Comment être une grosse conne en dix leçons

Mais attention, hein. Pas passer pour une conne. Être une grosse conne, une pure, une dure, une tatouée. Voici un petit cours en dix leçons.

Situation de départ :

Pour commencer, prendre un postulat de base. Parfois, Jules (oui, je sais, c’est ridicule comme dénomination, mais si vous avez une autre idée vous me faites signe), parfois disé-je, Jules a besoin de vous. Il sait qu’il démarre le lendemain un mois et demi de travail de folie, qu’il va faire des journées de huit heures à minuit, qu’on ne va quasiment pas pouvoir se voir pendant tout ce temps. Les samedis soirs, et encore. Du coup il aimerait bien passer la soirée avec vous.

Leçons à mettre en œuvre :

1/ Sortir voir des copains précisément ce soir-là. De toute façon, il a du boulot, et puis c’est un gars compréhensif. Si vraiment on rentre tard, il a des potes aussi, non ? Bon, qu’il en fasse pas tout un fromage. D’ailleurs, il n’en fait pas tout un fromage.

2/ Le rejoindre à 23 h 30 passées et pas avant, en sachant pertinemment qu’il se lève à 7h le lendemain.

3/ Arriver complètement bourrée. Ben oui, qui dit soirée entre potes, dit vin au resto et despés au Merle. Au pluriel, despés, s’il-vous-plaît. Arriver complètement bourrée, donc, de préférence une fois qu’il a fini par appeler des potes (parce que ce garçon a de la ressource, il allait pas vous attendre les bras croisés en faisant la vaisselle). L’idée est de choisir son moment pour de pouvoir lui faire une honte terrible en public. Le moment est parfaitement choisi, par exemple, pour raconter des épisodes de votre vie sexuelle aux susdits potes.

4/ Jules, il a pas l’air, mais c’est un gars patient. C’est pas un petit esclandre qui va le mettre en colère. Tout au plus tire-t’il un petit peu la gueule. Comme vous être bourrée, vous ne vous en apercevez pas, évidemment.

5/ Arrivés au lit, vous vous demandez pourquoi il est pris d’une soudaine passion pour le mur. Dans un élan d’altruisme, vous lui demandez ce qu’il a. Attention, vous n’êtes pas en train d’établir un dialogue constructif (vous en êtes complètement incapable), vous vous demandez vraiment ce qu’il a. Quand il vous répond sur un ton un peu douloureux : « Je te reconnais pas. La fille que j’aime, c’est celle qui est nette », vous ne remarquez même pas qu’il vient de vous faire une déclaration d’amour (si, si, relisez la phrase). Tout ce que vous avez entendu, c’est qu’il vous a traitée d’alcoolique. Il a pas tort, mais ce n’est pas le problème, aussi rétorquez-vous, goguenarde : « Oh, ça va, hein, tu m’as pas vu bourrée souvent. »

Et Jules de répondre : « Quand même. Quatre fois. Et ça fait deux mois qu’on est ensemble. » Là, si vous voulez pousser le bouchon, dîtes-lui quelque chose comme « Naaaan, pas quat’fois, naaaan », histoire qu’il puisse se lancer dans le récit circonstancié de chacune de vos cuites. Il a de la mémoire, le bougre.

6/ Pendant qu’il vous parle, endormez-vous.

7/ Le lendemain matin, tenez le rythme. Engueulez-le quand son réveil sonne. Et expliquez-lui qu’il faut qu’il laisse son portable, vu qu’il n’y a pas de vrai réveil dans la pièce et que le votre n’a plus de batterie.

8/ Comme le con entre les deux, c’est pas lui, il explique doucement que son portable, il en a un peu besoin, et que en vous levant à cette heure-ci, vous aurez peut-être enfin une chance d’arriver à l’heure au boulot. Peu importe que l’argument fasse mouche, envoyez-le bouler. Non mais.

9/ Quand il vient vous faire un bisou avant de partir, envoyez-le bouler aussi. Le sommeil, ça se respecte.

10/ Une fois qu’il est parti, plus besoin de jouer à l’égoïste autiste. Vous vous levez quasiment au moment ou il ferme la porte. Sous la douche, reviennent doucement les souvenirs de la veille. Vous êtes en train d’atterrir.

Drame et conséquences :

Vous commencez à culpabiliser. Surtout, vous vous souvenez que vous n’allez pas vous voir de la semaine. Vous feriez n’importe quoi pour vous rattraper. Vu qu’il n’est plus dans la pièce, que vous n’avez plus de batterie et que de toute manière, il n’est pas disponible, c’est quand même pas facile. Vous vous mettez à lui écrire un mot que vous comptez fermement laisser sur son oreiller.

8 h 10 (vous serez en retard au boulot quoi qu’il arrive), le fixe sonne. Vous n’y aviez pas pensé, au fixe. Vous n’êtes pas chez vous, mais au stade où on en est, vous décrochez.

C’est lui, qui a pris une pause pour vous appeler, pour être sûr que vous vous soyez levée. Vous avez réussi à le culpabiliser. Comme vous avez envie d’être gentille, vous prenez un ton détaché pour lui dire que oui, oui, tout va bien, vous vous êtes levée fraîche et dispose juste après son départ. Ce qui, bien sûr, peut être mal interprété, mais vous ne vous en apercevrez qu’en début d’après-midi. Vous continuez en ajoutant que vous venez de vous rappeler que vous avez un mariage samedi (encore), et que vous ne savez donc pas quand vous allez pouvoir vous recroiser.

Là, il commence à être un petit peu sec : « Ouais, bon, ben, on se rappelle en fin de semaine, on en parle », et il raccroche.

C’est là qu’arrive le choc. Comment ça, en fin de semaine ?? Pendant le trajet de métro, vos idées se remettent en place. On se rappelle en fin de semaine, ça veut dire qu’il n’y a même pas moyen que vous l’appeliez avant. Il est débordé de toute façon. Vous repensez au mot que vous avez laissé, et vous apercevez que si votre but est qu’il vous prenne pour une débile profonde, il est parfaitement approprié. Bref, vous avez une illumination : vous êtes une grosse conne. Ce mec pensait qu’il pouvait compter sur vous, et non. Pourtant, il ne demandait pas grand chose, et vous l’adorez. Vraiment. C’est pas sûr qu’il s’en soit aperçu.

Vous passez votre journée à regarder votre portable, en vous disant que si vous vous concentrez suffisamment, peut-être qu’il se mettra à sonner, même si la batterie est à plat. Vous réactualisez votre boîte mail en moyenne toutes les cinq secondes, en comptant la pause de l’heure du déjeuner. Vous passez le dîner au restaurant avec votre père à maltraiter votre petite cuiller, sans écouter un mot de ce qu’il raconte.

La nature se venge. Vous jurez, mais un peu tard, que l’on ne vous y prendra plus.

J’attends toujours mon coup de fil. Je crois que je peux courir. Si quelqu’un a une méthode pour rattraper le coup, je prends.

Lundi 05 septembre 2005

Je n’ai rien posté du week-end. Pas fait signe de vie depuis jeudi ou presque. Le boulot a repris, et je le sens passer. Il est 16 h 45, et j’ai déjà les yeux qui se croisent. J’ai passé le week-end en mode veille. Tout ce que j’ai fait, c’est bouquiner un peu. Terminer ce bouquin sur lequel je m’échine depuis trois mois.

Parce que oui, mesdames et messieurs, dans mon état second de demi-léthargie récupératrice, j’ai réussi un exploit : j’ai lu d’une traite l’Ancien Testament. De la Genèse à Malachie, dans l’ordre. Ca m’a pris trois mois, et j’ai fini hier. Je suis fière de moi.

