Ce que je n’ai pas l’intention de pardonner

Il y avait une copine de longue date à la maison l’autre jour ; et quand l’ex était évoqué, impossible d’en placer une. Il fallait absolument que je dépasse-la-colère ; que-je-le-fasse-pour-moi-et-pas-pour-les-autres-et-pas-pour-lui-hein.

Ça m’a fatiguée.

Je vais bien, merci. Je suis très bien célibataire et ce qui me coupe le souffle aujourd’hui, c’est plutôt de savoir comment j’ai pu rester mariée si longtemps, comment j’ai pu me faire larguer là où j’aurais dû être partie depuis des années, à quel moment je me suis reniée et oubliée.

Certainement pas de savoir à quel moment j’ai perdu mon amour ou quand ma vie s’est écroulée. Ma vie s’est écroulée quand j’ai dit oui et que j’ai cédé.

Je ne suis pas en colère parce que j’attends une réparation – on ne peut pas obtenir réparation de quelqu’un qui n’est pas solvable. Je suis en colère parce que je mesure ce que tout cela m’a coûté et ce que j’ai perdu. Et j’ai le droit : ce que j’ai perdu, on ne me le rendra pas.

Être en colère, ça ne veut pas dire être en conflit ; ça n’implique pas de combat à la sortie de l’école ou de guerre de la pension alimentaire.

Je peux avancer – c’est d’ailleurs tellement plus facile d’avancer seule qu’à deux ; mais je ne veux pas pardonner.

Le père de mes enfants est un père parfait ; mon ex est un gros con qui m’a pris treize ans de ma vie et qui ne s’en est même pas aperçu.

En 2018, en mai, un soir sur le balcon ; après des jours de silence à la maison, j’avais insisté. J’avais demandé dis-moi ce qu’on peut faire, dis-moi ce qui fait que tu te sens si mal, dis-moi pourquoi tu m’en veux.

Tu m’as répondu ce jour-là, ça a duré des heures, j’ai cru mourir sur place ; tu as fait une liste, une interminable liste de tout ce que tu me reprochais. Fumer. Mettre en danger mes enfants. Ma réaction quand j’ai perdu le bébé (trop). Ma réaction à la mort de ma nièce (trop). A celle de ton beau-frère (pas assez). Ne pas aimer les surprises. Travailler trop. Ne pas baiser sur commande. Mal tenir les comptes. Pleurer.

Quand on s’est croisés la semaine dernière, tu as fait une sortie assez piquante sur la notion de subjectivité. Ça se voulait une phrase complice je crois, ton message était sans doute que tu comprends mieux maintenant quand je dis que le factuel n’existe pas et que tout est toujours subjectif : « Tu vois à l’époque où tu dis que je ne parlais pas du tout ? Ben moi j’en ai aucun souvenir ; comme quoi, hein, t’as peut-être raison, on a pas tous la même vision des choses, ha ha. »

Ha ha.

C’était pas drôle. Tu es vraiment resté deux mois sans parler – au point que je t’écrivais, on vivait ensemble et je t’écrivais. Tu es sorti du silence deux fois : une fois pour ta litanie de reproches et une autre pour dire que tu avais pris ta décision et que c’était fini.

C’est long, deux mois.

A mon tour aujourd’hui de faire la liste de ce que je ne pardonnerai pas – à la nuance que je ne t’imposerai jamais de la boire, la boire jusque vomir. Je pose juste ça là, c’est un peu lourd à porter pour moi.

Je ne pardonnerai jamais le retour de Paris, j’en ai peut-être déjà parlé et je m’en fous ; je ne pardonnerai jamais le jour où je suis rentrée de trois semaines de deuil en famille parce que mon frère avait perdu sa petite fille ; que je suis descendue du train, j’ai regardé autour de moi et tu n’étais pas là. Ça ne m’avait pas traversé l’esprit que tu ne pourrais ne pas être là.

Pas sur le quai. Pas dans la gare. Pas sur le quai du tram. Pas dans le tram.

Tu as décroché quand j’ai appelé en me disant que tu étais dans un bar au bout du T3 avec elle et je pouvais « vous rejoindre si j’avais envie ». Moi « mais je suis dans le T4, ça va me faire retraverser la ville… » Après plusieurs coups de fil, tu as fini par rentrer et tu étais furieux, tu disais que quand même je pouvais bien voir que t’avais fait l’effort de rentrer. J’ai passé la nuit à pleurer sous la table du salon. Ça t’a pas plu.

