Dans la vraie vie

J’ai attendu ce moment pendant des années.

Faire un job intéressant, être payée pour ça, être indépendante.

Je travaille depuis un peu plus d’une semaine. J’ai des crises d’angoisse. Je voudrais juste comprendre ce qu’on me demande. Je ne suis pas stupide, je veux bien faire, j’écoute, je suis motivée (on dirait la méthode Couë).

Je me suis fait embaucher sur un coup de tête, ils ont créé un poste pour moi. Donc, en toute logique, objectif un : se trouver une mission, la remplir.

Objectif un rempli. Une mission, j’en ai une, et pas des moindres. Reste à la tenir, face à des gens qui ont toujours été habitués à bosser sans vous, et qui chamboulent tout ce que vous avez fait en dix minutes de réunion.

Ça se passe toujours de la même façon:

A. Je sors de la réunion a un peu déprimée, en me disant que ce que j’ai fait n’a servi à rien.

B. Je me reprends, je me dis que je ne me suis pas assez mise dans leur ligne, je refais tout à zéro. Quand je suis en forme, je propose plusieurs versions.

C. Je me rends à la réunion b gonflée à bloc. J’ai bossé pour, merde.
D. Je n’ai pas eu le temps d’en placer une (je voudrais pas me mettre à dos mes nouveaux collègues qui se demandent un peu ce que je fous là), que X ou Y explique qu’il a repensé le projet à zéro et patati et patata. Je jette mon dossier à la poubelle.
E. Je sors de la réunion b franchement déprimée, ce que je fais ne sert à rien. Et si on veut mériter sa paye on fait comment ?

Le plus beau, c’est qu’à chaque réunion, c’est un nouveau polichinelle qui sort de sa boîte. C’est bien, ça m’aide à retenir les prénoms. Le boss, lui, change d’avis toutes les deux secondes. Il arrive tous les matins avec son dictaphone, sur lequel il a enregistré pendant ses longues nuits d’insomnie toutes ses idées géniales. Elles sont peut-être géniales, mais il suffit qu’il éternue devant son micro pour foutre par terre tout ce que j’ai fait depuis la veille.

Allez, c’est pas grave. Ce qu’il faut faire, c’est s’adapter.

S’adapter, pas de problème. Mais je pourrais pas bosser un peu aussi ? Je suis en période d’essai. Ce matin, un mec est rentré dans mon bureau en me demandant de lui mailer ce sur quoi je bosse. J’ai failli lui demander quelle version il voulait et je me suis retenue. Je lui ai envoyé la dernière, quatre pages qui se battent en duel. Vingt minutes après, il m’avait tout démonté. Enfin, il avait changé l’angle d’approche – une fois de plus – ce qui revient strictement au même. Et comme le boss aura changé d’avis demain matin…


Ce week-end, je suis rentrée chez mes parents. J’ai un boulot, ils ne se sentent plus de joie. Ils me regardent avec de vrais morceaux d’amour et de fierté dans le regard.

Quand tu seras augmentée à 20 000 balles, je t’invite au Train Bleu. Et quand tu seras à 30 000, c’est toi qui m’invites.


Dieu merci, il parle en francs. En attendant, on va surtout commencer par essayer de ne pas se faire virer.

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