A la fin de l’envoi

Il y a deux jours, Agnès est venue à la maison pour me présenter Tina. Je ne l’avais pas vue depuis tellement longtemps.

J’avais hâte de rencontrer le bébé. On passait un bon week-end avec les enfants. C’était la fin du confinement. J’avais retrouvé mes amis. J’étais bien.

Elle m’a annoncé qu’elle t’avait demandé d’être le parrain de sa fille et que tu avais dit oui. C’est monté tout de suite. J’ai dit que je devais aller fumer. J’ai fondu en larmes. Je me suis écroulée et je voudrais comprendre pourquoi et je vais te parler de ça.

Ce soir comme hier je ne peux pas dormir. Hier, je n’avais rien bu, mais ce soir j’ai bu deux bières. Je ne voulais pas comme la veille me tourner et me tourner encore dans mon lit et m’apercevoir à un moment que je me suis cachée sous ma propre couverture, la tête sous les draps pour que personne ne me voie, en position foetale.

Je ne voulais pas que ça recommence ce soir ; alors j’ai couché les enfants, j’ai bu deux bières, j’ai regardé des séries, j’ai lu 200 pages et voici ce que j’ai en tête maintenant : 

Est-ce que tu te souviens, quand on attendait Poussin, que j’avais demandé à ce que Agnès soit la marraine ? Tu avais dit non parce que tu ne la trouvais pas assez stable. Tu voulais un couple stable, fort, au cas où il nous arrive malheur, qui puisse prendre soin de nos enfants. Ca a été Estelle, de Estelle-et-Alain – ton côté. Je crois que je ne les ai vus qu’une fois depuis le divorce. Je n’ai plus de nouvelles. Disparus des radars.

Est-ce que tu te souviens que je t’ai demandé il y a plusieurs mois qu’on revoie le document stipulant que Estelle-et-Alain auraient la garde de nos enfants si nous décédions ?

Voici ce que je pense : juste avant de lire ces lignes, non, tu ne t’en souvenais pas, ou alors, de loin. Maintenant que tu les as lues, ah, oui, mince, c’est vrai, et insérez ici une excellente raison de n’avoir pas apporté de réponse à une question claire.

Je sais que je vais attendre quelques mois, t’en reparler, que tu me répondras la même chose que d’habitude, et que je n’aurai même pas envie de sourire. Je dirai que je suis déçue et tu me répondras que c’est dur tu sais, d’être celui qui fait toujours souffrir.

Ou peut-être que non. Peut-être que j’aurai craqué pendant l’une de ces crises où ça recommence et où je n’arrive plus à retenir qu’une chose, c’est que je suis en trop et que je pollue ta vie. Peut-être que je ne dirai jamais rien parce que j’aurai déjà craqué. Ou peut-être que je ne dirai rien parce que j’aurai trouvé le courage de te dire que je ne veux plus te voir, plus t’entendre, plus te fréquenter, plus entendre parler de toi.

Que c’est absurde et insupportable cette situation où je ne veux pas – Dieu m’en préserve – te réépouser et reprendre une vie de famille, je veux respecter ton existence et ton couple, mais je n’en peux plus, je n’en peux tout simplement plus d’être déçue tout le temps et avec si peu de surprise.

Tu n’apprendras pas grand chose de neuf dans ces pages si je te les tends un jour.

L’histoire se joue et se rejoue chez nous, la vie est un long fleuve tranquille.

Mais tu pourras les lire une fois, deux fois, vingt fois. Si ça ne parle pas à l’homme de quarante ans, ça parlera peut-être à celui de quatre-vingts. Et si ce n’est pas le cas, alors peut-être à sa moitié, ou à ses enfants devenus adultes. Tu ne seras certainement pas le premier à les lire en tout cas. J’ai trop peur d’entendre encore que je fais de la rhétorique, que je suis maniaque de la forme et que j’oublie le fond, que j’utilise les mots comme des armes. Que je manipule les mots. Que parler avec moi est un combat. Aucune des expressions qui précède n’est de moi. Je te cite. Tu t’en souviens ?

Est-ce que tu te souviens que lorsque nous avons perdu le bébé et que ta soeur avait annoncé sa grossesse ensuite, sans me parler directement jamais, j’avais commencé par me tenir au bord du meuble de la cuisine. J’avais dit “Ca va passer”, et ça n’est pas passé. J’ai pleuré et pleuré. Puis elle t’a demandé d’être le parrain et je m’étais écroulée.

Oui tu t’en souviens bien sûr. Ca nous a coûté assez cher.

Je n’ai pas eu besoin de prendre sur moi devant Agnès. Elle m’a dit les choses en face. Mais toi, pendant ces quatre mois pendant lesquels elle a attendu que tu lui répondes, que tu lui dises si oui ou non tu serais le parrain de sa fille, est-ce que tu t’es demandé parfois si tout cela ne me ferait pas revivre quelque chose ?

Pendant tous ces vendredis où tu venais chercher les enfants à la maison ou que tu les déposais, est-ce que tu y pensais ?

Je vais retenter mon exercice de tout à l’heure et donner ta réponse. Je ne l’invente pas. C’est celle que j’ai à l’accoutumée. Chaque mot que je vais écrire, tu l’as déjà prononcé : 

C’est une décision qui t’appartient. 

Tu cherches à t’affranchir du poids de l’opinion des autres pour prendre tes propres décisions. 

