Je suis une Parisienne chauvine. Passé le périph’, je suis paumée, pire que paumée, je suis malheureuse. Les provinciaux me regardent souvent de travers quand je dis ça, et de toute façon, j’arrive pas à leur expliquer ce qui me plaît exactement.
Oui, c’est une ville étouffante, oui, c’est pollué, oui les gens sont pas souriants, oui je sais, la ville de l’amour mon cul, oui, oui, oui. N’empêche. Pour moi, c’est comme un milieu hostile dont je connaîtrais les règles par cœur. Une sorte de jungle, mais dans laquelle je saurais comment survivre jusqu’au lendemain. Vous pouvez penser que j’utilise des images grandiloquentes ; ce que je veux dire, c’est simplement que je m’y sens à ma place.
J’ai fait deux fois le tour de l’Écosse en stop, j’adore ce pays, vraiment. Comparé à Paris, on peut pas dire que ce soit vraiment la même chose : là-bas, il y a plus de moutons que d’humains. Eh bien, je dois avouer que l’un des meilleurs moments du voyage, c’est en rentrant de Roissy, dégueulasse, la maison sur les épaules, par ce putain de RER B (une parenthèse pour dire que si c’est le RER B qu’on impose aux touristes quand ils arrivent des aéroports, ils doivent être très très motivés par les Champs-Élysées, pour pas retourner dare-dare dans l’avion.)
Pourquoi l’un des meilleurs moments ? Parce que immanquablement, il y a un con pour s’asseoir à côté de toi, te demander si tu rentres de voyage (à ton avis, connard ? Je viens du Lavomatic, ça se voit pas ?), si t’as le temps de prendre un café, si tu as un mec et l’envie de faire l’amour, là maintenant, tout de suite. Vu comme je dois puer dans ces moments-là, je me demande si je devrais pas dire oui, juste pour voir leur tronche quand ils m’auront déshabillée.
Bref, j’aime ce moment, parce que des cons pareils, j’en ai jamais vu qu’à Paris. J’aime ce moment parce qu’il veut dire que ça y est, je suis rentrée chez moi.
Alors on va mettre les choses au clair tout de suite. Mon trip dans la vie, c’est pas de me faire draguer par des frustrés en puissance dans le métro. Ça fait simplement partie de ces choses qui arrivent tous les jours à Paris et qui font qu’on sait qu’on est chez soi. Ça fait partie de ces règles du jeu que tout le monde connaît et que personne n’énonce. Comme rester à droite quand on avance pas dans les escaliers mécaniques.
Quand je suis arrivée à Paris il y a six ans, et que j’ai commencé à me faire aborder dans la rue, j’ai trouvé ça flatteur. Et puis j’ai vite compris que ça n’avait rien à voir avec moi, qu’il suffisait d’avoir des seins pour ça. Ce avec quoi ça a à voir, c’est la misère sexuelle des grandes villes. Point.
Progressivement, on commence à avoir des trucs pour se débarrasser des pots de colle chroniques.
Il y a l’hyper classique « I don’t speak french », mais il faut reconnaître que c’est pas très rigolo. Je préfère répondre tout de suite : « Ah, non, pas encore (appuyer sur le en de « encore »), c’est le douzième aujourd’hui ! ». Là, c’est assez marrant, parce qu’on a juste le temps de voir sa tête déconfite, et qu’on dispose de trois secondes pour se casser avant qu’il réagisse. On peut aussi appeler une copine et lui faire une grande déclaration d’amour au téléphone (vaut mieux qu’elle soit dans le coup, sinon, ça risque de la surprendre). Quelques exemples en live.
Un jour, sur la ligne 1 à l’heure de pointe, la vraie, la pure, la dure, la tatouée, j’ai senti une main sur mes fesses. Quand je dis une main sur mes fesses, c’était du malaxage en règle.
Eh ben aujourd’hui, c’est un super souvenir.
J’ai réagi très vite, pris le type par surprise, attrapé sa main, l’ai levée bien haut pour la montrer à tout le monde, et j’ai dit le plus fort possible : « Excusez-moi, j’ai trouvé cette main sur mes fesses. Elle est à quelqu’un ? » Il a fait une tête terrible et je crois que toute la rame a passé un moment plutôt rigolo à le regarder, jusqu’à ce qu’il descende, à la station suivante. J’ai adoré.
Je lui ai dit au revoir quand il est parti.
Aujourd’hui, j’étais en train d’écouter un groupe slave à la correspondance de la 1 à la 14 comme la semaine dernière. J’avais passé la journée à attendre un mail qui n’était pas arrivé, j’étais toute tristoune, et surtout, j’étais à fond dans la musique. Et là, bang, le lourd de base :
Lui : Bonsoir !
Moi : Comment ? (la musique était super fort).
Lui : Bonsoir !
Moi : Ah ! Bonsoir.
Lui : Mademoiselle ou madame ?
Vous remarquerez l’entrée en matière fine, discrète, et surtout diablement originale.
Moi : Euh… (argh, l’instant d’hésitation fatal) Entre les deux (ce qui est l’une des réponses les plus cons que j’aie jamais faite, je suis d’accord).
Lui : Vous êtes très jolie.
Moi : Ah. Merci.
Lui : Vous êtes très jolie.
Moi : J’écoute la musique.
Lui : On a le temps d’aller prendre un café ?
Moi : Non.
Lui : Pourquoi ?
Moi : Parce que j’en ai pas envie.
Lui : Vous avez des trucs à faire ?
Moi : Oui.
Lui : Quoi ?
Moi : (je sais même plus pourquoi je lui réponds) : Je vais chez mon copain (Ouh la menteuse).
À ce stade de la conversation, je renonce à écouter la musique je tourne les talons, et je me dirige résolument vers le métro. Tout le quai à traverser. Ca va être long.
Lui : Vous habitez où ?
Moi : Ben c’est mes oignons !
Lui : Ah ? Et c’est sur quelle ligne Cémézonion ?
En plus, c’est un cerveau.
Moi : J’ai dit « C’est mes oignons ».
Lui : Ah. Et si vous me le dites pas, comment je fais pour venir vous voir si j’en ai envie ? Vous me donnez votre numéro de téléphone ?
Moi : Non.
Lui : Pourquoi ?
Moi : Parce que j’en ai pas envie.
Lui : Eh, j’aborde pas des filles tous les jours, c’est vous, vous que j’ai remarqué.
Moi : Je suis flattée, mais non.
Lui : Vous savez, je suis heureux.
Moi : …
Lui : Je vous aime.
Et là, coup de théâtre, le métro arrive (parfois, je croirais presque que Dieu existe).
Et c’est dans ce genre de circonstances que ça sert de se sentir bien dans la ville et d’en connaître les trucs. Je l’ai laissé monter à l’avant de la rame, et j’ai toqué à la vitre du conducteur, auquel j’ai juste lancé un regard désespéré. Il m’a ouvert et je suis montée à l’avant.
Le conducteur : Il y a quelqu’un qui vous emmerde ?
Et voilà. J’avais mon Dom Juan trois centimètres derrière, qui attendait que je descende pour descendre aussi. Il y a des gens qui sont un peu longs à la détente.
Arrivés à ma station, le conducteur a attendu d’avoir refermé les portes du métro avant d’ouvrir la mienne. J’ai fait coucou à mon petit copain par la vitre.
Home sweet home.
Ça allait un peu mieux.