J’ai vérifié, je l’ai raconté déjà, effectivement. Deux pages avant, mais pour moi c’est des années. Comme quoi celle-là, elle est encore bien bien haut dans le gosier.

Je ne pardonnerai pas que tu aies oublié de me prévenir que tu l’avais quittée. Cette fille que tu fréquentais dans nos derniers mois de mariage, tu l’as quittée pendant que j’étais à Paris avec ma famille ; et comme tu as cessé de me parler à mon retour tu ne me l’as pas dit, et c’était même pas exprès.

Je ne pardonnerai jamais ta réaction juste après m’avoir quittée. Pas tant d’avoir appelé les flics parce que j’avais de colère lâché une bouteille par le balcon – le truc le plus con que j’ai fait de ma vie sans doute, record à battre.

Mais parce que tu as dit, à impact + 10 minutes : « je ne pensais pas que tu le prendrais si mal, tu avais toujours dit qu’il ne fallait pas qu’on reste ensemble si on ne le voulait plus. »

J’avais dit qu’il fallait que tu partes si tu le voulais, oui ; pas que j’allais danser la gigue dans les huit secondes qui suivraient.

Je ne pardonnerai pas de t’avoir attendu trois heures à l’hôpital.

Quand les flics se pointent pour ce genre de raison, ils appellent les pompiers ; et les pompiers m’ont emmenée à l’hosto parce que grosse colère et alcool. Je t’avais demandé de me rejoindre en voiture, je ne savais pas comment je m’appelais et je n’avais pas encore compris ce qui se passait.

A l’hosto, j’ai attendu qu’un médecin soit dispo, je lui ai raconté ma soirée. Il m’a répondu que ben oui, quand on se fait plaquer par surprise et qu’on a deux jeunes enfants, on se met en colère ; et qu’il espérait que je n’allais pas rentrer avec ce con quand même. On s’est regardés quelques secondes. Il a signé mon bon de sortie en me souhaitant bon courage et en me disant « Il faut vraiment le quitter, maintenant ». Et je suis sortie.

Tu n’étais pas là. Tu as fini par arriver, avec des plombes de retard, parce que tu avais appelé ta sœur pour qu’elle te dise que faire. Elle t’a conseillé de me faire une valise au cas où je sois hospitalisée en psychiatrie ; et tu as fait la valise. Une belle valise, bien complète. Trois heures de choix de vêtements. Je pardonnerai pas ça.

Je ne pardonnerai jamais que tu m’épouses deux fois quand vraiment, j’étais contre ; et que tu te casses trois ans après le mariage religieux.

Je ne pardonnerai pas cette manie que tu as de vouloir toujours ménager la chèvre et le chou, d’être incapable de te positionner, ce qui fait qu’à la fin, quelqu’un passe systématiquement à la trappe ; et que ça te met en colère parce que ça t’énerve de faire du mal aux gens, lapin.

Je ne pardonnerai pas le fait que tu aies toujours été infoutu de donner une information claire. Depuis la fin du mariage, cette incapacité de dire clairement si tu étais en couple ou non, si vous viviez ensemble (et avec mes gosses by the way) jusqu’à ce que je découvre son nom à la place du mien sur la boîte aux lettres en déposant les petits un soir.

Ces mensonges par omission parce que tu ne sais pas être droit dans tes bottes, ces promesses de sorties de temps en temps tous les quatre avec les enfants et les éventuels nouveaux conjoints. On est à une moyenne de 0 sortie par an depuis trois ans, on se défend pas mal. J’ai un peu revu mes espérances à la baisse sur ce point-là.

Je ne pardonnerai jamais le fait que tu aies été infoutu de communiquer à tes parents que n’avoir plus du tout de leurs nouvelles était lourd pour moi. Et surtout, je ne pardonnerai pas que tu me reproches de te forcer à te positionner.

Je ne pardonnerai jamais la fois où tu es venu à la maison pour m’aider pendant les travaux, tu étais nerveux (t’avais pas envie de venir en fait, mais tu savais pas le dire). Tu t’es énervé sur Poussin. Il a fallu que je te demande devant les enfants de sortir de chez moi. Je ne te pardonnerai pas ça.