Je suis fière de moi, parce que je viens de me farcir neuf cent cinquante pages parfaitement imbitables. Parce que la Bible, ce n’est pas seulement d’une violence et d’un racisme sans nom, mais c’est avant tout chiant à mourir (je sens que vous motive pas pour lire la suite, là…)

J’ai eu une éducation catholique assez gratinée. La Bible, pensé-je, je sais ce que c’est.

…Eh ben non. Moi je croyais que là-dedans, tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil et que Dieu les protégeait des méchants. Que dalle. Il y a des scènes, même le pire pervers n’aurait pas pu les penser. Et aujourd’hui, on en connait un rayon en pervers. C’est pas moi qui le dit, c’est Claire Chazal. Qu’est-ce que c’est que cette manie de vouloir absolument ouvrir le ventre des femmes enceintes ? Vous saviez que Saül, pour donner sa fille à David (je n’ai pas écrit « accorder la main de sa fille »), il exige qu’il lui rapporte cent prépuces de Philistins pour le lendemain ? Et comme David, c’est un mec, un vrai, et que la donzelle, elle lui plaît quand même vachement, il arrive au matin fier comme un paon, ses cent prépuces en main. De la réaction de la demoiselle, on ne saura pas un mot, mais je l’imagine bien le regarder de ses grands yeux en lui susurrant « Oh, David, mon héros… »

Bref. Je sais que je n’ai pas un point de vue objectif, loin s’en faut. Rien que le fait que je sois une fille, et surtout une fille qui sait lire, ça montre bien que je ne suis pas le public visé. Je sais bien que je vis en 2005. Je sais bien que je n’ai sans doute pas toute la culture requise pour apprécier l’exacte valeur de ce document et remettre chaque chose dans son contexte. Mais quand même.

Je savais que le Dieu de l’Ancien Testament et celui du Nouveau Testament n’avaient pas grand chose en commun. J’avais retenu des cours de cathé que l’un était vengeur et l’autre miséricordieux. Vengeur… Ah, le bel euphémisme ! Ce que je vais dire est peut-être blasphématoire, mais le Dieu de l’Ancien Testament, c’est surtout un bel enfoiré. Compassion, zéro.

C’est le roi du faites-ce-que-je-dis-faites-pas-ce-que-je-fais. Dans les dix commandements, il ordonne qu’on ne fasse pas payer le fils pour la faute de son père. Hop, comme je suis sympa, je vous fais passer direct trois cents pages plus loin et je vous évite tous les épisodes intermédiaires : quand l’un des rois d’Israël, David par exemple, au hasard, fait une connerie, Dieu est très en colère (c’est la version courte). « Attention, dit Dieu, t’as vraiment déconné, je vais t’en mettre plein la figure, tu vas même pas comprendre ce qui t’arrive. » Forcément, le pauvre type devant ça, il commence à flipper sévère. Il pleure. Il se confond en excuses. Promis, juré, craché, il le fera plus. Dieu, grand prince, lui dit d’accord. Ça va pour cette fois. T’as l’air vraiment désolé, je te ferai rien. Mais comme il faut bien qu’il y ait une punition, je vais me lâcher sur tes gamins jusqu’à la douzième génération, tu vas voir ce qu’ils vont prendre. Bel exemple.

Je trouve ça complètement flippant que ce bouquin ait servi de bible à des centaines de générations. Quand le peuple élu arrive dans un nouveau pays, la règle du jeu est claire : il s’agit de tuer tous ceux qui occupent le territoire (sauf les jeunes vierges), et de détruire tous leurs lieux de culte, toutes leurs habitations. Cette apologie du peuple élu, cette violence pour les peuples étrangers, ça a eu une résonnance pour moi à la lecture qui m’a presque fait culpabiliser.

Je croyais que je connaissais. On est nombreux à croire qu’on connait. On nous en a beaucoup parlé quand on était petits. Eh bien, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate.

L’épisode de Jonas dont on m’avait rabattu les oreilles pendant deux ans, il prend à peine deux pages. Dans les 948 pages qui restent, qu’est-ce qu’il y a ? Du sang, de la violence, de la culpabilité, de la culpabilisation, et des villes détruites parce qu’elles ne sont pas sages.

Mais on peut nous raconter n’importe quoi. Qui ira vérifier ? Qui ira les lire, mes 950 pages en papier bible et police 4 ? Personne, ou presque. C’est que non seulement, c’est écrit tout petit, mais en plus c’est tellement chiant qu’on se surprend à compter les lignes.

On appelle ça la tradition orale. Or, c’est bien connu, la pédagogie passe par la répétition. C’est rien de le dire. Au quatrième récit de l’épisode David/Salomon, on a envie de s’asseoir et de pleurer. Oui, c’est bon, on avouera tout ce que l’on voudra, mais on a compris. Répétez plus, s’il-vous-plaît.

Les textes de loi sont répétés au moins trois fois, dans les Nombres, le Lévitique et dans l’Exode. Personnellement, je n’en ai rien à foutre qu’il faille faire attention à ne jamais placer un bœuf devant un âne quand on laboure. Et quand on me le répète pour la troisième fois, j’ai tendance à le prendre comme une agression personnelle.

Le plus beau, ce sont les généalogies. De temps en temps, comme ça, d’un coup, il y a trente pages de un tel a engendré un tel, qui a engendré un tel, qui a engendré un tel, qui a engendré un tel… Pas un verbe, rien. Les dix premières lignes, c’est rigolo, parce qu’ils ont des noms à coucher dehors. Passé deux pages, on a un peu l’impression de lire le bottin. Et puis comme je les connais pas personnellement, savoir que Jéroboam est le fils de Joachaz qui est le fils de Eltsibom, je crois que je peux survivre sans.

Finalement, on le comprend Dieu, le pauvre. Quand ça fait cinq cents pages que vous répétez à des abrutis que nâân, faut pas adorer les autres dieux, le seul vrai, c’est moi, moi tout seul, quand ça fait cinq cents pages que vous les menacez de détruire leur champ, leur vigne, de transpercer le ventre de leur(s) femme(s) enceinte(s), de maudire leurs enfants jusqu’à la septième génération, de leur faire perdre tous leurs cheveux, et que ces cons finis recommencent à brûler de l’encens pour une Simone quelconque, il y a un moment on l’on fatigue. Il suffit que l’on soit d’un caractère un peu preste pour que ça dégénère.

Je n’ai jamais aimé parler de ce que je ne connais pas. Ça faisait partie de mes motivations quand j’ai commencé ma lecture. Voilà, j’ai vu. Je suis désolée pour tous ceux qui me liront et qui sont catholiques ou juifs. Mon but n’est pas d’insulter qui que ce soit, évidemment. J’ai simplement été profondément choquée par ce que j’ai lu. Si vous avez des remarques à me faire, ça m’intéresse.

J’ai terminé l’Ancien Testament, et j’embraye sur le Nouveau. …Je pense que je vais faire une petite pause avant de démarrer le Coran.

Je vais pas tarder à déprimer : ça a été un choix difficile pour moi de quitter le catholicisme, et en lisant tout ça, je ne me rends pas service. Comparé aux premiers livres de la Bible, le Nouveau Testament, c’est génial. Jésus, il est gentil. C’est un visionnaire. Il veut que tout le monde s’aime.

Enfin, il me reste trois cents pages, j’ai encore tout le temps de me mettre en colère.

Looking for Bob Morane

C’est la deuxième fois en quelques jours que l’un ou l’une de mes amis me dit qu’il n’a plus qu’une envie, partir. Partir en voyage, partir vivre ailleurs, partir pour longtemps, partir loin.

