Eh, Mademoiselle !

Je suis une Parisienne chauvine. Passé le périph’, je suis paumée, pire que paumée, je suis malheureuse. Les provinciaux me regardent souvent de travers quand je dis ça, et de toute façon, j’arrive pas à leur expliquer ce qui me plaît exactement.

Oui, c’est une ville étouffante, oui, c’est pollué, oui les gens sont pas souriants, oui je sais, la ville de l’amour mon cul, oui, oui, oui. N’empêche. Pour moi, c’est comme un milieu hostile dont je connaîtrais les règles par cœur. Une sorte de jungle, mais dans laquelle je saurais comment survivre jusqu’au lendemain. Vous pouvez penser que j’utilise des images grandiloquentes ; ce que je veux dire, c’est simplement que je m’y sens à ma place.

J’ai fait deux fois le tour de l’Écosse en stop, j’adore ce pays, vraiment. Comparé à Paris, on peut pas dire que ce soit vraiment la même chose : là-bas, il y a plus de moutons que d’humains. Eh bien, je dois avouer que l’un des meilleurs moments du voyage, c’est en rentrant de Roissy, dégueulasse, la maison sur les épaules, par ce putain de RER B (une parenthèse pour dire que si c’est le RER B qu’on impose aux touristes quand ils arrivent des aéroports, ils doivent être très très motivés par les Champs-Élysées, pour pas retourner dare-dare dans l’avion.)

Pourquoi l’un des meilleurs moments ? Parce que immanquablement, il y a un con pour s’asseoir à côté de toi, te demander si tu rentres de voyage (à ton avis, connard ? Je viens du Lavomatic, ça se voit pas ?), si t’as le temps de prendre un café, si tu as un mec et l’envie de faire l’amour, là maintenant, tout de suite. Vu comme je dois puer dans ces moments-là, je me demande si je devrais pas dire oui, juste pour voir leur tronche quand ils m’auront déshabillée.

Bref, j’aime ce moment, parce que des cons pareils, j’en ai jamais vu qu’à Paris. J’aime ce moment parce qu’il veut dire que ça y est, je suis rentrée chez moi.

Alors on va mettre les choses au clair tout de suite. Mon trip dans la vie, c’est pas de me faire draguer par des frustrés en puissance dans le métro. Ça fait simplement partie de ces choses qui arrivent tous les jours à Paris et qui font qu’on sait qu’on est chez soi. Ça fait partie de ces règles du jeu que tout le monde connaît et que personne n’énonce. Comme rester à droite quand on avance pas dans les escaliers mécaniques.

Quand je suis arrivée à Paris il y a six ans, et que j’ai commencé à me faire aborder dans la rue, j’ai trouvé ça flatteur. Et puis j’ai vite compris que ça n’avait rien à voir avec moi, qu’il suffisait d’avoir des seins pour ça. Ce avec quoi ça a à voir, c’est la misère sexuelle des grandes villes. Point.

Progressivement, on commence à avoir des trucs pour se débarrasser des pots de colle chroniques.

Il y a l’hyper classique « I don’t speak french », mais il faut reconnaître que c’est pas très rigolo. Je préfère répondre tout de suite : « Ah, non, pas encore (appuyer sur le en de « encore »), c’est le douzième aujourd’hui ! ». Là, c’est assez marrant, parce qu’on a juste le temps de voir sa tête déconfite, et qu’on dispose de trois secondes pour se casser avant qu’il réagisse. On peut aussi appeler une copine et lui faire une grande déclaration d’amour au téléphone (vaut mieux qu’elle soit dans le coup, sinon, ça risque de la surprendre). Quelques exemples en live.

Un jour, sur la ligne 1 à l’heure de pointe, la vraie, la pure, la dure, la tatouée, j’ai senti une main sur mes fesses. Quand je dis une main sur mes fesses, c’était du malaxage en règle.

Eh ben aujourd’hui, c’est un super souvenir.

J’ai réagi très vite, pris le type par surprise, attrapé sa main, l’ai levée bien haut pour la montrer à tout le monde, et j’ai dit le plus fort possible : « Excusez-moi, j’ai trouvé cette main sur mes fesses. Elle est à quelqu’un ? » Il a fait une tête terrible et je crois que toute la rame a passé un moment plutôt rigolo à le regarder, jusqu’à ce qu’il descende, à la station suivante. J’ai adoré.

