Je fais ce que je veux, avec ma carte bleue

Mybloody a raison.

Quand on est amoureux, c’est fou ce qu’on peut se dire comme conneries, fadaises et autres niaiseries. En ce moment, je baigne dedans.

Tout ce qui m’est arrivé ces derniers jours a été susurré sur un ton énamouré. J’ai des étoiles dans les yeux et je vois des oiseaux chanter partout.

Pour moi c’est génial, et pour les autres, c’est chiant. Je suis pas cruelle : j’allais quand même pas vous imposer ça.

Résultat, je me suis massé le cerveau (je suis polie) pendant deux jours pour trouver un sujet de note.

Panne sèche.

Et puis, en allumant mon briquet, la flamme, l’illumination.

Bon sang mais c’est bien sûr.

Bien sûr j’ai des trucs à dire.

La preuve : ce qui m’énerve en ce moment, ou plutôt ce qui m’énerve depuis bientôt dix ans, c’est ça :

(on admirera au passage la finesse des arguments)

Les gens ne se rendent pas compte.

Être fumeur, c’est un combat.

Être fumeur, c’est être capable de résister à une pression omniprésente.

À des campagnes de pub incessantes.

À des restrictions perpétuelles.

À des regards désapprobateurs.

À une ségrégation inéluctable.

L’autre jour, je fumais ma clope du matin entre le métro et le boulot. Jusqu’ici, tout va bien.

Et puis, j’ai croisé un petit garçon avec sa maman.

Brusquement, il a pointé son doigt vers ma cigarette pour la montrer à sa mère (ça, déjà, ça se fait pas), et il a crié : « Caca ! »

Je suis dans un bon jour. Je veux bien passer sur le fait que ce soit un peu vexant ce genre de scène dans la rue, que je me sois quand même tapé l’affiche, et que ça ressemble sévèrement à une insulte.

Non, ce qui m’a mise hors de moi, c’est le grand sourire de la mère qui a répondu : « Oui mon chéri. Caca. »

Salope. Qu’est-ce qu’elle lui apprend, à son gamin ? Le respect ?

Est-ce que parce que je fume, ce gosse a le droit de me montrer du doigt et de me traiter de je sais pas quoi ? (Oui, je sais, c’est pas moi qu’il montrait, c’est la clope. Cela dit, croyez-moi, les gens sur le trottoir d’en face, ils ont pas forcément saisi tous les détails de la conversation.)

Est-ce que parce que je fume, les autres ont tous les droits ?

Parce que ça n’est pas une exception. Tout le monde se permet la même chose. Tout le monde est comme ce sale gosse, nourri aux campagnes anti-tabac, qui leur donnent une licence absolue pour délivrer leur parole d’évangile. On est à la limite du prosélytisme.

Je vais vous dire. Elles sont nocives pour le respect. Elles sont nocives pour le libre-arbitre.

Aujourd’hui, aux non-fumeurs, tout est permis.

Avec le bourrage de cerveau ambiant, ils se trouvent justes en vous expliquant que vous êtes responsable de votre santé et de celle des autres, et que la cigarette, c’est nocif, alors rien à foutre si vous êtes sorti par moins quinze degrés pour l’allumer, faut l’écraser.

Ils se trouvent drôles en racontant pour la trente-septième fois l’histoire du type qui a eu un cancer à vingt ans.

Ils se trouvent fins en nous expliquant pour la soixante-douzième fois que la cigarette, c’est maaal.

Noooooon ? …Le répétez pas, mais paraît même qu’on peut en mourir.

J’en peux plus des « T’as qu’à arrêter de fumer ».

J’arrête si je veux. Je vous demande pas votre avis. C’est mes thunes. Les taxes que je paie, elles vous servent bien.

Quoi ? Parce que la presse répète que, parce que la télé répète que, parce que les campagnes de pub répètent que, ils ont le droit que m’expliquer comment vivre ma vie ? Je me reprends : ils ont le droit de m’imposer leur morale ?

J’ai toujours détesté qu’on pense à ma place ou qu’on me force à penser quelque chose.

Oui, je sais.

Le tabac tue.

Le tabac rend stérile.

Le tabac jaunit les dents.

Le tabac provoque un vieillissement de la peau.

Quand vous fumez, le non-fumeur à côté de vous fume aussi.