La vérité, c’est que nous avons vingt, vingt-cinq, trente ans, et que nous avons déjà commencé à renoncer. La vérité, c’est que nous nous sommes heurtés au marché du travail comme à un mur. Nous avons couru dedans avec toute l’énergie du monde. Au moment de l’impact, vous pouvez me croire, ça fait mal à la mâchoire.

Oui, nous avions fait un choix. Oui, nous savions que nous choisissions des secteurs professionnels sans avenir. Oui, on nous avait dit que c’était dur, oui, nous l’avions entendu. Mais nous étions la jeune garde. Jusqu’à il y a quelques jours, je croyais que nous l’étions toujours.

Mais voilà que ça commence déjà, insidieusement. Le renoncement nous gagne, nous commençons à lâcher prise, doucement, sans nous en apercevoir.

Au début, ce sont seulement ces sempiternelles questions sur l’avenir (Et toi, tu en es où ? En stage encore, je vois. Tu sais que Robert / Paul / Jean-Marc s’est fait embaucher chez un tel ?) que l’on a de plus en plus de mal à supporter. Ensuite, ce sont les contacts que l’on a du mal à entretenir, parce que faut bien se rendre à l’évidence, on est trente-deux sur le coup. Et puis c’est pas sain ces rapports humains. Finalement, il y a les premières fiches de paie qui arrivent comme des insultes.

On commence à bosser dans d’autres branches. Bien sûr, c’est temporaire, toujours. Quand on nous demande ce qu’on fait en ce moment, on se contente de grommeler que ça n’a rien à voir avec le métier, et on change de sujet.

C’est une humiliation à avaler. On ferme les yeux pour ne pas la voir. Si on s’est battus, c’est qu’on y a cru, et on ne peut pas s’avouer qu’on y croit plus. Il y a encore seulement six mois, on disait qu’on le vivait mal parce que c’était trop difficile d’attendre. Aujourd’hui, c’est bien plus simple et bien plus difficile à vivre. On n’y croit plus, c’est tout.

On dit « partir », en espérant que les autres comprendront « jeunesse et aventure » ; et ce que l’on veut dire, c’est « loin ». On ne se rend même pas compte qu’on a déjà commencé à fuir.

Ils sont autour de moi. Ils ont fait leurs cinq ans après le bac. Ce sont des bons. Ils ne sont pas restés à moisir sur le banc de la fac, ils ont des CVs longs comme le bras. Et où sont-ils aujourd’hui ? Au mieux, ils font leur treizième stage ; les autres, ils sont vendeurs, serveurs, ils s’encroûtent dans un énième petit boulot. Et moi, je saute au plafond parce que mon boss veut me garder. Je saute au plafond parce qu’on m’annonce que si je veux, je peux passer ma vie à rédiger des guides utilisateurs, et à les faire passer de Powerpoint à Word (ouais, moquez-vous, essayez un peu qu’on rigole).

Ils sont autour de moi, ils n’ont pas trente ans, et ils ont l’impression que c’est déjà fini.

Et si ce n’était que nous ! Si c’était seulement le travail ! Tout nous est devenu prétexte à fuir. La famille, les ruptures, Paris, le boulot, le boulot. Ils sont où, tous ces aventuriers post-pubères du quotidien, qui pensaient que les générations précédentes s’étaient laissées vivre, et qu’il suffisait de se secouer pour s’en sortir ? Où est-elle passée, notre énergie ? Où est-elle, la garde montante ? Où sont nos couilles, bordel ?

De l’éjaculation de l’amour propre

Ah les enfants, hier, pas une seconde pour écrire une note. Et aujourd’hui, je sens que je vais l’écrire en pointillé, un coup par ci, un coup par là, mais que ça va être une note de compétition. Une médaille pour ceux qui la liront jusqu’au bout.

Déjà, grande nouvelle (pour moi), les affaires reprennent. Le boss est rentré, ça fait un rythme de folie et des challenges impossibles, et ça fait du bien. C’était déprimant, ce mois d’août à ne rien faire. Hier donc, mon boss préféré me met le grappin dessus au moment précis où je passe la porte du bureau. Comme d’habitude, il me demande un truc énorme pour la veille, je le lui promets pour la semaine suivante, et je me débrouille pour le lui rendre le soir. Début du marathon.

En milieu de journée, il se pointe dans mon bureau comme ça lui arrive de temps en temps (ça veut dire que ce jour-là je fais partie des chouchous, c’est cool), se vautre dans un fauteuil (Vous connaissez Baloo ? Vous lui mettez un costard, c’est mon boss), et commence un long monologue que je fais semblant d’écouter, tout en essayant d’avancer quand même dans mon travail. Et puis en sortant, sans prévenir, d’un coup, comme ça, il me demande : « Tu restes avec nous jusque quand déjà ? »

Arrêt cardiaque. Depuis quelques jours, j’avais commencé à me faire un sang d’encre à ce sujet. Plus que deux mois et demi avant la fin de mon contrat. Et comme LBA, elle a l’esprit de survie quand même, je me demandais fichtrement comment j’allais faire pour payer mes pâtes passée cette période bénie. Pour mon malheur (hein, Charlylie ?), je déteste réclamer quelque chose. Je veux dire, demander une augmentation, un boulot, une faveur. Dans mon éducation, réclamer, c’était le meilleur moyen de se voir refuser ce que l’on convoitait.

Mais quand faut y aller. J’avais pris mon courage à deux mains, je m’étais fait un brainstorming toute seule, et c’était décidé, j’allais lui parler. Bientôt. Que je sache au moins si j’avais, peut-être, un jour, une chance de rester, ou au moins s’il appréciait mon boulot.

Donc.

  • Tu restes avec nous jusque quand, déjà ?

Les genoux de LBA se liquéfient. Prendre l’air sérieux, concentré, aimable, mais pas trop concernée :

  • Ben, mon contrat court jusqu’à la mi-novembre.
  • Ah, c’est bientôt !

Non, sérieux ?

  • Va falloir qu’on en parle, dis-moi. Tu passes dans mon bureau, d’accord ?

Je hoche la tête, re-souris, me replonge dans mon travail ou fais comme si. 18 h 00 tapantes, flippée comme une patate qui regarde la casserole, je lui pose ce que j’ai fait sur son bureau. Le suspense est insoutenable. La sueur coule à grosses gouttes. Il soupèse mon truc (je parle de mon travail, bande de sales pervers), le retourne, le jauge, le juge, et me fait un sourire, jusqu’aux deux oreilles.

Et là, c’est la fête de l’ego. L’éjaculation de l’amour-propre. C’est les « Ah, ça fait plaisir de travailler avec toi », et les « Vraiment, tu es intelligente et tu as une force de travail impressionnante » (je jure, je jure, il a dit ça). Il doit avoir raison. Je suis un génie incompris. Et vu la masse de travail que j’ai abattue ce mois-ci, je suis surtout une grande manipulatrice malgré moi. Ou il a un problème de vue.

J’ai surtout une force de contrôle impressionnante. J’ai gardé mon calme. Si. Même quand il m’a dit : « Si le produit marche et que tu veux rester, je veux vraiment bosser avec toi. Si le produit marche pas ou que tu veux bosser ailleurs, je te garde jusqu’à ce que tu aies trouvé autre chose », je me suis pas agenouillée, j’ai pas chanté un cantique, je me suis pas évanouie, j’ai pas couché avec lui pour le remercier.

J’ai gardé mon calme. J’ai dit un truc fin et raffiné du genre, « Ouais, cool, je vais y réfléchir. Y a autre chose que tu voulais voir pour demain ? », et je suis sortie de la pièce sans me prendre la porte.