Je lui ai dit au revoir quand il est parti.

Aujourd’hui, j’étais en train d’écouter un groupe slave à la correspondance de la 1 à la 14 comme la semaine dernière. J’avais passé la journée à attendre un mail qui n’était pas arrivé, j’étais toute tristoune, et surtout, j’étais à fond dans la musique. Et là, bang, le lourd de base :

Lui : Bonsoir !

Moi : Comment ? (la musique était super fort).

Lui : Bonsoir !

Moi : Ah ! Bonsoir.

Lui : Mademoiselle ou madame ?

Vous remarquerez l’entrée en matière fine, discrète, et surtout diablement originale.

Moi : Euh… (argh, l’instant d’hésitation fatal) Entre les deux (ce qui est l’une des réponses les plus cons que j’aie jamais faite, je suis d’accord).

Lui : Vous êtes très jolie.

Moi : Ah. Merci.

Lui : Vous êtes très jolie.

Moi : J’écoute la musique.

Lui : On a le temps d’aller prendre un café ?

Moi : Non.

Lui : Pourquoi ?

Moi : Parce que j’en ai pas envie.

Lui : Vous avez des trucs à faire ?

Moi : Oui.

Lui : Quoi ?

Moi : (je sais même plus pourquoi je lui réponds) : Je vais chez mon copain (Ouh la menteuse).

À ce stade de la conversation, je renonce à écouter la musique je tourne les talons, et je me dirige résolument vers le métro. Tout le quai à traverser. Ca va être long.

Lui : Vous habitez où ?

Moi : Ben c’est mes oignons !

Lui : Ah ? Et c’est sur quelle ligne Cémézonion ?

En plus, c’est un cerveau.

Moi : J’ai dit « C’est mes oignons ».

Lui : Ah. Et si vous me le dites pas, comment je fais pour venir vous voir si j’en ai envie ? Vous me donnez votre numéro de téléphone ?

Moi : Non.

Lui : Pourquoi ?

Moi : Parce que j’en ai pas envie.

Lui : Eh, j’aborde pas des filles tous les jours, c’est vous, vous que j’ai remarqué.

Moi : Je suis flattée, mais non.

Lui : Vous savez, je suis heureux.

Moi :

Lui : Je vous aime.

Et là, coup de théâtre, le métro arrive (parfois, je croirais presque que Dieu existe).

Et c’est dans ce genre de circonstances que ça sert de se sentir bien dans la ville et d’en connaître les trucs. Je l’ai laissé monter à l’avant de la rame, et j’ai toqué à la vitre du conducteur, auquel j’ai juste lancé un regard désespéré. Il m’a ouvert et je suis montée à l’avant.

Le conducteur : Il y a quelqu’un qui vous emmerde ?

Et voilà. J’avais mon Dom Juan trois centimètres derrière, qui attendait que je descende pour descendre aussi. Il y a des gens qui sont un peu longs à la détente.

Arrivés à ma station, le conducteur a attendu d’avoir refermé les portes du métro avant d’ouvrir la mienne. J’ai fait coucou à mon petit copain par la vitre.

Home sweet home.

Ça allait un peu mieux.

Les grandes questions

Matin parfait aujourd’hui : en arrivant une collègue m’a demandé si j’étais malade. Non, j’ai répondu, tout va bien pourquoi ? Ah, bon, c’est juste que t’as une sale tête. Dans les dents, et bonne semaine. J’ai fait une drôle de tronche je pense, parce qu’elle s’est excusée tout de suite (mais non, mais c’est pas ce que je voulais dire, c’est ma fourche qui a langué). Le mal était fait : je ne croirais plus jamais aux miracles du maquillage.

Pourquoi est-ce que certaines personnes restent célibataires, galèrent pour se maquer et même juste pour s’envoyer en l’air, et d’autres non ?