Je sais. Je sais. J’ai fini par comprendre. Je suis un peu lente, mais j’ai fini par comprendre. Arrêtez je vous dis.

Au bout d’un moment, on frôle l’agression personnelle.

Je les respecte, moi, les non-fumeurs.

Je ne fume pas dans les lieux publics.

Dans l’avion ou dans le train, je me prive, même s’il y en a pour huit heures. (Par contre, je me farcis les hurlements des mouflards en goguette. Si c’est pas de la nuisance, ça, je ne sais pas ce que c’est.)

Quand je suis dans un endroit fumeur, je demande autour de moi si ça dérange que j’en allume une.

J’ai le droit de fumer dans mon bureau (mon bureau, mon bureau individuel), et je sors quand même allumer ma clope dehors parce que je ne veux pas indisposer mes voisins si la fumée passe en-dessous de la cloison.

Quand je reçois du monde chez moi, je demande l’autorisation de fumer.

Quand je fume à côté de quelqu’un, qu’il soit fumeur aussi ou pas, je surveille ma fumée, pour le gêner le moins possible.

Quand je suis dans le coin fumeurs au restaurant et qu’une femme enceinte vient s’asseoir à la table à côté, j’écrase ma cigarette.

Et ça lui paraît normal. Parce que fumer, c’est mal.

Ça paraît logique à tout le monde que je respecte ces règles-là.

J’allumerais une clope chez moi devant un non-fumeur, je me ferais engueuler, et ça serait normal.

Alors on va mettre les choses au clair. Je vais vous dire ce que je trouve normal.

Je veux bien respecter vos règles du jeu et votre santé. D’accord.

Mais en échange, mon libre arbitre et moi, on aimerait bien qu’on nous foute la paix.

Bref. Je voulais juste ajouter un détail sur la dernière campagne anti-tabac en vogue :

Vous les avez tous vues, ces pubs, vous vous souvenez ?

Je n’en ai mis que deux ici, mais il y a / avait une foultitude de variantes.

Il y en a qui jouent à fond la carte de la culpabilisation, avec des gamins aux regards de chiens battus noyés sous les monceaux de mégots, avec des collègues malheureux et enfumés. J’en ai pas, moi, de gamin. J’y fais gaffe, à mes collègues.

Je ne l’ai pas trouvée sur le net, mais parmi toutes ces variantes, il y en a une que j’aimais beaucoup. Même concept, mais la photo, c’était un tabouret de bar sous une montagne de mégots.

Je voudrais pas faire du mauvais esprit, mais le non-fumeur qui a fumé 75 856 clopes sur le même tabouret, dans le même bar, c’est pas avec le tabac qu’il a un problème.

C’est avec l’alcool.

Mais c’est encore un autre débat.

L’art de la négociation (cours accéléré pour les nuls)

L’innocence de la jeunesse, ça a quand même du charme.

Je suppose qu’il y a une foule de choses que l’on apprend avec l’âge et l’expérience.

Par exemple, quand une journée commence mal, faut faire le mort. Surtout, surtout, ne prendre aucune initiative.

Quand je me suis levée hier, j’étais blindée de motivation. Blindée.

Allez, et que je me réveille avec une heure d’avance, et que ce matin, défi, j’arrive au boulot à l’heure. Soyons fous, je tente le coup, j’arrive même un peu plus tôt.

Résultat, je suis restée coincée comme une bleue sur la ligne 14 et je suis arrivée encore plus tard que d’habitude. J’aurais pris mon métro habituel, il y aurait pas eu de problème.

Conclusion : ce jour-là, filer droit.

J’étais donc tranquillement en train de lutter pour avoir accès à la magnifique imprimante photocopieuse laser couleur dernier cri.

Quand je pense (vieux souvenir de mes vingt-deux premières années passées en stage) que la simple évocation d’une photocopieuse suffit à me faire pleurer, et que maintenant je me bats pour l’utiliser, je me dis que parfois, la vie est vraiment dégueulasse.

Après une bonne demi-heure de lutte acharnée, de coups de coude et de coups bas, victoire, ça y est, c’est mon tour.

À partir de maintenant, faut assurer. Le moindre instant d’inattention, et on me piquera ma place. Je cours, je fais des allers-retours entre mon bureau et la machine pour surveiller l’état d’avancement de l’impression, continuer à avancer mon travail et appuyer sur F5.