C’est fatigant cette façon que j’ai de demander à être prévenue, parce que ça te force à te demander tout le temps ce que tu dois me dire ou pas, où est ta sphère privée ? 

Tu te sens envahi. 

Tu as la sensation de me dire tout ce que je dois savoir : comment ça se passe pour les enfants à l’école et chez toi, leurs problèmes médicaux, les rendez-vous avec l’ergothérapeute, le choix du collège et les rendez-vous parents/prof.

Quelques billes :

  • si ça peut me faire revivre un voyage profond duquel j’ai mis quatre ans à me remettre, préviens-moi.
  • si ça concerne la vie de mes enfants, comme le fait de leur faire rencontrer les parents de ta douce, oui, préviens-moi.

Ne me demande pas la permission. Préviens-moi. Parce que le voyage est pire quand c’est un voyage surprise. Parce que ça parle, des enfants. Que ce week-end, j’aurais dû le passer avec mes parents et mes enfants et que d’apprendre par eux qu’ils étaient avec vous chez les parents de ta douce, c’est rude.

C’est trop lourd de te demander ce que tu dois dire ou non et tu te sens envahi ?

Demande moi. Je pourrai te répondre. Avec le temps ce sera de plus en plus facile, et à la fin, évident.

Et toutes les fois où je demande expressément une réponse, c’est que je l’attends vraiment. Si tu me dis, oui, je vais y réfléchir, ou oui bien sûr, j’ai beau savoir que je ne devrais pas, je te crois.

Non : tu n’as pas fait tout ce à quoi tu as dit oui et je ne parle pas seulement du mariage.

Tu avais dit oui à des sorties de temps en temps avec les deux parents et les deux enfants. Le raisonnement c’était de leur montrer que quoi qu’il se passe entre leurs parents, ils étaient toujours le centre de notre univers. Tu étais célibataire à l’époque pour autant que je sache, mais si le sujet était toujours d’actualité, je te répondrais que ta douce est la bienvenue.

On a divorcé il y a deux ans, hein. Ils ont tous les deux grandi et changé de passion deux fois. Encore un peu de patience et Poussine aura son bac, et le sujet ne sera plus à l’ordre du jour du tout.

Tu avais dit oui à la possibilité de se voir entre amis parce que – toujours tes termes – c’est seulement le mariage qui est fini. Tu avais, je cite, c’est marqué encré ancré dans ma mémoire “un problème de sentiments”, mais notre relation ce n’était pas seulement de l’amour et de l’engagement conjugal.

C’était pas vrai tu sais. Ni le premier point, ni le deuxième, ni tous les autres que je ne cite pas ici, pas ce soir, peut-être plus tard. Je ne suis même pas sûre que tu le saches. Quand je t’en parle, tu t’offusques. Tu me dis que tu as fait de ton mieux.

Je sais bien.

Mais moi, j’ai attendu ces sorties. Celles avec les enfants, celles entre amis. Et ça n’arrivera pas, parce que je ne fais plus partie de tes amis, parce que mon rôle dans ta vie est de co-signer les carnets de correspondance, parce que tu ne me le diras pas, parce que tu ne te l’avoueras pas.

C’est pas marrant de faire un deuil, quand on ne sait pas de quoi on fait le deuil, tu sais, et je suis désolée que ce soit compliqué d’être toujours celui qui me fait du mal.

Donne moi l’info. Le reste, c’est mon affaire, je m’adapte.

Parfois je me dis que je pourrais me douter quand même, je pourrais me douter que tout ça c’est pas vrai, qu’il ne faut pas te croire. Je veux dire, pas seulement par habitude, mais par bon sens.

Hé greluche (c’est moi la greluche), il t’a lourdée façon express, tu n’as rien vu venir, et quand tu lui as dit ok, je comprends, le lendemain matin il t’emmenait chez le notaire et il était content ou soulagé, c’était une forme de dialogue renoué pour lui. Tu pensais quoi ? (je parle toujours à la greluche) Que vous alliez danser tous ensemble dans le monde de Bambi, en faisant cuire des chamallows autour du feu ?

Mais toi et moi, c’était différent. C’était un partenariat. On s’était mis d’accord. C’était à la vie, à la mort : on était amis. On savait que les sentiments, ça va, ça vient, ça se travaille.

Et puis tu as dit “problèmes de sentiments” et “c’est seulement le mariage qui est terminé”, “on est une équipe parentale du tonnerre”, et je t’ai cru.

Tu ne me l’aurais pas dit si ça n’avait pas été vrai ? Tu ne m’aurais pas laissée lanterner, si ?

Je ne me moque pas. Je passe vraiment par ces pensées-là.

Ensuite je me souviens que nos treize années de vie commune ont été treize années de on-verra.

Bonne idée, le voyage en Islande pour notre voyage de noces ! En plus c’est un chouette compromis entre moi qui aime les îles et toi qui aimes le Nord (là c’est toi qui parle). On verra ! 

Je t’avais offert le guide de voyage pour Noël cette année là. Il m’a suivie dans les cartons. Il est dans mon nouvel appart. Le voyage est annulé j’imagine ?

Tu as raison, il faut que tu conduises, il faut que tu prennes confiance au volant, mais on verra, aujourd’hui, je suis fatigué, on est pressés, je suis si bien au volant, conduire me détend, j’adore cette route, tu as trop peur pour conduire maintenant.

Dis les choses, putain.

Regarde toi, demande toi ce que tu veux et assume le. Normalement après, tu confrontes tes besoins avec ceux des autres, mais franchement, on en est pas là.

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