Il y en a qui finissent sur yahoo rencontres et d’autres qui voudraient bien, quelques mois, juste quelques mois, rester seul(e)s. J’exagère pas. Après ma rupture, je me suis dit : allez, ça fait presque dix ans que je n’ai pas été célibataire, on va se faire deux ans de vacances. Si je bouffe tous les garçons avec lesquels je sors, y a forcément une raison, et ce serait bien que j’y pense un peu histoire d’éviter de détruire – encore – le suivant. Donc, c’était décidé, dit, déclaré, assumé, brandi : à l’ordre du jour, que des grandes histoires d’amour qui se terminent à 6 heures du matin.

Passons le fait que j’aie emballé mon collègue (l’histoire était bien finie à 6 heures du matin, ça a juste été un peu difficile de le prévenir – ce qui amène un autre problème : pourquoi les mecs sont romantiques quand on veut juste s’envoyer en l’air ?) Passons aussi les autres histoires d’un soir.

L’autre jour, j’ai rencontré quelqu’un et je me suis dit ok, ce soir, c’est celui-là. Je ne me suis même pas posé la question de savoir ce que lui voulait.

Je le voulais je l’ai eu : romantisme, zéro. Ça aurait dû en rester là. Je ne sais pas très bien ce qui s’est passé. Le matin, il est parti sans dire au revoir, j’ai eu un peu mal à l’ego, j’ai envoyé un mail. J’ai fait semblant de pas guetter la réponse, j’avais quinze ans à nouveau. Réponse.

Soyons bien clairs : à ce moment-là, je ne pensais pas un seul instant outrepasser mon programme. Seulement, je suis une fille, j’ai un ego surdimensionné, et je me disais que l’avoir une fois c’était facile, deux fois, c’était pas gagné. La soirée m’avait plu et je voulais retenter.

On s’est revus et on a passé une super soirée. C’était la première fois qu’un mec ne disait pas amen à chaque fois que j’ouvrais la bouche. La première fois qu’on m’envoyait bouler.

Ce soir-là avant de dormir, j’ai dit que je voulais un verre de lait (je suis chiante, je sais). Il m’a regardé avec les yeux en dehors des orbites, genre, comment peut-on avoir des idées pareilles à une heure pareille, et il m’a dit : Va mourir. Et il s’est endormi en me serrant dans ses bras.

Mon ex, je demandais un verre de grenadine à 3 heures du mat, il se levait, il s’habillait, il sortait, il se démerdait et il revenait avec de la grenadine. Quand il revenait, trois fois sur quatre je pionçais.

Je suis toujours sortie avec des mecs monstrueusement gentils – et avec un mec monstrueux tout court. Plus ils sont gentils et plus je suis chiante. Comme un mouflard qui cherche les limites. T’emmerdes ton monde, tout ce que tu veux, c’est qu’on te dise non. Un type qui ne résiste pas, c’est un type qu’on ne respecte pas. J’ai dû avoir le malheur de dire ça quelque part dans la conversation, et c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Voilà, on devait coucher ensemble, et on se retrouve à faire des cinés, des bars avec ses potes, et je passe des moments géniaux. Forcément, après deux soirées au bar et un ciné, après avoir fait la vaisselle avec son coloc et s’être battus pour savoir qui passerait le premier dans la salle de bain, la relation est moins claire que quand on avait défini la règle du jeu comme ça : 6 heures du mat, merci, au revoir.

On a discuté un peu (parce qu’on parle en plus). On couche ensemble ou on est ensemble j’ai demandé ? Il a répondu : entre les deux. Excellente réponse.

Je vais pas me poser de questions. Je vais vivre ce que j’ai à vivre, et surtout rien dire à mes potes. J’ai une énorme étiquette collée sur le front : incapable d’être célibataire. J’explique depuis un mois que je ne veux plus voir un mec chez moi entre 6 et 22 heures, que je suis incapable de partager quoi que ce soit avec qui que ce soit, que dans la vie y a que la bière et les amis. Je peux pas leur dire, c’est inassumable.

Euh, Aurélie, Barbara, les filles, si vous tombez là-dessus, ça reste entre nous, merci.

Bref, tout va bien, mais ça répond pas à ma question. Pourquoi des gens rament pour se caser et des gens rament pour être célibataires ?