Et puis, le drame. Il m’a eue par surprise : au quatrième trajet, il m’attendait dans mon bureau.

J’ai remercié le ciel d’avoir pensé à baisser la fenêtre de mon blog, j’ai fait un grand sourire à Big-Boss et je me suis assise.

C’était l’heure de vérité. Il a ouvert les hostilités :

  • On avait dit qu’on parlerait de la fin de ton contrat à la fin de la semaine, mais je pense qu’il n’y aura rien de nouveau d’ici-là. Alors, si tu as un moment maintenant…

Un moment ? Sincèrement, non. Mais je crois que ça n’est pas trop le moment de répondre ça.

D’autant que « Je pense qu’il n’y aura rien de nouveau d’ici là », dans la bouche de mon patron, c’est pas bon signe. Logiquement avec lui, même pendant une pause dèj, peut y avoir du nouveau.

Et puis, je sais bien à quoi mon sort est suspendu. Ça fait trois mois – trois mois, déjà, qu’est-ce qu’on vieillit – que ce putain de produit est commercialisé et qu’on a les yeux rivés sur les ventes. Je dis « rivés », parce que le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont pas vraiment bougé.

Mais le boss, il y croit. Dur comme fer. Moi, ça m’arrange, je peux pas nier.

Bref, du coup, l’entendre dire ça, ça m’angoisse un peu.

Il continue.

  • Ce que je peux te proposer, c’est de renouveler ton CDD pour encore trois mois. Ça nous mène jusqu’à mi-février. À ce moment-là… On verra bien si on s’est plantés ou non.

J’acquiesce bêtement.

  • Mais attends. Tu ne m’as même pas dit quels étaient tes projets. Qu’est-ce que tu veux, toi ? Partir ? Renouveler ton CDD ? Rester ad vitam eternam ?

Ah merde. Je crois que là, c’est mon tour de parler. J’ai les jambes comme des pailles. Au moment où j’ouvre la bouche, je n’ai absolument aucune idée de ce que je vais dire. Je vous passe le raisonnement pathétique, l’explication alambiquée, et je vous donne la version résumée : je lui ai dit que je voulais un CDD.

Ne me demandez pas pourquoi je n’ai pas dit que cette entreprise, c’était toute ma vie. Que si on le perdait, ce projet-là, on en ferait d’autres, que je voulais me marier avec lui.

Peut-être pour pas lui faire de peine, peut-être parce qu’il avait déjà évoqué le CDD et que je ne voulais pas le contrarier. Je serais capable de réfléchir quand je parle fric ou contrat avec un supérieur hiérarchique, je crois que je m’en serai déjà aperçue.

Big-Boss hoche la tête d’un air satisfait. Jamais, de sa longue existence, il n’a obtenu victoire si facilement. C’est tellement rare, de nos jours, les salariés compréhensifs.

Et c’est là que LBA se reprend.

Ça fait deux mois que les zoziaux me font du bourrage de crâne, qu’ils me coachent régulièrement entre midi et deux, pendant les pauses clope et les pauses café. Il faut que j’assume : oui, je suis sous-payée ! Non, ce n’est pas normal !

C’est historique : je vais demander une augmentation. Enfin, si je ne me suis pas fait pipi dessus avant.

  • C’est super, ai-je dit, on est d’accord.

Et puis j’ai enchaîné très vite avant qu’il parte :

  • Mais il y a quand même quelque chose dont je voudrais parler avec toi.

Big-Boss fronce le sourcil droit. Je crois que mon cœur s’est arrêté de battre. Je continue. Enfin, je veux dire, je récite.

  • Si je dois rester encore quelques temps ici, j’aimerais bien qu’on discute de mon salaire.

Big-Boss fronce le sourcil gauche.

  • Tu touches combien pour l’instant ?

Par pudeur (il y a peut-être des enfants qui me lisent), je passerai ma réponse sous silence.

Réaction du boss :

  • Ah ouais quand même (j’ai un patron compréhensif). C’est vrai que tu n’es pas très bien payée (et en plus, il est intelligent et il a le sens de l’observation).Et… Tu voudrais combien ?

Je déteste cette question. Si je demande pas assez, c’est comme si je lui avouais que j’en fous pas une et que je ne mérite pas grand-chose.

