Bon décidément, le temps passe et je ne poste jamais. Faut s’astreindre à un rythme précis pour que les notes soient cohérentes et forment une histoire.
Fuck la cohérence : on va dire qu’on passe en mode exhutoire. On en a rien à foutre de ce qui s’est passé depuis le dernier post. J’ai trouvé du boulot, j’ai perdu mon boulot, j’ai rencontré de nouvelles personnes, perdu des amis, déménagé dans notre appartement à nous, réussi à épargner la vie de la grand-mère, eu deux chats, cinq poissons rouge, deux crevettes et je me suis mariée. Je ne le raconterai jamais, parce qu’a posteriori, ça n’a plus aucun intérêt.
Hier, j’ai passé mon permis de conduire. Un an et demi que j’attendais ça. J’ai engraissé l’auto-école de plus de trois mille cinq cents euros, j’ai épuisé quatre moniteurs.
J’avais fait tous les sacrifices : j’avais investi dans un permis accéléré que l’on passe en trois semaines et j’étais descendue à Lyon un mois avant l’homme pour pouvoir aller à l’auto-école, j’avais vécu chez la grand-mère, ce que je ne souhaite à personne.
C’était donc il y a un an et demi.
Pendant un an, j’ai bossé à Pétaouchnok-les-Oies. J’avais trois heures de trajet par jour pour aller au boulot. Pendant un an, je me suis levée à six heures du mat tous les samedis pour aller conduire à l’autre bout de Lyon. Pendant un an, tous les samedis à 7h30, une connasse m’a accueuillie en me disant : Tu as l’air fatiguée LBA, pourquoi tu ne dors pas ?
J’ai explosé le jour où je me suis aperçue qu’il était possible de conduire le samedi après-midi et que je me tapais les heures indues du matin parce que les autres les refusaient avec des mots fleuris et que je suis trop polie.
J’avais supprimé la mention “(en accéléré)” en face de “Permis B en cours”, sur mon CV. J’étais connue comme le loup blanc. Mon permis était devenu l’Arlésienne de toutes les conversations, en famille, au boulot, dans le train, entre amis, à la maison.
J’ai attendu ce putain de jour un an et demi et il est arrivé finalement, hier.
Je suis arrivée à l’examen avec l’impression de jouer ma vie et ma carrière. Ce n’était pas mon coeur que j’entendais battre, c’étaient les veines dans mon cou.
Concentre-toi LBA, concentre-toi. Tu sais le faire. Souviens-toi que tu sais le faire.
Régler le siège. Pourquoi ça bloque, pourquoi ça bloque ? Tanpis, je conduirai très bien sans plier les coudes. Ceinture. Rétros.
Toutes les autres voitures sont parties. Mon genou tremble tellement que j’ai mal au menton.
Embrayage, première, démarrer le moteur, frein à main. C’est parti. Mon coeur ressemble à une pomme séchée.
Je dois reconnaître que ça s’est tellement mal passé que ça a fini par verser dans le gaguesque. L’examinateur – adorable au demeurant – m’a jeté un oeil interrogateur. Je suppose qu’il se demandait pourquoi je n’arrêtais pas d’embrayer et de débrayer. Il n’a jamais essayé de conduire avec un genou qui tremble ?
En sortant du centre d’examen (je n’avais pas le volant dans les mains depuis plus de quinze secondes), je me suis positionnée tellement à gauche pour tourner à droite que j’aurais pu faire douze morts, surtout à proximité d’un centre de sécurité routière où la plupart des véhicules sont conduits par des débutants atrophiés du volant.
Allons, me suis-je dit. Reconcentrons-nous. Sur un malentendu, ça peut marcher.
Pendant la demie-heure qui a suivi, j’ai, dans l’ordre :
– pris à 50 km/h la première route, après une étude pifométrique très approfondie au-cas-où-je-sois-encore-en-agglo.
– grillé une magnifique priorité à droite que je connais par coeur, puisque j’ai déjà failli tuer des dizaines de personnes à cet emplacement précis et la dernière pas plus tard que la veille. Allez, on se reconcentre. Sur deux malentendus, ça peut marcher.
– me suis arrêtée au milieu d’un rond-point. J’arrive sur le rond-point, rétrograde, observe, anticipe, vois un camion sans cligno. Il va tourner me dis-je, et de m’engager. Et c’est là que mon bac +5 devient le pire des handicaps : oui, mais s’il ne tournait pas ? Si on prend en compte l’âge du chauffeur multiplié par le nombre de ses pneus ? Et de m’arrêter. Entre temps, la moitié avant de mon véhicule est engagée sur le rond-point, le camion a bien tourné, et les voitures passent, passent, passent devant moi. La minute pendant laquelle je guette une occasion de redémarrer est longue, longue, longue. Sur ce malentendu-là, ça passera pas. Reconcentrons-nous. A défaut de sauver les meubles, sauvons l’honneur.
– m’y suis reprise à trois fois pour faire un épi arrière. Je ne savais même pas que ça existait, moi, un épi arrière. Si je trouvais la maison de mes rêves à acheter pour cinquante mille euros et que la place de parking associée soit en épi arrière, je chercherais plutôt un autre logement. Mais je suis pleine de bonne volonté. Je fais une première tentative, une seconde, mon genou s’affolle, une troisième. Quand je finis par couper le moteur et descendre de la voiture, je m’aperçois que j’ai réussi une manoeuvre magnifique, mais que c’est un rangement en bataille. J’occupe trois places en épi, dont une place handicapé.
La suite est du même acabit. J’ai oublié de démarrer le contact lorsque l’on m’a demandé de mettre en marche le lave-vitre arrière et ai fait exactement la même erreur une dizaine de secondes plus tard lorsque l’on m’a demandé d’allumer je ne sais plus quels phares. Je me suis trompée de phares, évidemment. Au retour, j’ai pris une route à 80 km/h après une étude pifométrique poussée, au-cas-où-je-ne-sois-pas-en-agglo, pour m’apercevoir, (beaucoup) trop tard que c’était la route que j’avais prise à l’aller à 50.
Dernière manoeuvre de retour au centre d’examen : il faut simplement se garer le long du trottoir, de façon bien parallèle. Dire qu’il a fallu attendre ce moment-là pour que je réussisse mon épi !
Il faut préciser quand même que j’ai parfaitement réussi une marche arrière en ligne droite. Mais l’expérience prouve que cela ne suffit pas à obtenir le permis.
Je suis en rage contre moi-même. Nous sommes deux au monde à savoir que je sais conduire. Moi, et mon moniteur. Mon moniteur qui m’a fait confiance, qui a senti monter la panique et m’a proposé de décaler ma date de présentation à l’examen.
Qu’est-ce qui me reste ? Conduire sous anxyolitiques ? Prendre des pilules avant d’aller en entretien d’embauche ? Parce que je vous parle du permis, mais vous devriez me voir en entretien.
Je suis fatiguée. Je vais me coucher et si j’arrive à oublier que j’ai honte de moi, je dormirai peut-être.