Le jour où je comprendrais comment je fais pour rendre accros (je parle pas de lui là, je pense pas qu’il le soit, je dis juste que ça m’est arrivé souvent) des mecs qu’ont rien demandés, des mecs pas spécialement motivés, j’aurais tout compris.

Je pourrais me présenter à la présidence. On va tenter quelques éléments de réponse. Ils valent ce qu’ils valent, sont juste le fruit de ma propre étude anthropologique, et je suis ouverte à toutes les remarques.

  • Plus on est chiante et mieux c’est. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça depuis le lycée, c’est les chieuses de compétition qui se casaient les premières.
  • Avoir l’air bien dans ses baskets, ça aide ? Avec un gros point d’interrogation. Je sais que quand on s’est vus la première fois (pas facile de parler de quelqu’un sans donner de prénom), j’avais pas l’air bien dans mes baskets. J’avais même l’air monstrueusement stressée. Il m’a dit plus tard qu’il n’avait jamais vu quelqu’un avec un bordel pareil dans le cerveau, et que c’était pas très motivant (merci pour le compliment). C’est peut-être pas être bien dans sa tête qui compte alors, mais simplement prendre de la place. Plus on prend de la place, plus on se fait remarquer, c’est mathématique.

Et voilà. J’en suis là de mes réflexions. Comme chacun peut le noter, elles ne sont pas très avancées. Dix ans d’expérience, et deux embryons de supposition. Remarque, j’ai encore tout le temps de me planter en amour, et d’étoffer mon dossier.

Tu seras danseuse au Lido, mon fils.

J’ai des trucs à dire mais je n’y arrive pas, le truc qui ne m’arrive jamais.

En même temps, quand on est un petit peu pas con et qu’on ne veut pas que des choses se sachent, on les raconte pas sur Internet. Ou on ne donne pas son pseudo à ses amis, ou, pire, au(x) mec(s) que l’on rencontre.

En société, j’ai l’air à l’aise, voire très, voire trop. Devant mes parents j’ai les genoux qui tremblent et je panique. J’ai toujours fait mon credo de « Tu fais les conneries que tu veux, mais tu assume les conséquences de tes actes », et quand mon père ouvre la bouche, j’ai envie de pleurer. (C’est marrant je viens de me relire et j’avais écrit « J’ai envie de parler ». Sigmund, si tu nous regardes…)

Un petit euphémisme que je sors souvent, c’est que « Je n’ai pas l’esprit de famille ». En fait la famille, ça m’angoisse, ça me fait complètement flipper. Trop de pression, trop de challenges. Trop de comparaisons, trop d’attentes. Mes parents liraient ça, je crois qu’ils en pleureraient, parce qu’ils ont toujours essayé de nous montrer le contraire ; je veux dire les poncifs du genre : ils nous aiment tous autant, le plus important c’est qu’on soient heureux… On a eu tout ça à la maison.

Alors qu’est-ce qui s’est passé? Pourquoi j’ai honte quand j’annonce à mes parents que j’ai encore une histoire de couple qui a planté ? Pourquoi j’ai plus un kopeck pour vivre et je suis incapable de demander un demi-centime à mon père ? Et on en parle jamais mais je sais bien que mes frères c’est pareil. On atterrit pas à Polytechnique ou à Sciences-Po sinon. Qu’est-ce qu’ils ont mis dans nos céréales quand on était mouflards ?

J’ai longtemps culpabilisé là-dessus (je suis très forte à ce petit jeu).

D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je dis « J’ai longtemps culpabilisé », à part pour la jouer à la je-cite-Proust-j’ai-de-la-culture-regardez-regardez. La vérité, c’est que je culpabilise encore et que je culpabiliserai toujours. Parce qu’en plus de ne pas me sentir à la hauteur, en plus de me sentir étrangère, je me rends compte de mon ingratitude : j’ai eu tout ce qui fallait, vraiment tout ce qui fallait, pourquoi ça va pas ??

Je voudrais pas m’avancer, mais je crois que j’ai un tout petit semblant de réponse. En fait, mon père, il ne dit pas « L’important c’est que vous soyez heureux ».