Si je demande trop, c’est prétentieux, et puis il se dit que j’ai les dents qui raclent le parquet, et que mon but dans l’existence, c’est de vider les caisses de la boîte. Pas bon non plus.

Pour couronner le tout, si j’essaie de faire un juste milieu, sauf erreur de ma part, j’arrive pile poil dans la tranche imposable, et par un mystérieux coup du sort, je me retrouve avec encore moins de fric pour vivre que ce que j’ai maintenant, ce qui est quand même extraordinaire.

Alors, j’ai répondu très vite :

  • Mille cinq cents ? Mille trois cents ? Mille deux cents ?

Ne me dîtes pas que c’est une réponse débile. Moi aussi, j’ai le sens de l’observation.

Il a griffonné deux trois mots sur un bout de papier, et il s’est rassis.

  • Tu sais, a-t’il repris, c’est vrai que tu n’es pas très bien payée. Mais il faut bien voir que pour l’instant, on est sur un projet qui ne rapporte pas un centime à l’entreprise. Tu fais un excellent travail (rigolez-pas, je crois qu’il est sincère). Tu es capable de travailler énormément (ah, oui, ça, je sais), vite et bien. Ce serait une bêtise de ne plus travailler avec toi.

Mais une entreprise, il faut que ce soit rentable. Si vraiment, on ne gagne pas d’argent, il va falloir se séparer de certains membres du personnel. Et, tu sais, tu es la dernière arrivée.[1]

  • Oui, je sais, j’ai répondu. C’est logique. C’est la règle du jeu.

(Je vous ai déjà dit que je suis une sale petite capitaliste ?)

Il a repris :

  • Et puis, tu sais comment ça marche. Il est plus difficile de garder quelqu’un qui coûte plus cher. C’est une question de rendement.
  • Oui. Je sais comment ça marche. (Instant d’hésitation) …Mais je pense quand même que ma demande… Enfin, c’est normal, quoi.

Je le comprends. C’est horrible, je le comprends sincèrement.

Oui, j’avoue, j’admets, ces histoires de « faut que ce soit rentable, donc je te paie avec un demi lance-pierre » je trouve ça logique. Et si ça me tombe sur le coin de la figure et que je me fais virer, ça me fera chier, mais ça ne me choquera même pas.

Big-Boss a jeté un dernier coup d’œil sur le bout de papier sur lequel il avait griffonné quelques mots, et il a terminé :

  • Bon. Je vois ce que je peux faire, et puis on en reparle demain. D’accord ?

Voilà.

À chaque fois que j’ai eu une conversation de ce genre avec mon boss du moment, le travail de refoulement m’a pris plusieurs mois.

Pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, je me repasse la scène. Je soupèse chacune des bêtises que j’ai pu dire, je vois chacune des balles que je me suis tiré dans le pied, j’entends les horreurs qu’on a pu me dire sans me faire broncher.

J’ai un peu honte, et j’essaie d’oublier.

Comment on fait dans ce genre d’entretien quand on a une conscience aigüe de ne pas être en position de force ?

Comment fait-on quand on ne maîtrise pas les évènements ?

Comment fait-on quand on a fourni du bon boulot, mais qu’on sait bien qu’on pourrait faire dix fois mieux, et qu’on est pas très fier de soi ?

Est-ce que je suis la seule à avoir l’impression que si je réclame quelque chose avant qu’on me le propose, c’est que je ne le méritais pas ?

Quand j’étais petite, il suffisait que je réclame pour qu’on me refuse ce que je voulais.

Résultat, je sais pas faire, moi, réclamer.

Ce qu’il me faut, c’est un boss qui a constamment l’œil branché sur moi, qui dit : « Oh, comme elle travaille bien, si son ramage ressemble à son plumage, elle est le phœnix des hôtes de ce bois. Tiens, je vais l’augmenter pour la féliciter. J’espère que 7000 euros net par mois, ça lui suffira. »

D’autant que le patron vient de partir en rendez-vous, et que j’ai toujours pas ma réponse. Je me demande bien comment je vais faire pour me concentrer cet après-midi.

Bon. Il est 12 h 01 pile. Le temps que je poste, il sera bien 14 h 00. C’est peut-être à 20six que je devrais demander mon augmentation.