Quand je suis arrivée dans mon bureau, mon portable s’égosillait. C’était P., qui en était à son quatrième appel en absence. J’avale un sourire vainqueur (genre, tu fais ton malin, mais c’est toi qui me téléphone), et dans l’euphorie, je décroche.

Lui : Panique pas, mais, ça te dit de dîner avec mes parents ce soir ?

Ce soir s’il fallait, je dînerais avec le pape et ma grand-mère. Et le pape, il parle même pas français et ma grand-mère, elle parle même pas humain.

Je panique pas. Je suis d’une bonne humeur à soulever les montagnes, et je les rejoins.

P. s’est demandé tout le repas si j’avais bien compris avec qui j’étais en train de dîner. Il a passé trois heures à guetter les signes de stress, les signes avant-coureurs d’évanouissement, le moment où ma réflexion aiguisée me mènerait nez à nez avec l’équation fatale : Oh mon dieu = parents + couple + présentation = engagement. Mais non. Rien.

Je me suis aperçue que c’était des présentations, on était déjà sortis du restau, et c’était un peu tard pour revenir en arrière. Même pas peur. J’étais tellement sur ma planète magique quand il m’a téléphoné qu’il m’aurait dit « On se marie, là, maintenant, tout de suite », j’aurais dis oui.

Voilà. Je voudrais remercier mon papa, ma maman, mon producteur et tous mes amis, qui m’ont beaucoup soutenue.

Je voudrais remercier Dieu parce que le parc de Bercy est super joli pendant la pause dej’, ça a été d’un grand soutien (merci mec).

Je voudrais remercier les blogueurs qui ont lu cette note, pour leur indulgence. Parfois, on a l’ego qui déborde, et ça fait du bien. Parfois, c’est en public, et après coup, on est un peu gêné. Parfois, on peut raconter ça sur la toile, et y a pas à chier, c’est quand même bien pratique.

Histoire de me calmer un peu, parce que après, ça fait vraiment mal quand on tombe, il y a ce petit dessin qui marche toujours…

Bulgaria & vodka

Honnêtement, je n’ai pas vu grand chose de la Bulgarie. Déjà que découvrir un nouveau pays en une semaine, c’est un peu short, mais quand c’est vingt potes qui partent ensemble, ça devient vite très compliqué d’organiser quoi que ce soit. D’autant que ces gens-là, ça fait en moyenne six ans que je les connais, que je les croise en soirée.

…Par « je les croise en soirée », j’entends que je les ai toujours vus bourrés, et qu’ils n’avaient aucune idée avant le départ de à quoi ça ressemble, une LBA à jeun.

Ils savent toujours pas. On a tellement l’habitude de faire la fête ensemble qu’on a pas décuvé de la semaine. Faut dire que là-bas, la bière coûte trente-cinq centimes de lev : on pouvait pas passer à côté de ça. Et puis il y a les alcools locaux qu’il faut absolument découvrir (c’est pas moi qui le dit, c’est le Routard), et la vodka qui coule à flot. Résultat, le mariage était pas encore passé que je m’étais déjà pris deux cuites d’affilée. J’aurais voulu voir le pays, je l’aurais vu en double. Et puis même pas de culpabilité : franchement, on peut pas dire que j’étais parmi les plus grands buveurs. Pas que je me batte pour établir un record en la matière, mais là vraiment, j’ai trouvé mon maître. On s’est surpassés.

Bref. Jeudi soir, alcool. Vendredi soir, alcool. Samedi, mariage, donc alcool. Ils étaient beaux mes deux petits choux. La voir heureuse comme ça, j’en étais presque au bord des larmes. Moquez-vous si vous voulez, je m’en fiche. Oui, j’ai pleuré à son mariage. Très con de ma part, le trait de crayon brun au-dessus des yeux, je vous raconte pas la tête que ça vous fait après une bonne crise de larmes. J’aurais croisé l’homme de ma vie, c’était raté.

Dimanche, sieste. Dimanche soir, alcool. Lundi, on est allés voir un monastère, histoire de faire une pause entre deux bars. Ça nous a pris des heures pour y aller, le temps de réunir tout le monde, que chacun finisse de pisser, termine sa clope, comprenne que c’est l’heure, là, faut y aller maintenant. Et puis on a visité toutes les stations-essence sur le chemin : le marié était pendu au téléphone pour essayer de sortir un de ses copains de la prison bulgare dans laquelle il croupissait depuis trois jours.

Faut être con, aussi, pour partir par Eurolines sans passeport. Encore plus con, une fois qu’on s’est fait choper à la frontière serbe, pour s’échapper et essayer de passer en fraude, par la forêt. Et encore plus con, une fois la frontière passée, pour demander de l’eau dans le premier village, et ne pas reconnaître le douanier qui t’a arrêté la veille. Il s’en souviendra de ce mariage.

Le monastère de Rila était magnifique. J’ai pas de photos. On était tous là comme des Japonais, et ça me gonflait, l’idée de regarder un pays à travers un objectif. Et puis en partant de Paris jeudi, j’avais oublié que j’en avais un, d’appareil. Je ne m’en suis souvenue que dans l’avion. Mes photos sont dans ma tête. Elles ont un peu souffert de l’alcool. Si je veux avoir des souvenirs, j’y retournerai.

Lundi soir, alcool. Mardi, camping à Bulgaria Air pour changer mon billet. Je venais de réaliser que mon patron rentrait de vacances aujourd’hui et qu’il n’y avait même pas moyen de rentrer avec une demi-journée de retard. Surtout avec un avion qui part super tôt et de l’alcool dans le sang.

La minette derrière le guichet y a mis, de tout son cœur, toute la mauvaise volonté dont elle était capable et a entubé dans les grandes largeurs le copain qui était avec moi en lui faisant payer un maximum pour finalement ne pas lui changer son billet.

Promis, je ne dirais plus jamais de mal sur l’administration française. Ou j’en dirais moins.

Mardi soir, alcool. Mercredi matin, réveil à 4 h 00 du mat’ (aïe), retour.

Qu’est-ce que je retiendrai de ce pays ? Le contraste entre les bâtiments délabrés, à se demander comment ils tiennent debout, les rues aux pavés mal joints, les bâtisses type architecture communiste, un passé inscrit dans la topographie, et les bâtiments en construction, les nouveaux buildings qui se dressent.

L’inamabilité glaciale des Bulgares. La minette de la compagnie aérienne, c’est une parmi cent autres. Ils suffisaient qu’ils s’aperçoivent que je ne comprenais pas le bulgare pour devenir des murs. J’ai commencé par me demander ce que je faisais de mal. Autre pays, autres mœurs, est-ce qu’il y a quelque chose dans mon comportement qui les choque ? J’en ai parlé à mes amis du coin, et non. Ce n’est qu’une sorte de racisme latent. C’est assez impressionnant de ressentir ça, pas l’habitude. Pour moi le racisme, c’est une notion de rhétorique.

Mais ici, je ne suis qu’une pompe à fric. C’est pas parce que je suis blonde que je ne connais pas les tarifs, connard. Les chauffeurs de taxi qui d’un coup ne comprennent plus l’anglais au moment où je dois payer, il y a un moment où c’est lassant. Les commerçants qui te demandent trois fois le prix qu’il y a sur l’étiquette aussi. Est-ce que les touristes sont accueillis comme ça en France ?