Il le pense sans doute, mais il ne le dit pas. Les seules fois ou j’ai entendu cette phrase dans sa bouche, c’est quand il raconte la mort de sa mère et ses dernières paroles. Ce que mon père, lui, dit exactement, c’est : « Vous faites ce que vous voulez de votre vie – astronaute, laveur de carreaux, danseuse au Lido – à condition que vous soyez les meilleurs. »

Trop facile.

Et même chez les laveurs de carreaux, et surtout chez les danseuses du Lido, se battre pour être toujours le meilleur, refuser l’échec, l’humiliation, c’est plus que terrible, c’est fatigant. Et je ne parle pas de santé.

Toujours un truc sur le bout de la langue. Parlerai plus tard.

Parler

Pas fait de notes depuis deux semaines. Plein de trucs à dire, mais pas de mots. J’ai fait un tour pour regarder les blogs des autres, en tapant des mots clefs au hasard. C’est fou ce que la vie des autres est chiant. Ami lecteur, bonsoir – on remarquera le singulier.

Est-ce que un WE chez les parents fait le même effet à tout le monde ? Ils sont adorables, ils font tout leur possible pour montrer qu’ils ne jugent rien et qu’ils sont fiers de moi. Moi, ça fait 22 ans que je fais les gros bras pour montrer que je n’ai pas besoin d’eux, et six ans que je suis partie pour le prouver. Plus, ça fait deux mois que j’ai un vrai boulot avec un contrat et tout (un grand merci au mec qui a inventé le salaire minimum, et respect à ceux qui vivent avec moins).

Bref, il suffit d’un mot de leur part, une remarque, une réflexion, pas forcément sur moi, simplement sur l’existence, la pluie, les jeunes de nos jours, et je suis tétanisée.

Je ne suis jamais sûre que ce soit c’est moi qui ait raison. Je suis sûre de n’être jamais à la hauteur. Pendant le dîner, remarque de mon père sur les capotes. Rien de précis, mais en substance, les capotes, c’est maaal, et vive la chasteté, la fidélité dans le couple et la procréation.

Eh ben j’ai la libido coupée pour quinze jours. Mon avis à moi – quand j’ai pas vu mes parents depuis au moins une semaine – c’est la capote c’est maaal parce qu’on sent que dalle, parce que ça craque, parce que ça limite vachement les possibilités, parce que le temps de la mettre ça coupe tout, parce que c’est un putain de bout de plastique.

Pour les deux prochaines semaines, le débat ne se posera pas, c’est déjà ça.

Je suis quand même fière de moi, j’ai réussi à leur dire, entre deux phrases, que j’avais rompu. Ça fait un mois, il était temps. Ils ont pas enchaîné. Je pense qu’ils ne doivent pas savoir comment réagir quand je leur parle.

J’ai un truc sur le bout de la langue. Je parlerai plus tard.

Dans la vraie vie

J’ai attendu ce moment pendant des années.

Faire un job intéressant, être payée pour ça, être indépendante.

Je travaille depuis un peu plus d’une semaine. J’ai des crises d’angoisse. Je voudrais juste comprendre ce qu’on me demande. Je ne suis pas stupide, je veux bien faire, j’écoute, je suis motivée (on dirait la méthode Couë).

Je me suis fait embaucher sur un coup de tête, ils ont créé un poste pour moi. Donc, en toute logique, objectif un : se trouver une mission, la remplir.

Objectif un rempli. Une mission, j’en ai une, et pas des moindres. Reste à la tenir, face à des gens qui ont toujours été habitués à bosser sans vous, et qui chamboulent tout ce que vous avez fait en dix minutes de réunion.

Ça se passe toujours de la même façon:

A. Je sors de la réunion a un peu déprimée, en me disant que ce que j’ai fait n’a servi à rien.

B. Je me reprends, je me dis que je ne me suis pas assez mise dans leur ligne, je refais tout à zéro. Quand je suis en forme, je propose plusieurs versions.

C. Je me rends à la réunion b gonflée à bloc. J’ai bossé pour, merde.
D. Je n’ai pas eu le temps d’en placer une (je voudrais pas me mettre à dos mes nouveaux collègues qui se demandent un peu ce que je fous là), que X ou Y explique qu’il a repensé le projet à zéro et patati et patata. Je jette mon dossier à la poubelle.
E. Je sors de la réunion b franchement déprimée, ce que je fais ne sert à rien. Et si on veut mériter sa paye on fait comment ?