Je ne pardonnerai pas la fois où tu as pensé que me déposer mon dernier meuble le soir de Noël était judicieux, où tu as fait une tête de martyr quand j’ai dit que non, tu n’allais pas monter le meuble maintenant – mais à quel moment as-tu pu imaginer que je m’attendais à ce que tu montes ce meuble ? Tu m’as reproché ensuite que mes parents t’avaient prévu un cadeau et que du coup tu n’osais plus partir et que tu allais être en retard à ton propre Noël.

Je ne pardonnerai jamais, jamais ton comportement lors de l’enterrement de ta grand-mère. On était à rupture + quelques jours. Ça me semblait évident d’y être, moi, c’était l’arrière-grand-mère de mes enfants, j’avais pas pensé une seconde n’être pas présente. On habitait encore sous le même toit à l’époque. Mes parents descendaient de Paris. Je crois que de notre côté, ça semblait plus logique que du vôtre.

On s’était mis d’accord pour que tu arrives avant moi pour que je ne me retrouve pas seule avec ta famille. Tu es arrivé en retard – oui oui, certainement une excellente raison, cette fois aussi, j’en suis certaine.

Quand je suis arrivée dans la maison familiale, ta mère n’a fait aucun commentaire. On ne s’était pas revues depuis la séparation – et on ne s’est jamais revues depuis. Pas un mot. Quand je suis entrée dans la cuisine, le repas s’est terminé comme par enchantement et la cuisine s’est vidée.

Tu as fini par arriver. Je pleurais. Tu m’as demandé ce qui se passait. J’ai pleuré plus fort. Tu t’es mis en colère. J’ai expliqué aux enfants que j’allais rentrer à la maison. Je suis allée prendre le bus. Tu m’as suivie. J’ai fini allongée à pleurer sous l’abribus. Toi tu es reparti furax parce que j’allais te faire arriver en retard à l’enterrement de ta grand-mère et que mon comportement était déplacé. Je n’avais pas besoin de toi pour aller prendre le bus, hein. Je ne te l’ai pas demandé. J’arrive à le faire même en pleurant.

On s’était mis d’accord ce matin-là : le soir tu devais garder les enfants. Moi, je passais la soirée avec Agnès. J’ai appris ensuite – par Agnès – que les plans avaient changé. Tu as dit à Poussine dans son lit au moment du coucher que tu partais pour la soirée parce que je ne voulais pas que tu restes. Quand je t’ai fait une tape dans le dos pour te dire quoi mais comment mais à quel moment, tu t’es retourné et tu as crié devant la petite : « Tu me frappes pas, OK ? »

J’ai du mal à décrire ce que je ressentais à ce moment-là. J’étais un poids. Il fallait que je disparaisse parce que je te gênais, je voulais pas te gêner. J’ai attrapé la rambarde du balcon. J’ai pensé fort l’enjamber. Toi : « Putain, mais tu as vu que Poussin t’a vu, tu te rends compte ce que tu lui fais ? »

J’ai demandé l’hospitalisation le lendemain.

Vraiment, crois-moi, je pardonnerai pas.

Je viens de sourire derrière mon clavier : j’avais zappé que tu as aussi oublié de me prévenir que tu ne rentrerais plus à la maison, pendant que j’étais à l’hôpital. Je l’ai appris par Agnès ça aussi. Je ne t’en veux même pas. Plus la place.

Cette liste n’est pas exhaustive.

Je me fous que tu travailles dessus depuis. Je ne vis pas avec toi et je n’attends rien de toi. Surtout, je n’ai jamais eu d’excuses.

Grand bien te fasse, si tu deviens quelqu’un de meilleur pour tes nouvelles fréquentations. A moi, on ne rendra pas ce que j’ai perdu.

Je pouvais prétendre au soutien de mon mari lorsque j’étais en deuil. J’ai pas eu ça. Je pouvais prétendre à ce que mon ex me foute la paix lors de mon premier Noël célibataire. J’ai pas eu ça.

On va continuer comme on a (pas) dit. On va continuer à être de supers exs, qui s’organisent super bien pour leurs poussins. Parfois même au moment des changements de garde, on partagera une bière.

Ca n’empêche pas la colère.

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