai décroché, et au quatrième, j’étais plus très aimable.
J’allais enfin pouvoir me rendormir, quand mes voisins ont commencé à discuter. Mes voisins sont des champions du monde. Je pense qu’ils le font exprès. Je les déteste.
Ils disent « Passe-moi le sel » sur le ton que j’utilise pour dire « Non, je t’en supplie, ne tire pas. » Ils parlent chinois et, merveilleux effet de logique, je comprends pas un mot. C’est comme écouter à fond une radio en ougandais, c’est très frustrant. Il n’y a pas de bouton off. D’un coup, on saisit le sens du mot subir.
Ils vivent porte et fenêtre ouverte, pour la stéréo. À mon étage, ce sont des chambres de bonne : entre les deux bandes de papier peint, personne n’a jamais pensé à mettre un mur.
Leur piaule est à côté de la mienne, nos fenêtres se touchent, et il faut que je vise en rentrant chez moi : cinq centimètres trop à droite, et je rentre chez eux.
Quand on craque et qu’on va les voir pour leur demander de baisser le volume, ils font semblant de ne pas comprendre le français, ce qui est d’une mauvaise foi sans nom : mercredi, ils ont regardé tout Delarue. Regarder Ça se discute si on comprend pas ce qui se dit, c’est quand même complètement débile, faut bien le reconnaître.
L’autre jour, j’ai craqué, je suis allée les voir vers une heure du matin, en leur expliquant que vraiment j’entendais tout et que ce serait sympa de leur part de fermer la porte.
La fille m’a toisée. Elle m’a regardée de bas en haut et de haut en bas et elle m’a dit glaciale, avec un accent parfait : « Tu l’as déjà dit, ça. »
Et mon poing dans la gueule, poufiasse ?
Je suis rentrée chez moi la queue entre les jambes et j’ai pris mon mal en patience. D’ailleurs déjà quand ils m’avaient piqué mon paillasson, j’avais rien dit.
Il n’est pas 20 heures, c’est le week-end, je me vois mal aller les voir maintenant. Alors je renonce, je me relève, et je me petit-suicide.
Je suis en train de dilapider ce qui me sert de salaire sur ebay. S’il-vous-plaît, il vous reste une minute trente pour rebondir sur mon enchère. Je veux pas l’acheter, finalement, cette Bible en Pléïade.
Je connais déjà l’histoire.
[1] Bon, comme je sens que les nouveaux tiquent toujours un peu en lisant ça (j’ai un sixième sens, je suis très douée, comme fille), je vous remets un lien qui permet de mieux comprendre mes allusions incessantes à la Bible en ce moment. Si vous passez ici régulièrement, ça sert à rien de cliquer, ça fait des semaines que je vous bassine avec ça (le lien en question mène à la note du 05 septembre 2005).
[2] Je peux pas vous donner la référence, puisque j’ai paumé ma Bible… Et je tenais à préciser que quelqu’un m’a sauvé à la dernière seconde en rebondissant sur mon enchère sur ebay. Je sais pas qui c’est, il me lira sans doute jamais, mais merci, mec.