Le plus beau, c’est qu’à chaque réunion, c’est un nouveau polichinelle qui sort de sa boîte. C’est bien, ça m’aide à retenir les prénoms. Le boss, lui, change d’avis toutes les deux secondes. Il arrive tous les matins avec son dictaphone, sur lequel il a enregistré pendant ses longues nuits d’insomnie toutes ses idées géniales. Elles sont peut-être géniales, mais il suffit qu’il éternue devant son micro pour foutre par terre tout ce que j’ai fait depuis la veille.

Allez, c’est pas grave. Ce qu’il faut faire, c’est s’adapter.

S’adapter, pas de problème. Mais je pourrais pas bosser un peu aussi ? Je suis en période d’essai. Ce matin, un mec est rentré dans mon bureau en me demandant de lui mailer ce sur quoi je bosse. J’ai failli lui demander quelle version il voulait et je me suis retenue. Je lui ai envoyé la dernière, quatre pages qui se battent en duel. Vingt minutes après, il m’avait tout démonté. Enfin, il avait changé l’angle d’approche – une fois de plus – ce qui revient strictement au même. Et comme le boss aura changé d’avis demain matin…


Ce week-end, je suis rentrée chez mes parents. J’ai un boulot, ils ne se sentent plus de joie. Ils me regardent avec de vrais morceaux d’amour et de fierté dans le regard.

Quand tu seras augmentée à 20 000 balles, je t’invite au Train Bleu. Et quand tu seras à 30 000, c’est toi qui m’invites.


Dieu merci, il parle en francs. En attendant, on va surtout commencer par essayer de ne pas se faire virer.

De l’art de se faire embaucher sans le faire exprès

La vie est pleine de surprises.

Résumons. Je suis même-pas-au-chômage depuis à peine deux semaines. J’entretiens mes contacts par ci par là, je surveille Untel que je sens prêt à lâcher, à démissionner, je fais le tour des librairies parisiennes pour voir auxquelles je pourrais envoyer des CVs. Si si, j’ai fait ça. Arrondissement par arrondissement. Enfin, j’ai eu le temps de faire le XII, le V et une bonne partie du VI.

Je n’ai même pas eu le temps d’envoyer les CVs, même pas eu le temps de gratter une lettre de motivation, même pas le temps d’en penser une.

Je me suis retrouvée complètement par hasard cet aprèm’ dans le bureau d’un type de la génération de mon père, un chef d’entreprise. En l’occurrence, rien à voir avec ce qui m’intéresse, sa boîte, c’est une SSII. Mais bon, on avait des connaissances communes, je commence à bien maîtriser l’art du piston, et il avait dit qu’il aurait peut-être quelque chose pour moi, alors…

Alors j’ai pas compris ce qui m’est arrivé. Il m’a parlé de la vie de l’entreprise comme un bateau, et m’a demandé quelle sorte de marin je suis.

Il a dû adorer ma réponse. J’ai passé l’aprèm’ à bosser là-bas, il faut que j’y retourne demain et tous les jours suivants.

…Et je cherche quand un vrai taf moi ? La nuit ? J’ai passé l’aprèm’ à essayer de travailler sur (pardon, à essayer de comprendre) un truc d’informatique.

Je suis une littéraire. Mon trip, c’est l’édition. Tu me parles lignes de codes ou chinois, je comprends exactement la même chose. J’ai cru que j’allais mourir.

Malheureusement, non. je ne sais pas ce qui s’est passé. Il m’a dit négligemment « On parlera finances demain », et j’ai dit oui. Je ne sais même pas s’il veut me prendre en stage, en CDD en CDI, à mi-temps ou en levrette. Je ne sais même pas exactement dans quoi je m’embarque.

Mais je sais que je suis tombée sur quelques annonces intéressantes cette semaine, que je n’aurais pas le temps d’y répondre avant ce week-end, le temps que le bureau du recruteur disparaisse sous les CVs de tous les 20-25 ans de la région parisienne. Je sais que je m’étais engagée à réserver des billets d’avion pour une dizaine de potes, et que je ne sais pas comment je vais faire en bossant tous les jours de 9h à 19h, comme ça, d’un coup, sans prévenir. Je déteste cette impression de les lâcher.