Le voyage m’a laissée frustrée. C’est pas ça que je voulais faire de ma semaine en Bulgarie. Faudra que j’y retourne en plus petit comité. L’ambiance de groupe m’angoisse, me stresse. Ne froisser personne. Se forcer à suivre le mouvement. Aller à gauche quand on voudrait aller à droite, et seule. Ne jamais voir V., ma petite mariée, seule à seule de toute la semaine. La voir stresser pour ce mariage à organiser et ne rien pouvoir faire pour elle. Avant le jour J, elle a perdu cinq kilos en trois jours. C’est la première fois de ma vie que je vois une mariée qui a peur que sa robe soit trop grande pour elle.

Mais voilà, je suis rentrée. Je ferai mieux la prochaine fois. Je suis de retour avec deux nouvelles paires de chaussures, une pensée émue pour chaussurerose, et P. qui avait pris un jour de congé pour me retrouver. Glop. Je me suis vengée de ne pas avoir eu de calins pendant une semaine.

Je dormirai plus tard.

Où LBA est morte de trouille à l’idée de partie en Bulgarie ( et où elle parle d’elle à la troisième personne)

L’angoisse. Ce week-end, j’avais plein de trucs à dire et pas moyen d’en lâcher un mot. J’ai fait le tour des blogs, recommencé cinq fois la même note, renoncé. Et voilà, j’arrive au bureau, et d’un coup les idées se mettent en place, j’ai le clavier qui me démange. Je crois qu’il n’y a qu’ici que j’arrive à écrire des notes correctes. Et merde.

C’est pas comme si je partais en vacances dans deux jours. Pas comme si je butais sur le même problème à la con depuis un mois, à stagner bêtement, à ne rien avoir à présenter à mes boss quand ils reviendront de Bahamas-les-plages blindés de motivation. Et, contrairement aux apparences, c’est pas faute de bosser. Il faudrait vraiment que j’avance.

Je déteste ne pas finir ce que j’ai commencé. Je déteste ne pas résoudre un problème, surtout un problème à la con comme ça. Je déteste l’idée de réquisitionner toute la cellule technique, tout ça parce que je n’arrive pas à faire un copier-coller (j’exagère à peine, le premier qui sourit, je l’étrangle avec le fil de sa souris). Je déteste l’idée d’être payée à ‘ne rien faire’.

Je déteste l’idée de partir en Bulgarie, comme un voleur abandonne l’appartement dont il ne parvient pas à crocheter la serrure. Ce voyage m’angoisse. C’est pas des vacances, c’est de la représentation. Mariage de l’une des mes meilleures amies, faire attention à ce que tout soit parfait, ne pas lui gâcher la semaine de sa vie.

Je dors chez le marié, c’est certainement pas comme ça que je vais rattraper mes semaines de sommeil en retard. Il va falloir sourire, faire risette, avoir une épilation parfaite et des vêtements repassés au millimètre. Pas moyen de s’isoler une demi-journée. On est une petite vingtaine de ses amis à partir, et il va falloir suivre le groupe. Je sais bien qu’elle vient de passer un mois à tout organiser.

Il va falloir se lever en même temps que tout le monde, se coucher en même temps que tout le monde. Pas moyen de partir trois jours sac au dos, limite avec une boussole et un couteau, voir à quoi ressemble ce pays quand on ne le regarde pas à travers les vitres d’un bus touristique.

Je m’en veux aussi parce que je vais lui faire faire un aller-retour supplémentaire à l’aéroport, comme si elle n’avait que ça à foutre. Tout ça parce qu’A. en réservant les billets, a pris la décision unilatérale que l’on serait bien mieux tous les deux tous seuls dans un avion plutôt qu’avec tous les autres. Sauf qu’entre temps on a rompu, qu’il a décidé finalement de ne pas venir (bien, pour simplifier l’organisation, les invités yoyo), et que je me retrouve à squatter un jour plus tôt.

Je déteste me dire que quand mon avion atterrira une semaine plus tard, je rejoindrai directement le bureau, que je ferai une entrée la plus discrète possible avec mon énorme sac à dos, en priant pour que personne ne se soit aperçu que j’ai une demi-journée de retard.

J’angoisse, parce que mi-novembre, c’est la fin de mon CDD, parce qu’on me pose trop de questions.

  • Tu crois qu’ils vont te proposer un CDI ? Bah non, je lis pas encore dans le marc de café. Je vois toujours pas à quoi je leur sers dans cette boîte, alors…
  • Tu veux rester en CDI ? Plutôt mourir que de répondre à cette question. Dire oui, et que cela ne me soit pas proposé, ça équivaut à se prendre un énorme râteau. J’ai qu’un seul ego, merci d’en prendre soin.
  • Tu vas chercher un truc dans l’édition ? Je veux même pas répondre.
  • Tu as toujours tes contacts dans le milieu ? Mais les gens ne voient jamais quand il faut s’arrêter ? Ils ne sentent pas quand leurs questions, leur empressement, leurs interrogations, c’est trop, c’est trop ?
  • Tu vas commencer quand à chercher un nouveau boulot ? Août, c’est pas une super période pour ça, t’as raison. Mais c’est dommage, parce que là tu as du temps, mais comment tu vas faire en septembre octobre ? Là, je vais frapper. Tu crois que je n’y avais pas pensé ? Quand comprendront-ils que l’idée même d’un échec possible m’empêche de dormir ? Que je me sens comme un lutin face à une montagne ? Que j’ai l’air de parler beaucoup comme ça, mais que je ne suis capable de parler que de ce que j’ai digéré ? Que parler à quelqu’un de mon avenir professionnel m’est tout à fait impossible, parce que si je n’arrive pas à faire ce que j’ai dit, l’échec sera encore plus lourd : quitte à se planter, autant pas le faire en public. Je ne sais pas gérer l’échec. Je n’ai jamais su gérer l’échec.

Je déteste passer le week-end chez mes parents, prendre dans la figure tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne serai jamais. Regarder en face tous les choix que je ne saurai jamais assumer. Me demander pourquoi je culpabilise comme ça, pourquoi je leur en veux finalement, alors qu’ils ont tout fait pour moi.

Je déteste voir ma petite soeur pleurer.

J’angoisse parce que ce soir c’est marathon, comptes, repassage, épilation, courses, sac. Que du sexy et du passionnant. C’est mon avant-dernière soirée à Paris, et je vais la passer sans P. Je veux pas partir en vacances.

Je déteste quand tout ça me submerge et que je suis avec P., à faire la gueule tournée contre le mur, et que je ne peux pas lui expliquer. Je déteste cette impression que ça creuse un fossé entre nous. Je déteste les bêtises noires que je peux balbutier pour tenter une explication. Je déteste sa façon de me serrer dans ses bras sans comprendre. J’aime sa façon de me faire l’amour. Je déteste l’angoisse qui ressurgit dès que je ne suis plus dans ses bras.

Je déteste ne pas réussir à lui dire que même agressive, tendue, même quand je ne l’appelle pas, surtout dans ses cas-là, je tiens à lui beaucoup plus que je ne le montre. Qu’il me manque dès que j’ai fermé la porte. Que je le respecte. Qu’une semaine sans lui, ça me paraît insurmontable. Que je voudrais être capable de partager avec lui mes crises d’angoisse, comme il est capable de le faire avec moi.

Je déteste essayer de dire ça, sortir une fadeur et passer pour une conne.

Calimero party

Dans l’actualité du jour : c’était mon anniversaire hier. Tout le monde s’en fout, me direz-vous. Ben voui, j’ai vu ça.

Être née en août, c’est un drame. Tous les potes sont en vacances. Les meilleurs amis (ou ceux que l’on a le plus saoulés avec ça), appellent, envoient un sms ou un mail. Les parents sont en vacances. Et du coup, soyons honnêtes, ils s’en foutent. Trop occupés à écarter les orteils pour bronzer partout.