[1]           Ce qu’on peut aussi traduire par « Tu sais, une entreprise, c’est comme une machine à laver. »

              Ou encore : « Tu sais, une entreprise, c’est comme une montgolfière. »

Ca va passer

Il y a des soirs, comme ça, où personne ne répond au téléphone, et où on en a sévèrement gros sur la patate. On vient de pleurer bêtement, seule, debout dans le métro. On serre dans sa poche le billet qui servira à acheter quelques despés, et puis on s’aperçoit qu’on est dimanche, et que le dimanche, toute épicerie qui se respecte est fermée.

Alors on se retrouve au Publicis des Champs – un bienfait de l’humanité. Enfin des gens qui ont compris qu’un commerce ouvert tard le soir, dimanche inclus, c’est important.

…Un bienfait, peut-être, mais au Publicis, ils n’en vendent pas, des despés. Ça doit être trop populaire, comme bière. Alors on se fait une raison, et à la place, on repart avec trois Corona sous le bras, à trois euros la bouteille.

C’est quand même vachement plus classe. Ce soir, je bois la même bière que Chirac.

Je crois que je vais commencer cette note par des excuses. Parce que ça fait quelques jours que je poste des trucs pas vraiment marrant-marrant, et que ça doit commencer à vous gonfler. Je suis désolée. Je vous assure que ça va me passer. Ça va me passer.

J’espère simplement que ça reste écrit correctement. J’espère que c’est lisible, sincèrement.

Ce soir, j’ai un truc à faire passer. 

J’ai essayé d’être forte toute la journée. Pour deux.

Hier soir, j’ai retrouvé Pierre. Il m’attendait à la porte, il m’a dit, viens, on va au restau.

Dans l’escalier, il a ajouté qu’il n’avait pas dormi de la semaine, et j’ai compris que le restau, c’était surtout pour pouvoir me parler sans avoir son coloc dans le meilleur des cas dans la pièce à côté.

J’ai passé le dîner à l’écouter parler. Les phrases arrivaient par tranches de quatre, toutes les trois, cinq, dix minutes. On a mis une heure et demie à avaler le potage pékinois. On a pas jeté un regard au poulet. Je crois qu’on a vexé le cuistot.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il ne s’attendait pas à ce que j’arrive dans sa vie comme ça. Moi non plus, je m’attendais pas à arriver dans sa vie comme ça. Comme si je l’avais fait exprès. C’est pas de ma faute, si il me plaît, si ?

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je lui ai redonné confiance en lui.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je le comprends, ou presque, que ça l’angoisse, que je ne devrais pas être si près.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il se sent incapable de gérer la situation.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que c’est allé trop vite.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il déteste Internet.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il est perdu.

Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.

C’est marrant, j’ai la furieuse impression d’avoir essayé de lui dire la même chose la semaine dernière.

On passe une nuit blanche ou quasiment, à se serrer la main pour se dire qu’on est là. J’attends qu’il s’endorme pour dormir aussi.

J’ouvre les yeux, il est 9 heures. Argh. Réveillée à 9 heures un dimanche matin, avec à peine quatre heures de sommeil dans le sang, ça devrait pas être permis.

Il ouvre les yeux. Doucement, on reprend la conversation là où on l’avait laissée. De temps en temps, il s’excuse de pleurer. Et puis, il finit par la donner, l’info.

Tu sais, LBA, je crois qu’il me faut du temps.

Il se tait.

J’ai besoin de temps.

Je croyais qu’il y avait que les filles qui disaient ça. Je ne dis rien, si, que j’ai besoin d’une cigarette. Je regarde le mur. Il me prend dans ses bras.

J’ai dit d’accord. Je pars après ma douche. Et je me douche dès que la nuit tombe. Je crois qu’il a essayé de sourire.

On a parlé toute la journée. On a rit jaune, fait des blagues stupides, des but-we-were-on-a-break et autres considérations sur les signes du zodiaque incompatibles.

C’est pas facile, parfois, de respecter une décision qu’on ne comprend pas. On ne peut jamais comprendre les angoisses de personne. Mais bon, les siennes, j’aurais bien voulu, quand même.

Et puis il a dit :

Si seulement tu pouvais me manquer. Tu sais, que tu me retrouves en bas de chez toi un soir.

J’ai réprimé un geste. S’il-te-plaît, me fais pas rêver.

Mais qu’est-ce qui nous arrive ?

Est-ce que c’est notre génération ?

Qu’est-ce qui fait qu’un couple marche ?