Au début de l’entretien, il m’a dit: « On termine souvent sa carrière dans le secteur dans laquelle on la commence. »

Merde.

dimanche 8 mai 2005

AAAAAAAAAAAAArrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrgggggggggggggggggggggghhhhhhhhhhhhhhhhhh….

Ca fait deux fois que je fais une fausse manip et que je supprime tout ce que j’ai écrit jusque là. Je vais finir par savoir par cœur ce que je voulais dire.

Je disais donc que Tanguy est un con, je disais que je donnerais n’importe quoi pour trouver du boulot et pour être indépendante. Je disais que c’était le monde à l’envers, que ce sont les professionnels eux-mêmes (du secteur dans lequel je veux bosser, s’entend, sinon ça n’a aucun intérêt), qui m’expliquent, quand j’ai le malheur d’être sincère quand ils me demandent mon âge, que je suis si jeune, que j’ai tout mon temps, ça ne sert à rien d’avoir les pieds qui raclent le sol comme un phacochère, pourquoi je suis pressée comme ça, je suis tellement jeune. Point.

Pourquoi je suis pressée comme ça ? Parce que ça fait six ans que j’ai mon bac, parce que j’ai tout fait pour avoir une bonne formation, les compétences nécessaires pour exercer ce métier et de l’expérience en entreprise, parce qu’après cinq stages on va peut-être passer à la vitesse supérieure, parce que je ne sais pas comment ça marchait à leur époque, mais aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’on a vingt-deux ans qu’on a pas faim et qu’on a pas besoin d’argent, parce que je voudrais pouvoir m’acheter une bière sans avoir l’impression d’arracher le pain de la bouche de ma petite sœur, parce que j’en ai envie, que j’aime ça et que j’en suis capable.

Je voudrais bosser dans l’édition. Dans ce monde-là, le CV n’existe pas. Ça leur fait autant d’effet que des lignes de code informatique à un boulanger : au mieux, ça les fera rire. En fait pour trouver du boulot, le système le plus répandu, c’est la cooptation, ce que j’appelle plutôt le poulinage. Le concept du poulinage, c’est simple comme tout et vieux comme le monde : le seul moyen de s’en sortir, c’est de taper dans l’œil d’un vieux de la vieille, dans l’œil d’un « pape ». Passé ce stade du jeu, il ne reste pas grand chose à faire, sinon attendre que le temps passe. C’est au pape, lorsqu’il entend parler d’un poste qui se libère dans une boîte quelconque, de prendre de vitesse tous les autres vieux de la vieille en invitant le premier à déjeuner le patron de la boîte en question.

Parfois, ça marche.

J’ai beau les aimer bien, il faut vraiment que je me fasse une violence terrible pour les entretenir, mes contacts. Je voudrais pouvoir les rappeler parce que j’en ai envie, et pas parce que je compte sur eux pour me servir de vigie. Et puis il faut être honnête, j’ai souvent pas grand chose à leur dire. Je demande des nouvelles du chien.

Et eux, passé les « Ça me fait tellement plaisir de t’avoir au téléphone / de te voir / qu’on prenne un verre ensemble / de déjeuner avec toi », ils ont tous le même discours. C’est à croire qu’ils ont consciencieusement oublié ce qu’ils ont vécu quand ils sont passés par là.

« Tu en es où ? Ça s’est bien passé ton dernier stage ? Tu as des chances d’embauche, là-bas ? Tu as des contacts, des ouvertures ? Tu vas faire quoi maintenant, c’est quoi ton programme ? »

Je n’ai aucune idée de quelle peut bien être la réponse à la première question.

Quel que soit le dernier stage, quel que soit l’interlocuteur, la réponse à la deuxième question est toujours oui. C’est un petit milieu, il s’agit de ne pas dire de connerie, de ne pas mordre la main qui nourrit (sic), de ne pas se faire griller. De toute façon, même si je ne dis pas de connerie, ils arriveront quand même à mal interpréter une phrase et à la retourner ensuite, alors mieux vaut donner un minimum de prise.