Pour mes 19 ans, ils m’avaient encore jamais fait le coup de m’oublier, j’étais pas préparée à l’époque. J’ai passé la journée du 7 à tendre les yeux et les oreilles pour deviner ce qu’ils avaient prévu.

Le soir, j’au tenté une allusion discrète (je suis toujours d’une discrétion et d’une finesse impressionnantes) à mon anniversaire. J’ai vu une lueur de panique traverser leur regard. Mon père est sorti de la pièce en trombes et j’ai entendu la voiture démarrer. Au dîner, sous ma chaise, il y avait le range CD offert en prime à la station essence.

Une de mes cousines s’est mariée le jour de mes 22 ans. Forcément, le 7 août, en plein été. Quelque chose me dit que ça va être comme ça tous les ans maintenant.

Ah, ça oui, ça a été une jolie fête. J’étais limite un peu gênée, moi, avec mon portable qui n’a pas arrêté de bipper et moi qui répondais tout bas « C’est gentil de penser à moi… Oui, moi aussi, je t’embrasse. »

La mariée me regardait de travers. C’est vrai que je poussais loin dans la goujaterie. Vers 22 heures mon père m’a fait remarquer (je pense que le message subliminal, c’était qu’il fallait que je coupe mon portable) que j’avais beaucoup de succès aujourd’hui. Et là, limite honteuse : « Euh, oui, Papa, c’est normal, c’est mon anniversaire… »

Il est devenu tout blanc, et il m’a fait un gros bisou.

Mais la palme, c’est quand même cette année. Le WE de mon anniversaire, on fêtait les cinquante ans de mariage de mes grands-parents. Samedi matin, debout à 7 heures, trois heures de train et six heures de repas. Six heures de repas.

Ça fait deux jours que c’est passé et je n’en reviens toujours pas. Je n’avais presque pas dormi depuis une semaine, et d’un coup, j’ai compris pourquoi la privation de sommeil était la pire des tortures. Je viens d’une famille catho. Vraiment catho je veux dire, et le repas, coincée entre les cousines, c’est pas exactement ce que j’appellerais un moment culte de mon existence. Les vieux oncles et tantes qui viennent entre le fromage et le dessert te lécher les joues pour te dire qu’ils sont tellement contents de te voir, que tu ne donnes pas suffisamment de nouvelles (tu m’étonnes), et que tu as tellement grandi (oui, en six ans, d’autres l’ont fait, j’ai aucun mérite), je suis désolée, je déteste. Une demi-heure, c’est déjà trop long, mais six heures, c’est insoutenable.

Bref. Enfin, on arrive au gâteau. Les deux grands-parents, les dix enfants et les vingt-sept petits-enfants, on se retrouve comme des cons autour de la pièce montée, et chacun se met à mugir : « JO-YEUX-AN-NI-VER-SAI-RE-pause-JOYEU-EUX-AN-NI-VER-SAIRE », et ainsi de suite.

J’en profite pour me tourner vers mon père, en lui disant que je suis vraiment touchée qu’ils aient pensé à moi, que c’est une attention qui, vraiment, me fait plaisir. Il devient blanc (ça devient limite lassant), et il m’embrasse en me souhaitant un bon anniversaire. « Non, ça va Papa, c’est demain seulement, pour moi », je lui ai répondu. Il est devenu tout rouge.

On est tous bien d’accord, pour qu’il ne m’oublie pas dimanche, la perche était grosse, l’hameçon bien tendu. Eh ben, si. Ils ont réussi. Vers 12 h, en sachant que mon train partait à 14h, quelqu’un me demande quel est l’écart d’âge entre l’aîné et le dernier des cousins. L’aînée, c’est moi, et le dernier, il a six mois. Et moi de répondre : « Ben, 22 ans, puisque j’en ai 23 aujourd’hui. »

La personne en face de moi a laissé échapper un joyeux anniversaire gêné, et est sortie de la pièce.

Vous ne devinerez jamais ce qu’ils ont fait. Ils ont voulu rattraper leur oubli, me faire un cadeau, me montrer qu’ils pensaient à moi, bla, bla, bla,bla. Ils ont pris le premier truc qu’ils ont trouvé, et ils ont tous signé dessus. Oui, oui, c’est mignon. Sauf que le truc en question, c’est une peau de bête, du cuir.

Ça pue, mes amis, mais ça pue !! Et puis c’est kitsch ! Dans le train du retour, ma peau soigneusement emballée dans mon sac, il m’a fallu affronter les regards suspicieux de tout le TGV, chacun se demandant combien de temps il fallait tenir sans douche pour réussir à schlinguer à ce point-là. Et puis chez moi, ça fait neuf mètres carrés. Vous avez déjà essayé de dormir dans neuf mètres carrés, avec une peau de bête morte qui essaie de vous assassiner par asphyxie ?

Ce que j’aime, c’est mon père qui se moque de moi en me disant que je me sens toujours mal aimée. Il a pas entièrement tort.

Bon, c’est pas tout ça, mais il ya quand même des gens qui m’aiment. À partir de minuit, j’ai eu plein de mots gentils sur mon portable. J’ai reçu un DVD de A…, un joli collier de la part de ma petite sœur, un mail avec des fleurs partout de Garulfo, des pâtes et de la sauce tomate de la part d’un collègue qui se marre parce que je dis toujours que j’ai rien à bouffer, une tasse et une petite cuiller de la part d’un autre qui en a marre que je taxe les siennes, une invitation au restau de la part de P., et une peau de bête morte.

Ah non pardon, je suis de mauvaise foi. Mes parents m’ont dit le mois dernier qu’ils me payaient la moitié du billet d’avion pour la Bulgarie. Ça, ça va me rendre service.

Sans transition aucune, j’ai une grande question : comment font les gens qui vivent ensemble pour continuer à mener une vie professionnelle et une vie sociale ? Ça fait un mois que je suis avec P. On passe en moyenne une nuit sur deux ensemble. Or, une nuit ensemble, c’est une nuit blanche, ou presque. Même quand on en peut plus de sommeil, on continue à discuter, à faire des câlins, etc. C’est pas possible de dormir quand il est là, c’est à la limite du concevable. Résultat, j’arrive à dormir debout dans le métro, pas moyen d’enchaîner deux phrases sans dire une connerie, mais une vraie, une belle, une blonde, je suis au bord de la dépression nerveuse les soirs ou je suis seule si je ne me suis pas endormie à 21 heures (et comme il me manque, je ne dors pas à 21 heures), et je n’en fous pas une rame au boulot.

À la place, je m’occupe de mon blog. Effet papillon. D’ailleurs, je me demande bien comment je vais faire pour l’entretenir, mon blog, en septembre, quand le patron sera rentré et que j’aurai plus le choix, faudra bosser.

Dire des conneries, c’est pas que ça me gêne, mais en dire à P., les dire non pas parce que je suis débile, mais parce que je suis claquée, ça, ça me saoule. On a pas idée de demander à 2 heures du mat à un mec avec lequel on couche depuis un mois : « Tu m’aimes ? »

Il m’a répondu, avec un sourire et un bisou : « Je commence… »

C’est bon, l’honneur est sauf.

Ce matin, j’ai reçu un coup de fil d’A. On était censés se voir cette semaine, et j’étais pas franchement motivée. C’est pas que je n’ai pas envie de le revoir, mais il faut que je lui annonce que je me suis recasée, et vu la forme qu’il tient, j’ai le pressentiment que ça va pas être un moment agréable. Il m’appelait pour me dire qu’il ne se sentait pas bien, que tout ça, c’était encore trop frais, et qu’il préférait attendre avant de me revoir. J’ai comprimé un soupir de soulagement.