Est-ce que se faire confiance, vouloir le bonheur de l’autre, se laisser respirer, parler, s’aimer, c’est pas suffisant ?

Et puis d’abord, comment est-ce qu’on sait qu’on s’aime ?

Comment on fait pour laisser quelqu’un rentrer dans sa vie sans se braquer ?

Comment font les cathos de ma famille pour décider un jour que lui, c’est le bon, c’est pour la vie, on va se marier, et dans vingt ans, dans trente ans, c’est sûr, on s’aimera comme aujourd’hui ?

Est-ce qu’il va me rappeler ?

Le premier qui dit que je fais ma Carrie Bradshaw avec mes questions existentielles, je le démonte.

J’ai passé la journée à osciller entre des phases de confiance absolue, des phases où j’étais là pour lui, il avait besoin de moi, on allait s’en sortir, où je savais bien qu’il m’aimait, bref des phases où je comprenais à peine ce qui se jouait ; et des phases où je le sentais bien, c’était la dernière fois qu’on se voyait, je sais bien qu’il est paumé, il faut que j’en profite – j’en ai profité.

La nuit est tombée. J’ai pris ma douche. Il devait retrouver un ami au Châtelet, et je l’ai accompagné.

Sur le chemin, on a pas parlé beaucoup.

Lui pour dire marche pas trop vite. Viens, on a le temps, on marche jusqu’aux Gobelins. Viens, on a le temps, on marche jusqu’à Censier.

Moi pour dire des bêtises. Tiens, regarde, c’était ma fac. Et, là, jusqu’à la maîtrise, c’était mon bar.

Mais on peut faire tous les détours qu’on veut. On finit toujours par arriver.

Il y a bien eu un moment où il a fallu se séparer.

Près du kiosque à journaux, il y avait son ami qui l’attendait.

Il y a un dernier regard, avant de se prendre dans les bras. Il me parle dans l’oreille.

Je te promets que dès que je commence à me prendre la tête, je t’appelle.

Je te promets que je fais le plus vite possible.

Je te promets que quoi qu’il se passe, je t’appelle, je te le dis en face.

Je te promets que je pense à toi.

Je lui ai répondu de prendre soin de lui.

On part avec cette impression bizarre qu’en se séparant, il vous a dit je t’aime du bout des lèvres.

Aujourd’hui, ça va être difficile de mettre une image marrante. Désolée.

PS : C’est pas facile de rebondir sur une note glauque comme celle-ci. Mais je voulais juste vous dire de ne pas vous forcer, mais que si vous me laissez un mot, ça me fera du bien.

Je suis en train de faire une enquête pour trouver un sujet gai pour faire une note à se pisser dessus (et pas à cause de la bière). Je vous ferai part des résultats de mon investigation…

Pas de Despé, pas de soirée

Hier soir, j’avais un truc à fêter : la fin de la semaine.

Comme je suis une fille bizarre, la fin de la semaine, ça m’angoisse.

Je culpabilise d’être soulagée. Je me dis que je n’ai pas bossé suffisamment, que je ne mérite pas ce qui m’arrive, et qu’ils vont bien finir par s’en apercevoir que la touche de mon clavier que j’utilise le plus, c’est F5 (Miam, non !!! Argh, too late[1]).

Je sais pas vous, mais moi, culpabiliser, ça me stresse. Résultat, quand la fin de la semaine arrive, faut que je me détende.

Et pour me détendre, y a pas trente-six méthodes : ça rate pas, c’est direction la Butte-aux-Cailles.

Hier soir, donc, j’ai retrouvé mes compagnons de tablée du dernier mariage[2], on s’est fait un petit dîner chez Gladines, et on est partis à l’assaut du Merle Moqueur[3].

Y en a plein, des bars, rue de la Butte-aux-Cailles.

Vous hésitez, vous ne savez pas lequel tester ? Écoutez-moi les yeux fermés : vous prenez celui qui a l’air le plus glauque, comme ça, de l’extérieur, et vous entrez. Vous ne pouvez pas vous tromper. Il y a un vague néon blanc en guise d’enseigne, et une porte vitrée complètement opaque à cause de la buée.

Faites attention à la façon dont vous êtes habillé(e). Mademoiselle surtout. Soit vous dégainez le débardeur, même pour le soir du Nouvel An, soit vous assumez les auréoles sous les bras. Je serais vous, je prendrais le débardeur.

