Je fais dans les notes originales en ce moment. Après la note super courte, voici en exclusivité, ici, pour vous : la note de bonne humeur.
Attention, c’est rare, profitez-en.
J’en reviens pas : je suis toute émoustillée, j’ai envie de sauter partout, de faire des bisous à mes collègues. Même à l’autre connard au bout du couloir[1].
Encore un jour et demi, encore 11 heures de boulot, encore 660 minutes, encore 39600 secondes, et je suis en vacances.
Une semaine sans Big-Boss.
Une semaine sans logiciel.
Une semaine sans version 37, sans version 42, une semaine sans version du tout.
Le pied.
Comme quoi, le bonheur se joue à peu de choses. Être bien entourée, par exemple, ça aide.
Aujourd’hui, devant toi, public, je tiens à remercier Pierre et mon papa pour leur chantage affectif acharné.
Je m’explique. Parmi les quelques toutes petites névroses que je traîne, il y en a une qui fait que j’ai absolument besoin qu’on m’aime.
Vu comme ça, je sais, c’est pas très original. On va reformuler et dire, par exemple, que je me passerais plus facilement de despés ou de cigarettes.
Et ça a un effet secondaire un petit peu gênant. Je vous laisse juger par vous-même : je suis parfaitement incapable de demander un jour de congé.
Mais faut me comprendre. J’ai peur de faire de la peine à mon patron. Peur qu’il m’aime moins. Peur qu’il ait besoin de moi.
…Et c’est là que je m’aperçois que ces dernières semaines m’ont fait le plus grand bien.
Big-Boss, besoin de moi ? Ah, la bonne blague !
Une fois qu’on a intégré ce raisonnement, je ne vous raconte pas ce que ça détend.
Un exemple. Ce matin, j’étais en train de lui présenter la version 372 d’un document tout à fait vide d’intérêt.
Avec les quinze millions de changements du mois de décembre, le texte ne correspondait même pas aux captures d’écran.
Ça a pas eu l’air de le choquer plus que ça.
Il est parti comme d’habitude dans un délire incompréhensible. À revenir en arrière, à partir sur les côtés, à s’évaporer dans des sphères supérieures.
Je le regardais en souriant, je le trouvais mignon, je le plaignais un peu et j’attendais qu’il finisse[2].
Et puis je me suis aperçue qu’il s’était mis à me parler complètement d’autre chose. Qu’il me présentait une idée, lumineuse comme toujours, mais concernant une version qui n’existera certainement pas avant avril, puisque bizarrement, coder c’est toujours nettement plus long que de produire des idées.
Et moi en avril, mon chou, je serai plus là.
Je serais au chômage, je serai retournée chez mes parents, je serai nonne, je serai tout ce qu’on voudra, mais je ne serai plus là.
Il était lancé. Plus moyen de l’arrêter. Pas moyen de sortir.
Alors j’ai fait ce que j’avais envie de faire depuis un quart d’heure, ce que l’on fait quand les problèmes vous passent loin au-dessus, quand on a plus rien à perdre. J’ai fait ce que l’on fait dans les pubs pour le loto.
J’ai éclaté de rire.
Quand je vous dis que ça va mieux !
Bref. Au moment de poser mes jours de congé, c’était pas encore la même chanson.
À l’idée d’aller voir Big-Boss numéro 2 et de lui demander s’il-te-plaît pardon, est-ce que je pourrais rentrer chez moi le soir de Noël, j’avais le sang qui coagulait.
C’est ici qu’entrent en scène les hommes de ma vie.
Chacun à leur façon, ils m’ont mis un sévère coup de pied au cul, une épée de Damoclès au-dessus de la tête, un couteau sous la gorge.
C’est mon père qui a commencé. Il y a quelques mois, il m’appelle au bureau.
- Coucou, LBA, qu’il me dit. Je me demandais, comme ça, ça te dit de passer Noël au Maroc en famille ? Bon, évidemment, t’es pas forcée, hein, si tu ne veux pas, on comprendra très bien.