Shame on me.

Quand nous sommes tous du même avis, c’est que personne ne réfléchit.

Attention, c’est parti pour la note la plus difficile à cracher que j’aie jamais faite, et je l’espère, la plus confuse avant longtemps. Aujourd’hui, c’est questions existentielles.

Il y a quelques mois, j’ai fait un grand pas en avant vers le monde des adultes : j’ai perdu mon super pouvoir.

Vous avez lu L’Arrache-cœur de Vian ? J’ai lu ça il y a longtemps quand j’étais au collège.

Les trois gosses, qui ont des noms à coucher dehors, ont des pouvoirs qu’ils cachent à leur mère (voler, par exemple). C’est un pouvoir lié à l’enfance. C’est une protection contre le monde extérieur, une protection qui rend capable de l’affronter. Une protection qui permet surtout de se supporter soi-même.

Mon super pouvoir, c’était d’avoir décidé que le regard des autres, je m’en balançais bien bas, que je pouvais assumer tout ce que je faisais. J’avais peur de rien. C’était pratique, pour être bien dans ses baskets. Dans une soirée, à la fac, on voyait que moi, logique, je prenais toute la place. En plus, j’adorais ça. Je me prenais des cuites de compétition, je faisais n’importe quoi. Je m’en foutais.

Au premier abord, au premier contact, je dis pas, c’est certainement déconcertant. Mais ça aussi, ces gens qui te prennent pour une folle ou une égoïste allumée qui parle fort, c’était choisi.

Pas forcément fait exprès, du moins pas après les premiers temps, mais choisi. C’est que les gens qui restent, ce sont ceux qui ont fait la démarche de creuser un peu, ceux qui ont fait l’effort de chercher à voir qui tu es vraiment. Ce sont eux, finalement, les seuls intéressants.

J’ai perdu mon super pouvoir vers février, quand j’ai commencé à voir des choses que je n’aimais pas dans le regard de mon entourage. Pas les gens vraiment proches, plutôt ceux du second degré (je ne sais pas comment l’expliquer autrement). Ça aurait du passer comme une pluie en mai, et non. Ça a été douloureux. Je me suis aperçue que j’avais besoin qu’on m’aime. Que mon ego affamé, surdimensionné, c’était pas un hasard. J’ai compris que j’avais vraiment besoin qu’on m’aime, que je n’étais plus capable de supporter un regard désapprobateur, une remarque désobligeante. Pas parce que ça me vexait, mais plutôt parce que je me sentait nulle. C’est pas facile de passer d’une personnalité forte qui prend de la place, à quelqu’un qui a besoin du regard des autres pour savoir s’il a raison. Ou peut-être qu’en fait j’ai toujours eu les deux versants dans ma personnalité, et que je le savais pas.

Il s’est passé alors quelque chose de bizarre, un bug. La machine m’a échappé. Je me souvenais bien que j’avais eu un super pouvoir, que j’étais capable de retenir un auditoire sur une histoire inintéressante, de me taper précisément le mec que je voulais me taper, de me mettre dans la poche le prof que je voulais me mettre dans la poche. Je savais bien que j’avais été comme ça. Mais je ne savais plus comment j’avais fait, je ne savais plus que je l’avais fait exprès, je ne savais plus comment on assumait, et j’ai commencé à me prendre les retombées radioactives. La machine s’est emballée dans mes mains.

Je parle toujours fort en soirée. Je suis toujours la bonne copine de tout le monde, je jongle toujours entre les messages de Marcel, Paul et Jean (ou Robert, ou Jean-Marc, on s’en fout). Seulement maintenant je le vois le mec qui n’a rien dit depuis vingt minutes, assis au fond avec son verre, qui te regarde et qui se promet que plus jamais il ne remettra les pieds dans la même pièce que toi. Je la vois l’expression au fond des yeux de cet autre qui se dit que vraiment, tu dois être drôlement mal dans tes baskets (Sherlock Holmes, le type), et qu’il plaint le mec qui t’accompagne.

Je vois tout ça. Je suis bloquée, je peux plus rien faire. Où que je sois, en soirée, avec des copains, au boulot, avec mes parents, de la famille, mon ex ou P., je suis coincée. Il y a un petit moi qui me regarde de très haut et qui soupire.

C’est pas un soupir flatteur.

Ces derniers jours, P. abordait le sujet discrètement, mais régulièrement. Genre, va quand même falloir qu’on en parle. Il a formulé ça joliment, il a dit : « Tu sais, t’as pas besoin de prendre toute la place comme ça, je t’ai vue. »

Il m’a vue, et tous ses potes avec lui, et tout le XIII° arrondissement avec lui. Comment on fait pour rester en retrait ? Non, sérieusement, comment on fait quand, vraiment, on sait pas faire ? Comment on fait pour pas bouffer les gens ? Comment on fait pour arrêter de respirer l’oxygène de son prochain ? Comment on fait pour arrêter d’avoir besoin de boire leur énergie pour se sentir vivre ?

Ça vous est déjà arrivé de vous réveiller un matin et de vous apercevoir que vous étiez une mante religieuse, que vous aviez consciencieusement sucé jusqu’à la moelle tous les mecs/filles avec lesquel(le)s vous étiez sorti(e) ?

Le coté obscur du super pouvoir, que ça s’appelle.

Je ne sais pas ce qui est le plus difficile. Pour l’instant, il me semble, ce sont les gens, proches ou moins proches, qui m’en parlent ou qui y font allusion. Le pire du pire, évidemment, étant les plus proches (P., si tu nous regardes…). Ceux qui parlent à mots couverts s’attendent à ce que je ne comprenne pas. Ceux qui en parlent à cœur ouvert mettent les bouchées doubles pour me secouer. Ils s’attendent à devoir lutter pour m’arracher un « Oui, peut-être, tu n’as peut-être pas entièrement tort. »

Ils parlent et je ferme les yeux. J’essaie de les écouter, je me dis que j’avancerai jamais sinon. Ils s’enhardissent, je ferme les yeux plus fort. Je finis par les couper en disant : « Ta gueule, ta gueule, je sais, je sais. »

Je sais, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Tant que j’étais célibataire (ce qui a duré au moins deux semaines), à la limite, c’était pas grave. Il n’y avait qu’à moi que je faisais du mal. Maintenant je suis responsable pour lui aussi. Je le force à assumer avec moi, et il a rien demandé, lui. Rien que pour lui, faut que je fasse quelque chose.

Il y a quand même une chose avec laquelle j’ai du mal. Quelque chose auquel je tiens, qui est important pour moi, mais qui n’existe pas et qui fait que mon système n’est pas viable. Jamais, jamais au grand jamais, ou alors complètement à l’insu de mon plein gré, je ne juge les gens au premier abord. Au deuxième et au troisième non plus. Comment peut-on juger quelqu’un avant de le connaître ? En fait, comment peut-on juger quelqu’un tout court ?

Je ne voudrais pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.

Je veux dire, je n’aime pas qu’on me le fasse, j’évite de le faire aux autres.

Mais je crois que je suis toute seule à fonctionner comme ça. Tant pis pour moi. Au moins, pour me remettre le pied à l’étrier, il me reste Vera et ma BB-danger, qui prennent au moins autant de place que moi. Ça fait du bien.

Humeur du Moment : je regarde mes pieds.