Faites un sourire au videur, montrez-lui vos seins si vraiment il fait la gueule, prenez votre respiration (si, j’insiste, faites-le), et passez la porte.

Il est encore tôt. Il fait déjà très chaud.

Le bar doit faire une petite soixantaine de mètres carrés. Grand max. Pas une fenêtre, rien. Le comptoir prend facile un tiers de l’espace. Vous avez l’impression d’entrer dans un couloir. Tout de suite sur le mur de droite, il y a Thérèse qui danse avec le porc[4]. Ici, c’est pas conseillé de se prendre au sérieux.

Les murs sont peints d’écailles énormes et multicolores. Au milieu de la pièce, une énorme barre retient le plafond qui menace de se casser la gueule.

Bref, tout est fait de bric et de broc.

Vous avez confiance ? Prenez un verre.

Si vous êtes normal, vous commandez un rhum. Ils font des rhums de compétition, c’est la spécialité du bar. Si vous êtes LBA, vous prenez une Despé, parce que c’est un réflexe.

Il vous faut environ quarante-sept secondes pour renoncer à vous asseoir. S’il y a quatre tables dans ce bar, c’est bien le bout du monde, et ils les retirent vers 22 heures pour faire de l’espace.

Il n’y a qu’un seul coin-canapé, au fond. Tout le monde se bat pour l’avoir. Un jour, y aura des morts.

Comme ça une fois, j’ai eu des mots à propos de ce canapé avec deux Américaines absolument énormes. Le fond du débat, c’était un truc profond, du genre « C’est mon mien », « Nan, j’étais là la pwemièw », « Nan, preum’s », etc.

Est arrivé le moment où j’ai eu peur qu’elles s’aperçoivent qu’elles étaient en position de force et qu’elles m’écrasent entre elles deux, en se serrant l’une contre l’autre avec moi au milieu. L’angoisse. La mort horrible. Oui, j’étais déjà passablement bourrée. Et puis je m’en fous, c’est moi que j’ai gagné. Je suis trop une star pour le récupérer, ce canapé.

La musique monte progressivement. Le bar se remplit d’un coup vers onze heures et quart.

On sent les habitués. La playlist est la même, ou presque, tous les soirs.

Les habitués réagissent dès les premiers accords. Ils échangent un regard et vont ensemble vers la piste. Ils trépignent plus qu’ils ne dansent. Ils explosent leurs cordes vocales.

Ici, quand on coupe le son, ça ne fait pas une grande différence. La voix qu’on entend, c’est pas celle du chanteur.

C’est que le Merle, c’est d’abord une musique.

Moi je connais pas d’autre endroit à Paris où on peut montrer qu’on aime la musique ringarde et retomber en enfance sans être homosexuel.

Je connais pas d’endroit comme ça, où je peux monter sur l’unique table basse du bar et me déchainer sur les Cités d’Or sans être ridicule.

Sans être ridicule parce que la seule différence entre moi et le reste de la salle c’est que je suis sur la table et eux non.

Sans être ridicule parce que c’est pas moi, c’est l’esprit du bar qui est comme ça.

Sans être ridicule parce que personne ne sait danser.

Sans être ridicule parce que le ridicule, ça s’assume.

On ne va pas dans un endroit qui passe à fond La salsa du démon et autres capitaine Flam si ce n’est pas pour entrer dans le délire.

Ici, y a des hymnes. Des titres que tout le monde attend parce qu’ils veulent dire que c’est sûr on est au Merle, des titres qu’on entend qu’ici. Si vous trouvez la version de Emmenez-moi par Marousse quelque part, vraiment, écoutez ça, je vous jure que c’est hénaurme.

…Ça fait deux heures et demie que je suis sur cette note. Ça ne m’est jamais arrivé. Je voudrais pouvoir expliquer ce que c’est pour moi le Merle Moqueur, et j’ai l’impression de ne parler que de banales beuveries.

Le Merle, c’est plus que ça. Je parle des habitués, je dis qu’on se connaît du regard, qu’on a tous les mêmes réflexes et qu’on beugle au même moment ; alors que tout ce que j’essaie de dire, c’est que ça me rappelle mon enfance.

Oui.

Quand j’allais à la messe. Une espèce d’état second, de communauté, de fraternité.

Et ça, d’accord, ça c’est pathétique.