Il est toujours mieux de développer la réponse à cette deuxième question, mais je reconnais que parfois, quand on est pas sorti du local photocopie pendant trois mois, c’est de l’exercice de haute voltige.

La réponse à la troisième question est toujours un grand moment d’humiliation. On peut s’en sortir avec des phrases un peu vides du genre « Tu sais, c’est une petite boîte, ils n’ont pas de gros moyens financiers. Ils peuvent pas se permettre, en ce moment, de créer un poste. »

Si l’interlocuteur est con, il peut croire qu’en d’autres circonstances, en des temps moins difficile, évidemment, j’aurais été embauchée; si il est un peu plus subtil il a compris et il ne pose plus de question. Enfin, dans le meilleur des cas.

Il vaut mieux éviter discrètement de répondre à la quatrième question, sans quoi la réponse ressemblerait grosso modo à ça :

  • Tu as des contacts, des ouvertures ?
  • Ben… Oui, toi. Pourquoi tu crois que je suis là ?

Mais la question la plus horrible, la pire de toute, c’est la dernière. Ce que je vais faire maintenant ? Ben, m’asseoir et pleurer, puisque tu m’expliques depuis une demi-heure que j’ai fait tout ce que je pouvais faire.

Je ne peux pas rester sans rien faire, les bras croisés. Je ne supporte pas de n’avoir pas prise sur les évènements. Le plus difficile, je crois, c’est de se heurter à un mur. Ceux qui vivent la même chose n’en parlent pas, peur sans doute de passer pour la bouse qui ne trouve pas de boulot ; ceux qui sont passés par là ont fait un travail de refoulement tellement remarquable que même Freud ne leur ferait pas aborder le sujet sincèrement. Du coup, on se sent drôlement seule.

Je ne supporte plus leurs airs condescendants et faussement compréhensifs. « Moi aussi je suis passé par là. C’est dur, je sais. Mais tu vas voir, ça va aller. C’est quoi, ton programme, maintenant ? » On ne me fera pas croire qu’ils comprennent.

Un exemple, juste un. Pendant mon dernier stage, le cinquième, donc, tout le monde s’activait à remplir sa feuille d’impôt, sauf moi, évidemment. Moi, je travaillais. Eh bien tous, je le jure, un par un, sans se concerter, sincèrement, vraiment au premier degré, tous ils sont venus me voir pour m’expliquer la chance inouïe que j’avais de ne pas payer d’impôts.

Ah les salauds.

Mais pardon, pardon, ma jeunesse m’égare. C’est vrai, j’avais oublié la chance qui est la mienne, de travailler comme ça tous les jours, pour à peine plus de deux mille balles par mois. Parce que oui, ce n’est pas dans tous les stages qu’on fait un boulot intéressant, et pas dans tous les stages qu’on touche des clopinettes. Y a des stages où on fait des photocopies et où on ne touche pas de clopinettes du tout.

C’est ma trop grande jeunesse qui fait que je ne connais pas encore l’enfer sans nom du remplissage de la feuille d’impôt, la torture des économies draconiennes pour engraisser l’Etat, l’arrêt cardiaque quand on apprend quel montant on va devoir régler.

Il y en a même une qui m’a expliqué :

  • Non mais sérieux, ils te prennent tout tu sais, ou presque, tu peux pas savoir.
  • Oui, j’ai répondu, mais enfin, c’est qu’il y a quelque chose à prendre.

Elle ne m’a pas adressé la parole pendant près de deux semaines. Je ne sais toujours pas si je l’ai vexée où si elle m’a prise pour une conne, mais je penche pour la deuxième solution. Je persiste et je signe. J’adorerais payer des impôts. Ça voudrait dire que j’ai un salaire. Quand je suis en stage, je touche 346 euros par mois. Mon loyer est de 341. Une fois que je l’ai payé, je peux m’offrir un paquet de vingt Malback. Si je fume en gros une clope tous les deux jours, que je ne mange pas, que je ne me lave pas, ne m’habille pas et que je ne bois que dans les fontaines publiques, il y a moyen de tenir le budget.