J’ai des trucs à dire mais je n’y arrive pas, le truc qui ne m’arrive jamais.
En même temps, quand on est un petit peu pas con et qu’on ne veut pas que des choses se sachent, on les raconte pas sur Internet. Ou on ne donne pas son pseudo à ses amis, ou, pire, au(x) mec(s) que l’on rencontre.
En société, j’ai l’air à l’aise, voire très, voire trop. Devant mes parents j’ai les genoux qui tremblent et je panique. J’ai toujours fait mon credo de « Tu fais les conneries que tu veux, mais tu assume les conséquences de tes actes », et quand mon père ouvre la bouche, j’ai envie de pleurer. (C’est marrant je viens de me relire et j’avais écrit « J’ai envie de parler ». Sigmund, si tu nous regardes…)
Un petit euphémisme que je sors souvent, c’est que « Je n’ai pas l’esprit de famille ». En fait la famille, ça m’angoisse, ça me fait complètement flipper. Trop de pression, trop de challenges. Trop de comparaisons, trop d’attentes. Mes parents liraient ça, je crois qu’ils en pleureraient, parce qu’ils ont toujours essayé de nous montrer le contraire ; je veux dire les poncifs du genre : ils nous aiment tous autant, le plus important c’est qu’on soient heureux… On a eu tout ça à la maison.
Alors qu’est-ce qui s’est passé? Pourquoi j’ai honte quand j’annonce à mes parents que j’ai encore une histoire de couple qui a planté ? Pourquoi j’ai plus un kopeck pour vivre et je suis incapable de demander un demi-centime à mon père ? Et on en parle jamais mais je sais bien que mes frères c’est pareil. On atterrit pas à Polytechnique ou à Sciences-Po sinon. Qu’est-ce qu’ils ont mis dans nos céréales quand on était mouflards ?
J’ai longtemps culpabilisé là-dessus (je suis très forte à ce petit jeu).
D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je dis « J’ai longtemps culpabilisé », à part pour la jouer à la je-cite-Proust-j’ai-de-la-culture-regardez-regardez. La vérité, c’est que je culpabilise encore et que je culpabiliserai toujours. Parce qu’en plus de ne pas me sentir à la hauteur, en plus de me sentir étrangère, je me rends compte de mon ingratitude : j’ai eu tout ce qui fallait, vraiment tout ce qui fallait, pourquoi ça va pas ??
Je voudrais pas m’avancer, mais je crois que j’ai un tout petit semblant de réponse. En fait, mon père, il ne dit pas « L’important c’est que vous soyez heureux ».
Il le pense sans doute, mais il ne le dit pas. Les seules fois ou j’ai entendu cette phrase dans sa bouche, c’est quand il raconte la mort de sa mère et ses dernières paroles. Ce que mon père, lui, dit exactement, c’est : « Vous faites ce que vous voulez de votre vie – astronaute, laveur de carreaux, danseuse au Lido – à condition que vous soyez les meilleurs. »
Trop facile.
Et même chez les laveurs de carreaux, et surtout chez les danseuses du Lido, se battre pour être toujours le meilleur, refuser l’échec, l’humiliation, c’est plus que terrible, c’est fatigant. Et je ne parle pas de santé.
Toujours un truc sur le bout de la langue. Parlerai plus tard.