Il y a des soirs, comme ça, où personne ne répond au téléphone, et où on en a sévèrement gros sur la patate. On vient de pleurer bêtement, seule, debout dans le métro. On serre dans sa poche le billet qui servira à acheter quelques despés, et puis on s’aperçoit qu’on est dimanche, et que le dimanche, toute épicerie qui se respecte est fermée.
Alors on se retrouve au Publicis des Champs – un bienfait de l’humanité. Enfin des gens qui ont compris qu’un commerce ouvert tard le soir, dimanche inclus, c’est important.
…Un bienfait, peut-être, mais au Publicis, ils n’en vendent pas, des despés. Ça doit être trop populaire, comme bière. Alors on se fait une raison, et à la place, on repart avec trois Corona sous le bras, à trois euros la bouteille.
C’est quand même vachement plus classe. Ce soir, je bois la même bière que Chirac.
Je crois que je vais commencer cette note par des excuses. Parce que ça fait quelques jours que je poste des trucs pas vraiment marrant-marrant, et que ça doit commencer à vous gonfler. Je suis désolée. Je vous assure que ça va me passer. Ça va me passer.
J’espère simplement que ça reste écrit correctement. J’espère que c’est lisible, sincèrement.
Ce soir, j’ai un truc à faire passer.
J’ai essayé d’être forte toute la journée. Pour deux.
Hier soir, j’ai retrouvé Pierre. Il m’attendait à la porte, il m’a dit, viens, on va au restau.
Dans l’escalier, il a ajouté qu’il n’avait pas dormi de la semaine, et j’ai compris que le restau, c’était surtout pour pouvoir me parler sans avoir son coloc dans le meilleur des cas dans la pièce à côté.
J’ai passé le dîner à l’écouter parler. Les phrases arrivaient par tranches de quatre, toutes les trois, cinq, dix minutes. On a mis une heure et demie à avaler le potage pékinois. On a pas jeté un regard au poulet. Je crois qu’on a vexé le cuistot.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il ne s’attendait pas à ce que j’arrive dans sa vie comme ça. Moi non plus, je m’attendais pas à arriver dans sa vie comme ça. Comme si je l’avais fait exprès. C’est pas de ma faute, si il me plaît, si ?
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je lui ai redonné confiance en lui.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que je le comprends, ou presque, que ça l’angoisse, que je ne devrais pas être si près.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il se sent incapable de gérer la situation.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est que c’est allé trop vite.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il déteste Internet.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il est perdu.
Je crois que ce qu’il essaie de me dire, c’est qu’il a peur.
C’est marrant, j’ai la furieuse impression d’avoir essayé de lui dire la même chose la semaine dernière.
On passe une nuit blanche ou quasiment, à se serrer la main pour se dire qu’on est là. J’attends qu’il s’endorme pour dormir aussi.
J’ouvre les yeux, il est 9 heures. Argh. Réveillée à 9 heures un dimanche matin, avec à peine quatre heures de sommeil dans le sang, ça devrait pas être permis.
Il ouvre les yeux. Doucement, on reprend la conversation là où on l’avait laissée. De temps en temps, il s’excuse de pleurer. Et puis, il finit par la donner, l’info.
Tu sais, LBA, je crois qu’il me faut du temps.
Il se tait.
J’ai besoin de temps.
Je croyais qu’il y avait que les filles qui disaient ça. Je ne dis rien, si, que j’ai besoin d’une cigarette. Je regarde le mur. Il me prend dans ses bras.
J’ai dit d’accord. Je pars après ma douche. Et je me douche dès que la nuit tombe. Je crois qu’il a essayé de sourire.
On a parlé toute la journée. On a rit jaune, fait des blagues stupides, des but-we-were-on-a-break et autres considérations sur les signes du zodiaque incompatibles.
C’est pas facile, parfois, de respecter une décision qu’on ne comprend pas. On ne peut jamais comprendre les angoisses de personne. Mais bon, les siennes, j’aurais bien voulu, quand même.
Et puis il a dit :
Si seulement tu pouvais me manquer. Tu sais, que tu me retrouves en bas de chez toi un soir.
J’ai réprimé un geste. S’il-te-plaît, me fais pas rêver.
Mais qu’est-ce qui nous arrive ?
Est-ce que c’est notre génération ?
Qu’est-ce qui fait qu’un couple marche ?
Est-ce que se faire confiance, vouloir le bonheur de l’autre, se laisser respirer, parler, s’aimer, c’est pas suffisant ?
Et puis d’abord, comment est-ce qu’on sait qu’on s’aime ?
Comment on fait pour laisser quelqu’un rentrer dans sa vie sans se braquer ?
Comment font les cathos de ma famille pour décider un jour que lui, c’est le bon, c’est pour la vie, on va se marier, et dans vingt ans, dans trente ans, c’est sûr, on s’aimera comme aujourd’hui ?
Est-ce qu’il va me rappeler ?
Le premier qui dit que je fais ma Carrie Bradshaw avec mes questions existentielles, je le démonte.
J’ai passé la journée à osciller entre des phases de confiance absolue, des phases où j’étais là pour lui, il avait besoin de moi, on allait s’en sortir, où je savais bien qu’il m’aimait, bref des phases où je comprenais à peine ce qui se jouait ; et des phases où je le sentais bien, c’était la dernière fois qu’on se voyait, je sais bien qu’il est paumé, il faut que j’en profite – j’en ai profité.
La nuit est tombée. J’ai pris ma douche. Il devait retrouver un ami au Châtelet, et je l’ai accompagné.
Sur le chemin, on a pas parlé beaucoup.
Lui pour dire marche pas trop vite. Viens, on a le temps, on marche jusqu’aux Gobelins. Viens, on a le temps, on marche jusqu’à Censier.
Moi pour dire des bêtises. Tiens, regarde, c’était ma fac. Et, là, jusqu’à la maîtrise, c’était mon bar.
Mais on peut faire tous les détours qu’on veut. On finit toujours par arriver.
Il y a bien eu un moment où il a fallu se séparer.
Près du kiosque à journaux, il y avait son ami qui l’attendait.
Il y a un dernier regard, avant de se prendre dans les bras. Il me parle dans l’oreille.
Je te promets que dès que je commence à me prendre la tête, je t’appelle.
Je te promets que je fais le plus vite possible.
Je te promets que quoi qu’il se passe, je t’appelle, je te le dis en face.
Je te promets que je pense à toi.
Je lui ai répondu de prendre soin de lui.
On part avec cette impression bizarre qu’en se séparant, il vous a dit je t’aime du bout des lèvres.
Aujourd’hui, ça va être difficile de mettre une image marrante. Désolée.
PS : C’est pas facile de rebondir sur une note glauque comme celle-ci. Mais je voulais juste vous dire de ne pas vous forcer, mais que si vous me laissez un mot, ça me fera du bien.
Je suis en train de faire une enquête pour trouver un sujet gai pour faire une note à se pisser dessus (et pas à cause de la bière). Je vous ferai part des résultats de mon investigation…