Et de me parler de mon frère qui va nous rejoindre depuis Londres et qui a déjà pris ses billets. Et de mon autre frère qui nous attend à Agadir et qui est en train de tout préparer. Et de ma sœur qui saute à pieds joints partout dans la maison, tellement elle est contente de passer les vacances avec moi. Et de ma mère, à laquelle ça fait tellement plaisir de retrouver enfin ses quatre enfants d’un coup.
Mais si tu veux pas venir, hein, je te force pas, bien sûr. Je suis sûr que ta mère comprendra.
Et de continuer, de parler shopping dans les souks, de Noël par trente degrés à l’ombre, des filles seins nus à la piscine de l’hôtel, de mosquées magnifiques, des couleurs du désert, d’une famille unie couleur sépia qui sourit devant un palmier enguirlandé.
Moi, j’aime bien les pays froids. D’ailleurs, j’ai décrété unilatéralement que le plus beau pays du monde, c’est l’Écosse.
J’ai un peu peur d’une semaine type club Med.
Je préfèrerais mettre une burka qu’un maillot de bain.
Je me demande si je peux survivre une semaine avec mes parents préférés.
Je pèse tous les éléments en présence, et je réponds ce que j’ai à peu près toujours répondu à mon père. J’attends qu’il se taise et je dis :
- Oui Papa.
- Super. J’ai pris les billets. On décolle le 17, on atterrit le 26. Tu poses tes jours ?
Mon père a un art tout particulier pour déguiser ses ordres à grand renfort de points d’interrogation. J’admire.
À ceux qui se demandaient qui je choisis entre mon père et mon patron, je peux maintenant répondre, forte de ma belle expérience toute neuve : entre les deux, c’est mon père qui gagne.
Et j’ai posé ma semaine.
J’ai passé quelques jours à me remettre doucement de mes émotions, et c’est Pierre qui est monté au créneau.
- LBA, qu’il a dit, mes parents demandent si tu veux passer le Nouvel An chez eux. Il y aura de la vraie neige, des vraies montagnes, des vrais oncles et tantes, et un super sapin bien de chez nous. Ça te tente ? Si tu veux pas, tu me le dis, hein.
Pierre a un avantage sur mon père. Lui, il ne me parle pas au téléphone. Il est devant moi.
À son regard au moment de dire « Si tu veux pas, tu me le dis, hein », j’ai su que si je refusais, je foutais sa vie en l’air.
- D’accord, j’ai répondu. Faut vérifier quand même quel soir c’est le Nouvel An, parce que si c’est en semaine… Tu crois que je peux faire l’aller-retour en train dans la nuit ?
- C’est un week-end, j’ai vérifié. Et puis, je les ai déjà prévenus que tu posais le 2 janvier, pour rester un jour de plus.
- Ah bon. D’accord.
Et j’ai réussi cet exploit : j’ai rempli deux feuilles roses dans la même semaine.
Je suis allée voir Big-Boss numéro 2 deux fois, avec mon bout de papier tremblotant dans ma main, pour quémander une signature.
Je suis vraiment en train de devenir une grande fille.
Plus que dix heures, et je suis en vacances.
Plus que 600 minutes.
Plus que 36000 secondes.
Je crois que je vais jouir.
Pour être tout à fait heureuse, c’est pas compliqué, il ne me manque plus qu’une seule chose. Il faut simplement que le petit Papa Noël descende du ciel et dépose dans mes souliers un boulot passionnant et bien payé.
Je crois que ça n’est pas vraiment gagné.
[1] Non, pas Big-Boss, un autre. Ils sont plusieurs connards, figurez-vous. Mais après enquête, tous avec un lien de parenté.
[2] Je reformule : j’espérais qu’il allait finir avant le début de mes vacances.
Promis, c’est ma dernière note de bas de page. Pour aujourd’hui.