Lettre à Agnès

Avant tout, je voudrais te dire que je t’aime.

Quel que soit le résultat de cette lettre et de la réponse que tu me feras, tu es et tu resteras l’une des plus belles histoires d’amitié que j’aie vécues.

Je voudrais aussi te remercier pour ce que l’on a vécu ensemble et tout ce que tu as pu faire pour moi. Merci d’avoir reconnu ce que je ressentais pour Axel. Merci d’avoir été là au départ de l’Ex. Merci pour nos week-ends ensemble, merci d’avoir été dans ma vie, merci d’avoir été mon témoin de mariage.

Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que tu ne donnais plus de nouvelles. Il y avait ce pacte qui avait été formulé entre nous – je ne sais pas si tu te souviens – qui disait que ça t’arrivait et que je respectais, j’attendais. Tu revenais quand tu étais prête. C’est arrivé plusieurs fois.

Là, tu étais très occupée, tu avais Tina et ton boulot, je savais que tu savais que j’étais là quand tu voudrais.

Et puis mon historique s’est allongé de messages que je t’envoyais et qui restaient sans réponse. Est venu un moment où je ne pouvais plus ouvrir Signal sans ressentir un vide sourd. 

Mon mail vers vous pour l’organisation de mes 40 ans est le seul qui est resté sans retour.

Je me suis demandé si j’avais toujours les bonnes coordonnées et l’Ex m’a dit que oui.

C’est devenu vraiment difficile quand j’ai compris en entendant les enfants que l’Ex avait de tes nouvelles, que les enfants et lui étaient allés en Suisse vous voir. 

J’avais toujours pensé que je serais là pour le baptême de ta fille ; alors j’ai mesuré que ce n’était certainement pas une période d’apnée mais que tu ne voulais plus me voir – et que tu ne me l’avais pas dit. 

J’ai longuement longuement hésité avant de t’en parler : si tu ne veux plus, je ne veux pas, je ne peux pas et je ne dois pas te forcer la main. Et dans le même temps, comment rester avec ce point douloureux que je ne comprends pas ?

J’ai besoin de savoir si je dois t’attendre ou pas. Peut-être même, si je ne dois pas t’attendre, seras-tu en mesure de me dire pourquoi.

La semaine prochaine Poussine va être baptisée. 

Je ne peux pas y aller parce que je ne suis pas en capacité de croiser les parents de l’Ex sans en trembler, parce que je ne me sens pas capable de dépasser le silence qu’ils ont instauré lors de la rupture, parce que je ne sais pas sur quel pied danser. 

Je ne peux pas y aller parce qu’il y a eu tellement de non-dits et que je ne sais toujours pas pourquoi je n’étais pas présente à ses 7 ans, par exemple.

Pour l’instant c’est son baptême ; mais si elle se marie un jour, alors qu’est-ce qui se passera ? 

Est-ce que je vais rester coincée chez moi à louper l’un des jours les plus importants de la vie de ma fille ? Est-ce que je vais venir et passer l’une des pires journées de ma vie le jour le plus important de la vie de ma fille ? 

Est-ce que je vais réussir à prendre sur moi ? Est-ce que je vais craquer et revivre et faire revivre ce jour lamentable de l’enterrement de la grand-mère ? 

Est-ce que je dois prendre sur moi un jour pareil ?

Je me dis qu’il faut que j’affronte tout ça, qu’il va falloir que je les voie et que je le leur dise avant que ce jour n’arrive.

Je me dis aussi que toute cette démarche commence par toi, parce que tu es Agnès, parce que je t’aime, que tu me manques, que tu es ma famille et que te croiser au mariage de l’un de mes poussins sans nouvelles de toi depuis des années serait d’une douleur intolérable.

Je crois que pendant des années, en me cachant derrière la volonté de respecter ton silence, j’ai posé une chape sur tout ça. 

Et la semaine dernière, invitée chez mon ex pour les 11 ans de mon fils, j’ai vu le faire-part de naissance de ton fils sur le frigo. J’ai reconnu le format, il y a celui de Tina chez moi. Je me suis tournée vers l’Ex et j’ai dit “Mais elle a eu un autre enfant Agnès ?” Il a dit “Oui, l’année dernière, je pensais que tu savais.” 

Je ne savais pas. Je suis désolée. Peut-être que tu m’as envoyé le faire-part ou peut-être pas. 

Peut-être que tu ne sais pas que quelqu’un vole le courrier chez moi, que je ne reçois rien. Peut-être que tu ne sais pas que l’Ex n’a jamais parlé de cette naissance devant moi ? Peut-être que c’est toi qui attends de mes nouvelles ?

Ou bien peut-être que tu ne me l’as pas envoyé – et dans ce cas-là il faut que je te laisse tranquille. Que je comprenne d’abord puis que je te laisse tranquille.

Je ne sais pas. Je ne sais pas si tu es heureuse de cette nouvelle naissance. J’ai la conviction que oui, que vous êtes une famille unie, heureuse et que tout va bien pour vous. J’ai envie de penser que vos murs sont couverts de photos magnifiques de vous quatre et que les enfants sont épanouis, heureux et canons (ils sont forcément épanouis, heureux et canons).

Je n’ai pas envie d’écrire de mots de félicitations machinaux et galvaudés, je suis seulement très profondément heureuse pour vous et je vous souhaite un bonheur incroyable.

Le jour de la naissance de Tina, je suis restée la journée entière sans respirer les doigts croisés en attendant de tes nouvelles. J’espère que tout s’est bien passé lors de l’arrivée de ton fils.