Becoming a big person

En société, on est censé éviter de parler sexe, argent et religion. Ce sont des sujets qui fâchent. En ce qui concerne le premier, j’ai toujours beaucoup de mal à me retenir, je dois bien le reconnaître. En fait, quitte à être honnête, autant l’être jusqu’au bout : je dois avouer que je parle beaucoup argent et religion aussi. Mea culpa.

Argent, surtout – oui, je sais, ça fait rat, surtout avec ma note du 21 juillet, j’ai honte. L’argent, c’est quelque chose d’important dans la vie (j’allais écrire dans ma vie), surtout quand on en a pas. On doit être nombreux à être passés par là. On croit qu’on va goûter aux joies de l’indépendance, et puis on tombe de chez BisounoursLand.

Ici, c’est mon blog, alors rien à foutre. Je vais dire ce que je m’empêche de dire en société, je vais parler fric. De toute façon, personne ne le saura jamais, à part BB et Garulfo (biz).

Résumé des épisodes précédents :

Je bosse depuis à peine plus de deux mois et je découvre les joies de la vie vraiment indépendante.

La joie de faire ses comptes toute seule.

La joie de surveiller bred.fr d’un œil inquiet pour voir si cette putain de paie est enfin tombée.

La joie de se demander chez qui on va squatter pour laver son linge parce qu’on a complètement oublié d’inclure le Lavomatic dans le budget.

Bon. Je m’aperçois que je fais tout un scandale et que je me plains beaucoup pour rien. Tout bien réfléchi, je le vis bien. Je m’accorde toujours mes bières hebdomadaires. Je fais l’impasse seulement sur les fringues, les CDs, les bouquins et la bouffe (est-ce que les pâtes, ça compte comme de la bouffe ?).

Là j’angoisse seulement un peu parce que je viens de finir mes comptes. Deux heures passionnantes, qui marqueront mon existence. Alors il y a une bonne, et une mauvaise nouvelle (pour moi, évidemment, le reste du monde s’en tamponne – Peebee, si tu nous regardes).

La bonne, c’est que je suis hyper fière de moi : j’ai trouvé le même score que le mec de la Bred. Et je suis une vraie vraie quiche en maths.

La mauvaise, c’est qu’il me reste mille balles pour vivre jusqu’à la fin du mois. Sans compter les factures qui ne sauraient manquer de tomber d’ici là. Je parle en francs, évidemment. Eh ouais, les billets d’avion pour la Bulgarie, le loyer et les CBs du mois dernier d’un coup d’un seul, ça fait mal. En maniant les chiffres, j’avais l’impression de jouer avec des millions

Elle est belle la vie indépendante. Je viens de passer dix minutes au téléphone avec mes parents pour leur parler, de la pluie, du beau temps, de la vie à Paris, et du fait que, éventuellement, je leur taperais bien deux mille francs.

Personne est dans le même cas que moi (oui BB, je sais, je sais…) ? On monte un « pas-de-thunes Anonymes » ?

Allez. Je serre les poings, j’arrête de jouer ma Cosette, et je me concentre : un jour, j’y arriverai.

Deux cuillers à café de lâcheté, un soupçon de culpabilité, mélangez.

Deux heures de retard ce matin au bureau. Et la veille, une heure de retard. Argh. Mais c’est pas de ma faute, c’est parce que j’ai passé une nuit émotionnellement mouvementée… Forcément je me suis endormie un peu tard (genre 5 heures du matin), et la sonnerie du réveil ne m’a pas fait beaucoup d’effet. Ce qui m’a réveillé, c’est :

  • Euh… Chérie, tu vas pas aimer ce que je vais te dire, mais il est 9 h 40.

Ça, ça vous réveille un homme. Je suis censée commencer à 8 h 45.

En rentrant hier soir, j’avais besoin de réconfort, j’avais eu un gros coup de stress. Il m’était arrivé quelque chose comme on en voit que dans les films, et dont je n’étais pas très fière.

Avant de commencer à raconter ça, il faut que je donne quelques informations de base. Tout le monde a toujours une logique inconsciente dans le choix de ses amours et/ou amants. Ils ont toujours un point commun, quelque chose que l’on recherche sans le savoir. Dans mon cas je parlerais plutôt d’abonnement, ou de coïncidences bizarres, qui concernent leurs appartements.

Il y a quelques années, je suis sortie avec un mec qui habitait à la frontière de Villejuif et du KB. Glauque. Quand je suis partie, je me suis promis de ne plus jamais y remettre les pieds. Mais il ne faut jamais dire fontaine, et quelques semaines plus tard, je me suis aperçue que le nouveau tenant du titre habitait à cinq-cents mètres du précédent, plus près de Paris.

Et ainsi de suite jusqu’à P… (le jeune homme qui m’a réveillée ce matin, et qui est le héros de quelques-unes des notes précédentes), en saut de puces de cinq-cents mètres du nord de Villejuif à la Butte-aux-Cailles.

Moi je dis, à ce rythme-là, je vais bientôt pouvoir hériter d’un superbe appartement dans le VI° (désolée pour les non-Parisiens, je vous assure qu’il y a là-dedans une logique géographique profonde).

Bref, mon ex, avec lequel j’ai rompu le mois dernier, habite tout près de chez P… D’ordinaire je ne m’inquiète pas trop de le croiser ; c’est rigolo comme à deux rues près on ne fréquente pas les mêmes magasins, les mêmes bars, le même chemin pour rejoindre le métro. Et puis Paris, c’est grand, il y a du monde, il faudrait vraiment qu’on soit exactement au même endroit au même moment, ça a quand même peu de chances de se produire. Je savais qu’il était dans le coin, mais je n’y pensais pas trop.

Vers 22 h 30 hier soir, on revenait de porte d’It avec P… pour rentrer chez lui. Exactement l’itinéraire à suivre pour aller chez mon ex.

Je me tiens à un bon mètre de distance, je stresse un peu, je l’écoute d’une oreille distraite, je scrute devant, derrière et sur les côtés. Il faut dire que j’ai rompu il y a à peine un mois, que j’ai certifié à A… (mon ex, donc) que de toute façon il était impensable que je me recase avant au moins deux ans, que je sais qu’il m’aime toujours, qu’il a été vraiment classe en préférant faire le mort que de me peser avec ses problèmes de cœur, et que je ressens beaucoup plus de choses pour le garçon qui m’accompagne que je ne l’avouerai jamais, même si on me chatouille les pieds avec une plume. Bref, je ne suis pas tranquille.

Et là, un souvenir ressurgit d’un coup. On est mercredi soir, le soir où il va au judo, lequel club de judo est très exactement sur notre chemin. Le cours termine à 22 h 20, et le temps de se changer, il sort à 22 h 30. Il est 22 h 30.

Le temps de prévenir P… qu’on risque de faire une rencontre surprenante, je fais un arrêt cardiaque. Je vois la silhouette d’A…, arriver du fond de la rue. Il regarde ses pieds. Longues secondes. P… est perdu dans ses pensées, il ne remarque rien. Je me demande jusqu’au dernier instant comment je vais réagir quand on va se croiser, comment je vais expliquer ce que je fais ici à une heure pareille et qui est ce type qui m’accompagne.

On se rapproche, on se rapproche, on va se croiser… Et je fais un bon de côté pour me planquer derrière une plante verte. Il ne m’a pas vue.

Je croyais pas que c’était possible le coup de se-cacher-derrière-une-plante-verte, je croyais que c’était juste une grosse ficelle de scénariste et que personne se laisserait avoir par un truc pareil ; ben si.

Il est passé. Je suis sortie de ma planque à trois francs, et je suis restée scotchée sur le trottoir, à le regarder s’éloigner.

Je me suis mise à trembler.

Humeur du Moment : honteuse