C’est pathétique parce que c’était cet état second qui m’a rendu la tâche si difficile quand j’avais voulu m’éloigner du catholicisme. Cette sorte de nostalgie d’un état originel, d’un bien-être, d’une sécurité rassurante.

Eh ben aller au Merle ou à l’église, c’est pareil.

On vient tous ici noyer ou étouffer un peu nos angoisses. On connaît le rituel par cœur. On peut adresser la parole à n’importe qui sans risquer de paraître bizarre, on est tous un peu frangins. On chante les mêmes cantiques. Le plafond est étonnamment bas. On communie. Je suis bourrée, je suis bien.

Pour un non-fumeur, c’est l’enfer sur terre.

Tout ce qu’on voit, à plus de deux mètres de distance, ce sont des volutes de fumée.

De mon poste d’observation sur la table, je les ai regardés monter vers le plafond et s’évanouir, en rangs serrés, dans la lumière des néons.

Il fait chaud. Même les plus fidèles parmi les fidèles sortent respirer toutes les demi-heures.

Et pourtant, il y a la clim’. Si. Ça fait plus d’un an que j’y vais, et je l’ai aperçue hier. C’est un énorme bloc grisâtre qui couvre quasiment toute la piste, accroché au plafond. Et effectivement, si on se met pile dessous, il y a un petit courant d’air.

Mais ce n’est pas le courant d’air qui m’a fait la remarquer : la clim’, hier, elle fuyait. Il pleuvait sur la piste.

C’était chouette à voir, la fumée qui monte au plafond, l’eau qui dégouline, les danseurs dessous qui cherchent à profiter de la fraîcheur, trempés de transpiration, de l’eau qui tombe du plafond.

Je ne sais pas comment le bar tient debout. Quand j’ai voulu descendre de la table pour récupérer ma bière, j’ai failli me vautrer (avec toute l’élégance qui me caractérise, mais me vautrer quand même). J’avais voulu m’appuyer sur le mur. Les murs suintent tellement il fait humide. Ils glissent.

Le Merle ferme tôt. À deux heures et demie du mat’, tout le monde est dehors. Tout le monde termine en boîte.

Moi, je ne peux pas. Autre chose après le Merle, je n’arrive pas à voir l’intérêt. Ça ne pourrait être que moins bien de toute façon. Je préfère rester sur mon impression.

La descente est toujours un peu rude.

On oublie pas le dernier passage aux toilettes – la Despé, ça pardonne pas.

Les chiottes du Merle, ce sont les plus crades que j’aie vu dans cette ville. Et encore maintenant, la chasse d’eau marche. Ça a pas toujours été le cas[5].

Passer la porte dans ce sens-là, pour sortir, je ne sais pas pourquoi, c’est toujours plus violent que quand on arrive (là je parle de la porte du Merle, pas celle des chiottes, on est d’accord). Dehors, il fait froid. D’un coup, on se dit que le videur, il a quand même une sale gueule. On a envie de pisser. Encore. On va se planquer entre deux voitures.

On rentre chez soi. On est pas sûr d’être vraiment de bonne humeur.


[1]             Private joke, désolée. Pour comprendre l’histoire, faut se taper tous les commentaires de la note précédente. Motivés ?

[2]             D’ailleurs, j’étais bourrée, je leur ai filé mon URL. Faut que j’arrête l’alcool, moi. Enfin, je la leur ai pas vraiment donnée, j’ai raconté une de mes notes. Mais Google, ça existe, LBA, bordel. Et même que y a des gens, ils peuvent faire ça avec leur portable. Comme ça, direct, au restau. Comment ça calme.

              Bon, ben. Coucou à F., C., S., L., et A. (non, un autre).

              Ça commence furieusement à ressembler à une autoroute, ici.

[3]             Si un jour, vraiment, je me fais prendre en flag’ par quelqu’un qui vraiment ne doit pas lire ce blog (patron, parents, collègues… ah, non, ça c’est déjà fait), ce sera à cause du Merle que je cite tout le temps. C’est trop simple comme recherche Google.

[4]             Oui, si vous avez pas cliqué sur le lien, vous avez pas compris, c’est normal (le lien en question renvoie vers la note intitulée Euh, non Pierre, c’est un gilet, du 17 août 2005).

[5]             Et pour des chiottes à la turque, ça craint.