Je voudrais te raconter les deux ou trois dernières années ici avenue Santy, mais avant, il faut que je te dise les interprétations, les pistes qui me taraudent. 

Est-ce que tu as cru que je t’avais lâchée ? Est-ce que tu as pensé finalement qu’il fallait choisir entre deux exs ? 

Est-ce que la peine qui m’est tombée dessus quand tu m’as dit que l’Ex était le parrain de ta fille t’a impressionnée, douchée, refroidie ? Est-ce que tu sais que ce n’est pas le fait qu’il soit parrain qui a été difficile sur le coup, mais seulement de l’apprendre si tard ? Une partie de moi était si sûre que j’apprendrais ce genre de choses plus tôt. J’ai eu l’impression que pendant quelques mois j’avais vécu seule dans une réalité parallèle. 

Est-ce que la peine que j’ai eue au moment du divorce et cette difficulté à reconstruire ma vie, à reprendre le dessus, à vivre avec le rejet et l’incompréhension ont été trop lourdes à regarder ? Est-ce que tu as pensé que tu ne pouvais plus accompagner ?

Si c’est ça, pourquoi ne l’avoir pas dit ?

Est-ce que la vie a simplement suivi son cours, et simplement suivi son cours sans moi ?

Est-ce que ta participation à la cagnotte pour Loki était une façon de montrer que tu étais toujours là ? Est-ce que tu as reçu mon message de remerciement ?

Est-ce que tu es toujours sur Signal ?

Bon. 

Est-ce que tu as encore quelques minutes devant toi pour que je te raconte ces dernières années ?

Je travaille toujours pour la même boîte où je suis devenue staffing manager. Je suis la consultante la plus ancienne de ma boîte maintenant. Ça me pose pas mal de problèmes d’éthique. Plus les années passent et plus j’ai un problème avec la croissance et le capitalisme.

Je ne suis plus sur le Projet Machin depuis 2022. Les deux dernières années ont été vraiment difficiles.

Je suis devenue très proche de Henri et Rosalie avec qui je travaillais dans l’équipe Jira. On fait pas mal de sport ensemble, je cours 10 kms plusieurs fois par semaine. J’ai arrêté de fumer ! Dans quinze jours, on va courir le marathon en relais d’Edimbourg avec Esther, Gaspard et Henri. J’ai tellement hâte et la trouille.

Après le Projet Machin, j’ai fait une mission de conseil à Valence. En ce moment je travaille pour Alptis (et je m’emmerde profondément).

Mon appartement est mon nid et je m’y sens chaque semaine un peu mieux. J’ai laissé libre cours à mon addiction pour les jeux de société – je suis presque aussi fière de ma collection que de ma bibliothèque.

Je fais tous mes déplacements dans Lyon à vélo qu’il neige qu’il pleuve ou qu’il vente. Je dois pédaler 35 kilomètres par semaine.

Oh et je conduis aussi ! J’ai acheté une voiture et j’ai réussi à dépasser mon appréhension grâce à Fabien (tu te souviens de Fabien ?). 

Notre relation a évolué il y a un an à peu près vers une amitié forte, disons, sans bénéfices. On s’entend toujours très très bien, avec Grégoire, et on se voit régulièrement. On a pour projet de se mettre en coloc à la retraite.

Depuis un an je suis dans un truc étrange avec l’un de mes collègues. On n’a pas du tout les mêmes projets de vie et un gros écart d’âge – mais chaque moment passé avec lui est un plaisir pour moi et c’est quelqu’un que j’aime beaucoup. C’est un beau bordel dans ma tête. La chute sera forcément rude quand elle arrivera. Je n’en dis pas plus à ce sujet parce que je sais que je vais avoir besoin que cette lettre soit relue par quelqu’un de cher avant que je ne l’envoie ; pour être certaine que mon ton est juste et que je ne te blesse pas. Et si j’ai besoin de la faire relire, il la lira forcément.

Et toi ? Comment ça se passe avec les deux enfants ? Comment vas-tu, comment te sens-tu ? Comment ça se passe avec ta mère ? Tu t’inquiétais pour ton père qui vieillissait, comment va-t-il ? Est-ce que ça va avec tes sœurs ? Vous vous voyez avec Laura, en Suisse ? Comment vont Sonia, son mec et ses enfants ? Est-ce que tu es heureuse dans ton couple, dans ton job ? Est-ce que tu bosses ? Est-ce que la Suisse est supportable ? Tu t’entends toujours bien avec ta collègue qui s’appelait comme moi ? Est-ce que vous avez toujours l’appartement à Lyon ?

Tu sais, j’ai fini, il y a un petit mois, par jeter le bon pour un trajet en train vers chez vous que tu m’as offert pour le dernier Noël ou anniversaire qu’on a partagé. Je me suis aperçue que je ne pouvais plus ouvrir le frigo sur lequel je l’avais accroché sans avoir une larme au cœur. J’ai jeté le papier mais s’il y a toujours de la place dans ta vie, maintenant que je conduis, je serais heureuse de l’utiliser comme “bon pour venir vous voir”. 

Ça me permettrait de t’apporter la ribambelle de boucles d’oreilles bleues que j’ai prises pour toi à chacun de mes voyages.

Voilà. Je t’embrasse. Je ne sais pas si j’ai envie de te lire très vite ou si j’en ai très peur. Les deux certainement.

Des bises à chacun de vous quatre.

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