Attention, c’est parti pour la note la plus difficile à cracher que j’aie jamais faite, et je l’espère, la plus confuse avant longtemps. Aujourd’hui, c’est questions existentielles.
Il y a quelques mois, j’ai fait un grand pas en avant vers le monde des adultes : j’ai perdu mon super pouvoir.
Vous avez lu L’Arrache-cœur de Vian ? J’ai lu ça il y a longtemps quand j’étais au collège.
Les trois gosses, qui ont des noms à coucher dehors, ont des pouvoirs qu’ils cachent à leur mère (voler, par exemple). C’est un pouvoir lié à l’enfance. C’est une protection contre le monde extérieur, une protection qui rend capable de l’affronter. Une protection qui permet surtout de se supporter soi-même.
Mon super pouvoir, c’était d’avoir décidé que le regard des autres, je m’en balançais bien bas, que je pouvais assumer tout ce que je faisais. J’avais peur de rien. C’était pratique, pour être bien dans ses baskets. Dans une soirée, à la fac, on voyait que moi, logique, je prenais toute la place. En plus, j’adorais ça. Je me prenais des cuites de compétition, je faisais n’importe quoi. Je m’en foutais.
Au premier abord, au premier contact, je dis pas, c’est certainement déconcertant. Mais ça aussi, ces gens qui te prennent pour une folle ou une égoïste allumée qui parle fort, c’était choisi.
Pas forcément fait exprès, du moins pas après les premiers temps, mais choisi. C’est que les gens qui restent, ce sont ceux qui ont fait la démarche de creuser un peu, ceux qui ont fait l’effort de chercher à voir qui tu es vraiment. Ce sont eux, finalement, les seuls intéressants.
J’ai perdu mon super pouvoir vers février, quand j’ai commencé à voir des choses que je n’aimais pas dans le regard de mon entourage. Pas les gens vraiment proches, plutôt ceux du second degré (je ne sais pas comment l’expliquer autrement). Ça aurait du passer comme une pluie en mai, et non. Ça a été douloureux. Je me suis aperçue que j’avais besoin qu’on m’aime. Que mon ego affamé, surdimensionné, c’était pas un hasard. J’ai compris que j’avais vraiment besoin qu’on m’aime, que je n’étais plus capable de supporter un regard désapprobateur, une remarque désobligeante. Pas parce que ça me vexait, mais plutôt parce que je me sentait nulle. C’est pas facile de passer d’une personnalité forte qui prend de la place, à quelqu’un qui a besoin du regard des autres pour savoir s’il a raison. Ou peut-être qu’en fait j’ai toujours eu les deux versants dans ma personnalité, et que je le savais pas.
Il s’est passé alors quelque chose de bizarre, un bug. La machine m’a échappé. Je me souvenais bien que j’avais eu un super pouvoir, que j’étais capable de retenir un auditoire sur une histoire inintéressante, de me taper précisément le mec que je voulais me taper, de me mettre dans la poche le prof que je voulais me mettre dans la poche. Je savais bien que j’avais été comme ça. Mais je ne savais plus comment j’avais fait, je ne savais plus que je l’avais fait exprès, je ne savais plus comment on assumait, et j’ai commencé à me prendre les retombées radioactives. La machine s’est emballée dans mes mains.
Je parle toujours fort en soirée. Je suis toujours la bonne copine de tout le monde, je jongle toujours entre les messages de Marcel, Paul et Jean (ou Robert, ou Jean-Marc, on s’en fout). Seulement maintenant je le vois le mec qui n’a rien dit depuis vingt minutes, assis au fond avec son verre, qui te regarde et qui se promet que plus jamais il ne remettra les pieds dans la même pièce que toi. Je la vois l’expression au fond des yeux de cet autre qui se dit que vraiment, tu dois être drôlement mal dans tes baskets (Sherlock Holmes, le type), et qu’il plaint le mec qui t’accompagne.
Je vois tout ça. Je suis bloquée, je peux plus rien faire. Où que je sois, en soirée, avec des copains, au boulot, avec mes parents, de la famille, mon ex ou P., je suis coincée. Il y a un petit moi qui me regarde de très haut et qui soupire.
C’est pas un soupir flatteur.
Ces derniers jours, P. abordait le sujet discrètement, mais régulièrement. Genre, va quand même falloir qu’on en parle. Il a formulé ça joliment, il a dit : « Tu sais, t’as pas besoin de prendre toute la place comme ça, je t’ai vue. »
Il m’a vue, et tous ses potes avec lui, et tout le XIII° arrondissement avec lui. Comment on fait pour rester en retrait ? Non, sérieusement, comment on fait quand, vraiment, on sait pas faire ? Comment on fait pour pas bouffer les gens ? Comment on fait pour arrêter de respirer l’oxygène de son prochain ? Comment on fait pour arrêter d’avoir besoin de boire leur énergie pour se sentir vivre ?
Ça vous est déjà arrivé de vous réveiller un matin et de vous apercevoir que vous étiez une mante religieuse, que vous aviez consciencieusement sucé jusqu’à la moelle tous les mecs/filles avec lesquel(le)s vous étiez sorti(e) ?
Le coté obscur du super pouvoir, que ça s’appelle.
Je ne sais pas ce qui est le plus difficile. Pour l’instant, il me semble, ce sont les gens, proches ou moins proches, qui m’en parlent ou qui y font allusion. Le pire du pire, évidemment, étant les plus proches (P., si tu nous regardes…). Ceux qui parlent à mots couverts s’attendent à ce que je ne comprenne pas. Ceux qui en parlent à cœur ouvert mettent les bouchées doubles pour me secouer. Ils s’attendent à devoir lutter pour m’arracher un « Oui, peut-être, tu n’as peut-être pas entièrement tort. »
Ils parlent et je ferme les yeux. J’essaie de les écouter, je me dis que j’avancerai jamais sinon. Ils s’enhardissent, je ferme les yeux plus fort. Je finis par les couper en disant : « Ta gueule, ta gueule, je sais, je sais. »
Je sais, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Tant que j’étais célibataire (ce qui a duré au moins deux semaines), à la limite, c’était pas grave. Il n’y avait qu’à moi que je faisais du mal. Maintenant je suis responsable pour lui aussi. Je le force à assumer avec moi, et il a rien demandé, lui. Rien que pour lui, faut que je fasse quelque chose.
Il y a quand même une chose avec laquelle j’ai du mal. Quelque chose auquel je tiens, qui est important pour moi, mais qui n’existe pas et qui fait que mon système n’est pas viable. Jamais, jamais au grand jamais, ou alors complètement à l’insu de mon plein gré, je ne juge les gens au premier abord. Au deuxième et au troisième non plus. Comment peut-on juger quelqu’un avant de le connaître ? En fait, comment peut-on juger quelqu’un tout court ?
Je ne voudrais pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.
Je veux dire, je n’aime pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.
Mais je crois que je suis toute seule à fonctionner comme ça. Tant pis pour moi. Au moins, pour me remettre le pied à l’étrier, il me reste Vera et ma BB-danger, qui prennent au moins autant de place que moi. Ça fait du bien.
Humeur du Moment : je regarde mes pieds.